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Section 1. La définition du principe d’autorité

B. Le sens juridique : de l’autorité à la hiérarchie

35. Approche kelsénienne de l’autorité. Transposée en droit, la notion d’autorité connaît là aussi un vif succès. Elle renvoie principalement à la conception positiviste du droit et plus particulièrement aux travaux de Kelsen154. « La théorie kelsénienne a permis de considérer l’ordre juridique comme un processus, c’est-à-dire dans son mouvement, et plus précisément dans son double mouvement, qui est, de haut en bas, un mouvement qui dérive d’un pouvoir supérieur à un pouvoir inférieur, de bas en haut, un mouvement inverse qui dérive d’une norme inférieure vers une norme supérieure.

Métaphoriquement, du sommet à la base, une cascade de pouvoirs, de la base au sommet, une escalade de normes »155. Selon Kelsen, l’existence du droit dépend exclusivement de l’existence d’un pouvoir, d’une autorité ou d’une force capable d’imposer ou d’autoriser des comportements156. Pour le positiviste, auctoritas non veritas facit legem : c’est l’autorité qui fait la loi, non la vérité. Il se dégage de cette théorie la volonté de tenir compte de l’autorité attachée à la norme pour désigner sa place au sein d’une hiérarchie. La signification de l’autorité qui découle de l’approche kelsennienne est donc consubstantielle à la notion de hiérarchie. D’ailleurs, tout ordre autoritaire est, en général, hiérarchique157.

36. Autorité fondée sur la hiérarchie. Qu’entend-on par hiérarchie ? Historiquement, le sens du mot hiérarchie est lié à la théologie. Il signifie, par extension, l’ordre et la subordination des rangs et des pouvoirs dans une société. Il implique deux rapports : un rapport de classe – infériorité ou supériorité en rang – qui induit un rapport d’autorité – la validité du rang inférieur étant subordonnée à ce que prévoit le rang qui lui est hiérarchiquement supérieur. Couramment, ce terme s’emploie pour évoquer une classification selon un ordre de valeur, de grandeur ou d’importance158.

Plus précisément, que veut-on dire lorsque l’on parle d’une hiérarchie des normes juridiques ? Pour répondre à cette question, on peut de nouveau se référer à la théorie développée par Kelsen. Pour ce dernier, « tout ordre, juridique moral ou

154 H. KELSEN, Théorie générale des normes, Léviathan, PUF 1996.

155 N. BOBBIO, « Kelsen et les sources du droit », in "Sources du droit", APD, t. VIII, Sirey 1982, p. 135, spéc. p. 143.

156 N. BOBBIO, art. précité, loc. cit.

157 G. MENDEL, op. cit., p. 27 ; L. FAVOREU, P. GAIA, R. GHEVONTIAN, J.-L. MESTRE, O.

PFERSMANN, A. ROUX et G. SCOFFONI, Droit constitutionnel, Précis droit public, Dalloz, 13ème éd., 2010, p. 71, n° 95.

158 A. REY, « Hiérarchie », op. cit.

46 juridique positif, représente un système de normes non pas coordonnées, mais hiérarchisées, c’est-à-dire une pyramide de normes, dont le niveau suprême est la Constitution fondée en validité par la norme fondamentale présupposée et dont le niveau le plus inférieur est celui des normes posant comme obligatoire un certain comportement individuel concret »159. Les deux rapports précédemment dégagés se retrouvent dans cette théorie. D’une part, la hiérarchie proposée opère un classement des normes en leur attribuant un rang160 : au sommet de cette pyramide se trouve la mystérieuse norme fondamentale, puis il y a la Constitution, la loi, le règlement, etc.161. D’autre part, et c’est là l’élément essentiel, cette hiérarchie attribue un rang à chaque norme en fonction de sa validité. Ainsi,

« une norme est avec une autre norme dans un rapport de norme supérieure à norme inférieure, si la validité de celle-ci est fondée sur la validité de celle-là »162. A son tour, la norme supérieure tire sa propre validité d’une norme plus élevée et ainsi, de proche en proche, jusqu’à une norme fondamentale, se dresse une échelle hiérarchique sur les degrés de laquelle prend place la totalité des normes composant l’ordre juridique donné163. L’autorité de la norme est alors fonction de l’autorité dont émane la règle, autorité qui fonde sa validité et son appartenance au système juridique164.

37. Imperfection du modèle hiérarchique. De nombreuses critiques ont été faites à ce modèle des normes, qui sert pourtant encore aujourd’hui pour beaucoup de référence165. « La représentation pyramidale (…) du célèbre Autrichien continue à orienter la plupart des réflexions sur l’ordonnancement juridique. Pour sa simplicité aussi bien que pour ses vertus didactiques, la représentation hiérarchisée et quasi mécaniste d’un ensemble de sources, agencées les unes par rapport aux autres, se présente toujours en

159 H. KELSEN, op. cit., p. 346.

160 M. VERPEAUX et CHALTIEL F., Manuel de droit constitutionnel, Droit fondamental, PUF, 2010, p. 293, « La hiérarchie opère un classement. Celui-ci se fait par le degré d’autorité que possède chaque acte : il y a ainsi des normes supérieures qui dépendent des normes inférieures ou subordonnées »; G. CORNU, op. cit, p.

179 s., n° 318 s. ; J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, op. cit., p. 77 s., n° 91 ; Ph. MALINVAUD, op. cit., p. 51 s., n° 62 s.

161 Pour une présentation plus complète, J. GICQUEL et J.-E. GICQUEL, Droit constitutionnel et Institutions politiques, Domat droit public, Montchrestien, 24ème éd., 2010, p. 710 ; B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Sirey Université, Dalloz, 27ème éd., 2010, p. 578 s.

162 H. KELSEN, op. cit., p. 345. P. PUIG, article précité, spéc. p. 751 : « Il s’agit là d’un système dynamique dans lequel une norme n’est valable non pas parce qu’elle a un certain contenu, mais, parce qu’elle a été créée conformément à ce que prescrit une norme supérieure, jusqu’à la norme fondamentale supposée. Dans un tel système, les seuls contrôles de validité auxquels les normes sont susceptibles d’êtres soumises, portent sur le respect de leur procédure de création. Dès l’instant que les conditions de création de la norme ont été respectées, leur validité ne saurait en principe être contestée, alors même que leur contenu se révélerait contraire à celui prescrit par une norme supérieure. Il s’opère une distinction entre validité et conformité ».

163 M. VIRALLY, La pensée juridique, Les introuvables, éd. Panthéon Assas, LGDJ, 2010. p. 173.

164 D. BUREAU, Les sources informelles du droit dans les relations privées internationales, Université Panthéon Assas, Paris II, 1992, p. 432.

165 Pour une approche renouvelée de la hiérarchie des normes, v. F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, FUSL, Bruxelles, 2002 ; M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, Seuil, 1994 ; du même auteur, Le relatif et l'universel, Seuil DL 2004.

modèle »166. Pourtant, il lui est reproché de ne s’intéresser qu’au problème de validité des normes les unes par rapport aux autres en se limitant aux normes de droit écrit.

Or, si aujourd’hui ce modèle est en crise167, c’est parce que l’on constate l’insuffisance d’une telle hiérarchie qui ne permet pas l’intégration de normes non écrites, telles que la jurisprudence ou la coutume, et son inadéquation à la floraison des normes que nous connaissons actuellement168. De plus, pour certains auteurs, en ne s’attachant qu’à l’origine des normes, une telle hiérarchie ne rend pas compte de la véritable force de la norme. En effet, celle-ci ne se trouve pas uniquement dans son origine, mais aussi dans « la valeur des raisons sur lesquelles elle s’appuie »169. Dès lors,

« le véritable principe d’une hiérarchie des normes juridiques doit être recherché ailleurs, dans la force juridique qu’elles représentent »170. Cette vision de la hiérarchie permettrait ainsi d’inclure toutes les dispositions juridiques. Pour aller plus loin, il faudrait admettre qu’il existe, à côté d’une hiérarchie formelle, une hiérarchie matérielle des normes171. On rejoint ici la deuxième variante de l’autorité : l’autorité « charismatique et

166 R. LIBCHABER, N. MOLFESSIS, « La hiérarchie des normes ressuscitée par le Conseil d’état », RTD. civ. 1999, p. 231, spéc. p. 232. On retrouve ainsi dans tous les manuels d’introduction au droit, et ce depuis des années, une présentation hiérarchique des normes. Ainsi, pour Monsieur Terré, l’expression « a été acclimatée par la doctrine, surtout depuis une dizaine d’années, voire davantage », F.

TERRE, op. cit., p. 191 ; Cornu précise qu’« elle s’impose à tous les interprètes ». Avec elle, « tous les actes émanant de l’autorité étatique s’ordonnent, d’un point de vue organique et formel, dans un ensemble hiérarchique cohérent que l’on appelle la pyramide des normes. Cette pyramide comprend plusieurs étages dont chacun correspond aux degrés d’une hiérarchie, de telle sorte que, dans cet ensemble, chaque élément doit respecter l’acte de degré supérieur (il lui est subordonné) et s’impose à son tour aux actes du degré inférieur », G. CORNU, op. cit., p. 141 s. Pour Monsieur Cabrillac, « l’utilité d’une telle hiérarchie est déterminante, dans la mesure où une norme inférieure ne peut ni déroger à une norme supérieure, ni l’abroger », R.

CABRILLAC, Introduction générale au droit, Dalloz, Cours, droit privé, 9ème éd., 2011, n° 94 ;Enfin, Monsieur Malinvaud constate que « le système français connaît un principe hiérarchique suivant lequel aucun texte ne peut aller à l’encontre d’un autre qui lui serait supérieur », P. MALINVAUD, op. cit., n° 62.

167 Mme Granet en évoque « les perturbations », F. GRANET, « Perturbations dans la hiérarchie des normes juridiques », in Le droit privé français à la fin du XXème siècle, Etudes offertes à P. Catala, Litec 2001, p. 41. Allant dans le même sens, Cornu constate les « débats assourdissants » qui entourent son application « tourmentée », G. CORNU, op. cit., p. 181. Les plus pessimistes, préférant en voir la fin , v., M. MONIN, « La hiérarchie des normes n’existe pas », D. 1999, Dernière actualité, n° 30, p. 1.

168 R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, « La hiérarchie des normes ressuscitée par le Conseil d’Etat », RTD. civ. 1999, p. 231, spéc. p. 232 : « Nul n’ignore plus que l’édifice se trouve soumis à des influences profondes qui affectent son évolution et laissent souvent l’esprit perplexe » ; M. VIRALLY, La pensée juridique, Les introuvables, éd. Panthéon Assas, LGDJ 2010, p. 173 s., « Cette première représentation appelle de sérieuses réserves. Tout d’abord, et c’est capital, ne peuvent figurer sur cette échelle que les normes posées par un acte juridique (…). Le véritable principe d’une hiérarchie des normes juridiques doit, selon nous, être recherché ailleurs : dans la force juridique qu’elles présentent (…) ».

169 Ch. MOULY, « Le droit peut-il favoriser l’intégration européenne ? », RIDC1985, n° 70, p. 895, spéc.

p. 945.

170 M. VIRALLY, op. cit., p. 174 s.

171 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Méthodes du droit, Dalloz, 4ème éd., 2003, p. 94 s. M. Bergel présente ainsi, au sein d’une théorie générale de la loi, deux points de vue : un point de vue formel, qui fait appel à la hiérarchie traditionnelle et organique des lois, et, un point de vue matériel, qui s’intéresse au contenu et à la matière de la loi.

48 personnelle ». Appliquée aux normes, la hiérarchie qui découle de cette autorité se recentre sur la substance de la norme. On considère alors que la qualité de la règle énoncée est distincte de l’organe compétent pour l’énoncer172. Cette hiérarchie matérielle vient remédier aux insuffisances du principe institutionnel de la hiérarchie des normes. Pour ce faire, cette hiérarchie tend à révéler les valeurs jugées essentielles pour notre société contenues dans les normes en présence et les ordonne en fonction de l’importance des idéaux défendus. Dans cette hiérarchie, une norme qui défend le droit de grève ou le droit de propriété, essentiels aujourd’hui, sera considérée comme hiérarchiquement supérieure à une autre norme qui viendrait les limiter. Il se dégage alors deux formes de hiérarchie : une hiérarchie structurelle ou formelle que révèle une approche organique de l’autorité et une hiérarchie matérielle que fait ressortir une approche substantielle de l’autorité. Néanmoins, une telle hiérarchie matérielle des normes ne permet pas d’obtenir un principe neutre d’articulation. Au contraire, elle s’appuie sur la substance de la norme pour fonctionner. Il convient donc de laisser cette hiérarchie de côté pour peut-être y revenir plus tard si les principes neutres d’articulation se révèlent insuffisants173. Seul nous intéressera, pour l’instant, le principe d’autorité appuyé sur une hiérarchie structurelle des normes.

§2. Le fonctionnement du principe

38. Identification et limite du critère organique. La notion d’autorité, telle qu’elle vient d’être étudiée, permet de conférer une assise au principe d’autorité.

Selon l’ordre de hiérarchisation qu’on pourrait rattacher aux écrits de Kelsen, le principe est tourné vers la source de la norme (autorité formelle). Dès lors, pour appliquer le principe d’autorité, il faut s’interroger sur celui qui a produit la norme.

Le critère de hiérarchisation employé est donc le critère organique (A).

Toutefois, on s’aperçoit que ce critère, s’il paraît simple à utiliser, s’avère parfois difficile à mettre en place, certaines normes n’ayant pas toujours un rang facile à déterminer (B).