• Aucun résultat trouvé

Conclusion du Titre 1 Les principes exclus

Section 2. Le fonctionnement du principe de subsidiarité

A. Le rapport de spécialité

154. Relation de spécialité et concours de normes. Deux voies possibles sont admises pour différencier une norme spéciale d’une norme générale. On peut apprécier la spécialité des normes tant en fonction de leurs objets (1) qu’en fonction de leurs sphères de compétence réelle (2)495.

Après s’être assuré que les deux normes entrent bien dans une relation de spécialité, on serait tenté d’affirmer qu’un concours entre les deux normes est inévitable. Cependant, il ne faut pas être aussi catégorique et tenir compte du fait que, dans certaines hypothèses, il n’y a pas un concours, mais plutôt une concertation entre les normes496 (3).

494 Dans la mesure où nous traitons de concours de normes, on aurait pu rajouter une troisième condition pour l’application du principe : le rapport de concurrence. Toutefois, le choix de ne pas revenir sur cet élément tient au fait que le concours est la condition de toute l’étude. Ainsi la recherche de la situation de concours doit se faire en amont, avant même de s’interesser à l’application du principe.

495 A. JEAMMAUD, Des oppositions de normes en droit privé interne, Université Jean Moulin, Lyon III, 1975, p. 674. Selon l’auteur, « s’il est certain que la relation d’une règle générale et d’une règle spéciale est une relation de genre à espèce du point de vue de leur extension, elle doit aussi s’apprécier au plan de leur objet, c’est-à-dire au niveau des problèmes abstraits auxquelles elles procurent respectivement une solution ».

496 Cf. supra n° 16.

134 1. L’objet de la norme

155. Norme de droit commun : norme la plus générale. La première chose à laquelle on pense en évoquant l’objet du droit commun par le prisme du droit spécial, c’est à sa valeur quantitative. Serait spécial le droit qui aurait un objet quantitativement plus réduit, tandis que le droit commun contiendrait plus d’éléments497. Ce qui est commun aurait, en effet, vocation générale à s’appliquer, à concerner un nombre indéfini de personnes, de situations ou de choses. C’est d’ailleurs le sens retenu le plus couramment. Pour le Littré, le mot commun renvoie à

« ce qui est de participation à plusieurs ou à tous (…) »498. Le Petit Larousse propose, quant à lui, de le définir comme ce « qui est propre au plus grand nombre, qui est fréquent, répandu ». Enfin, le Robert indique que le terme commun s’entend « de ce qui appartient, s’applique à plusieurs personnes ou choses »499. Le droit commun se distinguerait du droit spécial par sa capacité théorique à concerner un plus grand nombre de situations juridiques500. L’importance quantitative de la règle est ainsi liée à la généralité des termes qu’elle emploie. En matière de responsabilité civile, on trouverait « au sommet de la généralité et de l'abstraction, des lois par lesquelles l'esprit, fort de ses propres exigences, entend commander aux circonstances dans toute leur variété.

Exemple : l'article 1134, 1382 ou 1384 alinéa 1. Mais, entre ces lois-là et l'espèce concrète soumise à un juge, il peut y avoir toute une gradation dans l'abstraction et la généralité, toute une succession de règles par lesquelles l'esprit adapte ses exigences à des circonstances de plus en plus précises. Par exemple, entre un accident de voiture et la loi la plus générale et la plus abstraite appelée a priori à régir ses conséquences, l'article 1384 alinéa 1, il y a la loi Badinter ; et dans cette loi, tel article ; et dans cet article tel membre de phrase. Le droit passe rarement de l'abstrait au concret d'un seul coup. Il y descend le plus souvent par un escalier plus ou moins long de règles de plus en plus circonstanciées.501 ».

156. Généralité fonction de la matière réglée : la question du sujet de droit. La matière réglée peut s’apprécier par rapport aux sujets de droit qu’elle appréhende. Ainsi, plus la règle s’intéresse à un grand nombre de personnes, plus elle est considérée comme générale. Suivant cette idée, la prise en compte de personnes indéterminées entraîne leur soumission à un corps de règles général, alors que la considération de personnes déterminées conduit à les soumettre à un corps de règles particulier.

Depuis de nombreuses années, un élément est déterminant dans la création de corps de règle particulier. Il s’agit de la profession. Il y a déjà longtemps que le doyen Ripert écrivait : « les lois sont faites non pas pour tous les hommes qui sont nationaux d’un

497 R. GASSIN, « Lois spéciales et droit commun », D. 1961, chr., p. 91, spéc., p. 91. L’auteur constate que « la relation entre droit commun et droit spécial revêt ainsi un aspect purement quantitatif ».

498« Commun », Le Littré, 2010.

499« Commun », Le Robert 2010.

500 R. GASSIN, art. précité, loc. cit.

501 F. GRUA, « Les divisions du droit », RTD. civ. 1993 p. 59, spéc. p. 69.

Etat ou habitent son territoire, mais pour des groupes d’hommes reconnaissables à la profession qu’ils exercent »502. La plupart des professions connaissent un statut juridique spécial qui est à l’origine d’un ensemble de règles plus ou moins complet et cohérent503. Ce phénomène de parcellisation des normes est lié à la volonté des corps législatif et judiciaire d’adapter le droit à la profession, en formulant un cadre de règles en adéquation avec celle-ci504. On peut transposer cette observation à la responsabilité civile extracontractuelle pour constater que, dès 1804, un droit spécial est venu accompagner les commettants – donc des professionnels – dans leur relation avec leurs préposés505, les artisans avec leurs apprentis506, les instituteurs avec leurs élèves507. Par la suite, la plume du législateur s’est affûtée sur des statuts encore plus spécifiques, répondant selon l’époque aux exigences d’une société en constante évolution. Il s’est intéressé aux salariés par la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, puis aux agriculteurs508, aux exploitants de navires nucléaires509 et aux exploitants de mines ou titulaire d’un titre minier en 1994510. Le législateur a parfois été relayé par la jurisprudence qui s’est attachée à des catégories professionnelles en pleine expansion comme celle des sportifs ces dernières années511. La responsabilité

502 G. RIPERT, « Ebauche d’un droit civil professionnel », in Etudes de droit civil à la mémoire de H.

Capitant, 1939, Dalloz, p. 676, spéc. p. 678.

503 B. SAINTOURENS, Essai sur la méthode législative : droit commun et droit spécial, sous la direction de J.

Derruppe, Bordeaux I 1986, n° 54, p. 100.

504 P. SERLOOTEN, « Vers une responsabilité professionnelle ? », in Mélanges P. Hebraud, Université des sciences sociales de Toulouse, 1981, p. 805 spéc. p. 805 ; T. IVAINER, « Le contrat moderne face à la prolifération des "statuts des personnes" », JCP. G. 1977, I. 2876, spéc. n° 4. L’auteur évoque à ce sujet la prolifération des statuts de personnes. Il définit le statut comme « un ensemble de normes ayant pour objet de préciser des éléments conférant à une personne, chez laquelle ils se trouvent réunis, les droits et les obligations qu’il prescrit en faveur ou à l’encontre d’une classe de sujets ».

505 Article 1384, alinéa 5, du Code civil. V. notamment, E. AYISSI MANGA, « Préposé et responsabilité », RRJ 2002-2, p. 715 ; Ph. BRUN, « La mise en œuvre de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés », in Dossier sur les professionnels face au droit de la responsabilité, Droit et patrimoine, janvier 2001, p. 52.

506 Article 1384, alinéa 6, du Code civil.

507 Ibid

508 L’entraide agricole obéit à un régime particulier depuis une loi du 8 août 1962 dont l’article 20, alinéa 4 est devenu l’article L.325-3 du Code rural.

509 Loi du 12 novembre 1965. Aujourd’hui codifiée dans le code des transports.

510 Loi du 15 juillet 1994, modifiée par la loi du 30 mars 1999.

« Quand les phases du jeu sportif commandent une approche casuistique de la garde commune », D.

2005, J., p. 2435 ; D. JACOTOT, « Recevabilité du recours d’une CPAM contre un club de football responsable du fait de son préposé », D. 2006, J., p. 1733.

136 civile extracontractuelle n’a, en définitive, pas échappé à cette volonté du législateur de créer des régimes spéciaux pour satisfaire aux exigences d’un statut particulier512. Dans ces hypothèses, on observe que la règle générale est dégagée par confrontation avec la règle spéciale. Sera, ainsi, générale la règle qui sera apte à régir toutes les personnes juridiques quel que soit leur statut. Elle désignera un homme causant un dommage par son fait, celui d’une chose ou celui d’autrui, peu importe qu’il s’agisse d’un artisan, d’un dirigeant de société ou d’un médecin. A contrario, sera spéciale la règle qui viendra, elle, régir le statut de l’artisan, du dirigeant, etc.

Si la profession peut être un déclencheur de la création d’un droit spécial, il en est de même de l’état de la personne considérée. Des critères tels que l’âge, la santé, voire la faiblesse physique ou mentale interviennent pour fonder l’application de règles particulières. On songe ici, par exemple, à la loi Badinter sur les accidents de la circulation qui prévoit dans son article 3, alinéa 2, que « les victimes (…) lorsqu’elles sont âgées de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80 %, sont, dans tous les cas, indemnisées des dommages résultants des atteintes à leur personne qu’elles ont subis ». Dans cette loi, l’âge comme l’état de santé sont des facteurs qui améliorent la protection des victimes. Toutefois, on notera que ce critère de l’état des personnes est, en droit de la responsabilité civile extracontractuelle, moins significatif que celui de la profession. Cette matière met plus l’accent sur l’apparition d’une situation dommageable que sur l’état de la victime ou du responsable. D’ailleurs, depuis une loi du 3 janvier 1968 et suite aux arrêts de l’assemblée plénière du 9 mai 1984, peu importe que l’auteur du dommage se trouve, au moment des faits, sous l’empire d’un trouble mental ou incapable de discernement de par son jeune âge513. De plus, ce critère pourrait devenir encore moins pertinent dans la mesure où le projet Catala préconise la suppression de la distinction faite par la loi Badinter entre les enfants, les

512 La doctrine révèle d’ailleurs l’importance donnée aux catégories professionnelles, qu’il s’agisse de la responsabilité des commettants, des notaires, des opérateurs de crédit ou du médecin. V.

notamment le dossier sur les professionnels face au droit de la responsabilité, Droit et patrimoine, janvier 2001, p. 51. Pour une approche générale, P. SERLOOTEN, « Vers une responsabilité professionnelle ? », in Mélanges P. Hébraud, Université des sciences sociales de Toulouse, 1981, p.805. A propos des professionnels d’Internet, M. VIVANT, « La responsabilité des intermédiaires de l’Internet », JCP.G. 1999 I. 180 ; F. OLIVIER, « La responsabilité des prestataires d’hébergement », JCP.

G. 1999 II. 10101 et du même auteur « Conditions de la responsabilité civile des fournisseurs d’hébergement d’un site sur le réseau Internet », JCP. G. 2000 II. 10279 ; A. LEPAGE, « Du sens de la mesure en matière de responsabilité civile sur Internet : la loi, la jurisprudence et le fournisseur d’hébergement », D. 2001, p. 322.

513 Article 414-3 du Code civil qui dispose que « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental n'en est pas moins obligé à réparation ». Cass. AP., 9 mai 1984 (4 arrêts ), Bull.

AP., n° 1 à 4 ; D. 1984, p. 525, concl. CABANNES, note F. CHABAS ; JCP. G. 1984 II. 20255, note N.

DEJEAN DE LA BATIE ; RTD. civ. 1984, p. 508, obs. J. HUET.

personnes âgées ou handicapées et les autres victimes514. Il semble donc qu’il ne reste que peu de place pour le critère de l’état des personnes en droit de la responsabilité civile extracontractuelle.

157. Généralité fonction de la matière réglée : la question de l’objet du droit. Au critère du sujet de droit, qui permet d’apprécier la généralité d’une règle, peut aussi s’ajouter celui de l’objet du droit. Le droit le plus général est alors celui qui est le plus indifférent à l’objet en cause. En matière de responsabilité civile extracontractuelle, on parle parfois d’un droit commun du dommage corporel pour désigner le droit qui connaît de tous ces dommages, indifféremment du fait que certains soient liés à un véhicule terrestre à moteur ou à un acte médical par exemple515. Et, à côté de ces règles générales, on trouve des règles spécialement instituées pour des objets particuliers tels que les aéronefs516, les téléphériques517, les sangliers518 ou encore les véhicules terrestres à moteur519. Toutes ces normes ont en commun de ne régir que certaines catégories de choses causant un dommage, à la différence de la règle plus générale posée dans l’article 1384, alinéa 1er, qui s’intéresse à toutes choses qui entrainent un dommage.

158. Inadaptation du critère de l’objet. Si l'on peut être séduit par ce critère simple de distinction des normes de droit commun et de droit spécial, on constate qu’il n’est pas sans failles. On peut déjà observer que sa justesse est toute relative. En théorie, la règle générale est celle qui connaît, par son abstraction, l’application la plus importante, mais, en pratique, cela n’est pas toujours vrai. Il arrive bien souvent que le champ d’application des cas particuliers soit quantitativement le plus grand.

Par exemple, l’ensemble des sociétés à statut spécial représente un nombre

514 P. CATALA (dir.), Avant-projet de réforme du droit des obligations, (articles 1101à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du Code civil), rapport à M. Pascal Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, 22 septembre 2005, p. 170 et p. 189.

515 Dans leur ouvrage, Mme Yvonne Lambert-Faivre et Mme Stéphanie PORCHY-SIMON distinguent l’indemnisation des victimes de dommages corporels dans la responsabilité civile de droit commun, des systèmes spécifiques d’indemnisation des dommages corporels liés à la circulation, à des actes médicaux, ou aux risques technologiques. Y LAMBERT-FAIVRE et S. PORCHY-SIMON, Droit du dommage corporel, Systèmes d’indemnisation, Précis droit privé, Dalloz, 6ème éd., 2009. La question se pose aujourd’hui de la reconnaissance d’un droit spécifique aux dommages corporels : v. L. MORLET-HAIDARA, « Vers la reconnaissance d’un droit spécial du dommage corporel ? », Resp. civ. Ass., décembre 2010, étude n° 13.

516 La loi sur la responsabilité des exploitants d’aéronefs date du 31 mai 1924 et a été codifiée dans le Code de l’aviation civile par un décret du 30 mars 1967.V. notamment, Ph. Le TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2010/2011, n° 8303 s.

517 C’est la loi du 8 juillet 1941 qui a institué une responsabilité spéciale pour les dommages causés par les téléphériques.

518 C’est la loi du 27 décembre 1968 qui prévoit un régime spécial de responsabilité pour les dégâts causés par les sangliers et le gros gibier.

519 Les dispositions de cette responsabilité spéciale se trouvent dans la loi Badinter du 5 juillet 1985.

138 d’hypothèses plus important que les sociétés soumises entièrement au Code civil520. Ainsi, c’est la règle particulière qui connaît l’objet le plus grand. Par ailleurs, ce critère, en ne tenant compte que de l’objet de la norme, ne permet pas de comprendre exactement la relation qui unit une règle générale à une règle spéciale. Quelle est la portée d’une norme générale ? Cette dernière peut-elle remettre en cause l’existence de la norme la plus spéciale qui aurait un même champ de compétence ? D’ailleurs, ne faudrait-il pas apprécier quel est le champ de compétence réel de la norme, plutôt que de se contenter du constat de sa généralité ? Enfin, la faible mise en oeuvre du droit commun, suffit-elle à remettre en cause sa valeur ?

Le critère n’apparaissant pas judicieux, un autre doit être trouvé.

2. La sphère de compétence réelle de la norme

159. Champ d’application et nature des normes de la responsabilité civile extracontractuelle. Les normes de la responsabilité civile extracontractuelle contiennent deux types de conditions, « conditions d’application et conditions de réalisation »521. C’est à partir de ces conditions qu’il est possible d’identifier le champ d’application d’une norme (a) et, corrélativement, de différencier entre les normes de droit général et celles de droit spécial (b). Une fois cette méthode de différenciation clairement dégagée, il ne restera plus qu’à l’appliquer aux normes de la responsabilité civile pour connaître précisément leur nature (c).

a. Les conditions de la norme, révélatrices de sa sphère de compétence 160. Doubles conditions. Les conditions de la norme sont de deux ordres.

On trouve des conditions d’application et des conditions de réalisation (α). Or, selon que l’une ou l’autre de ces conditions fait défaut, la solution du litige s’en trouvera changée (β).

α. La distinction entre les conditions d’application et les conditions de réalisation de la norme

161. Conditions d’application et conditions de réalisation. Il est possible de révéler le champ d’application d’une norme en s’intéressant aux problèmes abstraits auxquels ces normes procurent une solution. M.Jeammaud rappelle que toute règle de droit est d’un certain point de vue la résolution d’un problème et que, par conséquent, la norme sera compétente toutes les fois où se trouve posée la question à laquelle elle fournit la réponse. Appliquée au droit de la responsabilité civile, et, plus précisément, à l’article 1382 du Code civil, il en déduit que la question que l’on doit

520 B. SAINTOURENS, op. cit., n° 27 s., p.52 s.

521 M. POUMAREDE, Régimes de droit commun et régimes particuliers de responsabilité civile, sous la

direction de C. Saint-Alary-Houin, Toulouse I, 2003, p. 120 s., n° 164 s.

se poser est la suivante : « qui doit réparer » ? Pour y répondre, il observe que la norme est composée de deux éléments qu’unit un lien d’imputation. « Ainsi le modèle signifié par l’article 1382 du Code civil, applicable à chaque fois qu’un fait humain cause un dommage, articule deux éléments : l’obligation de réparer mise à la charge de l’auteur du fait dommageable, conditionnée par le caractère fautif de ce fait. La relation de ces deux éléments forme le contenu de la norme, le second n’étant que la condition de survenance du premier et non la condition d’application de la règle prise dans son ensemble »522. Pour M. Amseleck convient dès lors« de distinguer soigneusement les normes conditionnelles proprement dites et les conditions, extérieures à la norme, d’application de cette norme à un objet : les premières conditions ont trait à l’articulation formelle du contenu des normes… ; les secondes visent les circonstances dans lesquelles un objet se voit appliquer une norme »523.

Il existerait donc pour une même norme des conditions externes – conditions d’application de la norme – et des conditions internes – conditions de réalisation de la norme. René Rodière distingue ainsi le « domaine de la règle » du « jeu de la règle » à propos de l’article 1386 du Code civil. Le domaine de la règle est déterminé par le dommage causé par la ruine du bâtiment, tandis que le jeu de la règle fait intervenir la preuve d’un vice de construction ou d’un défaut d’entretien524. Il procède ainsi à une séparation des éléments de la règle qui déterminent si elle est applicable à la situation en cause – révélant l’objet du droit – de ceux qui permettent finalement de dire si la règle aboutit à la désignation du responsable.

En réalité, c’est plus exactement à deux questions qu’il faudrait répondre pour connaître la sphère de compétence réelle de la norme. D’abord : « qui peut réparer » ? Cette question trouvant réponse à l’aide des conditions d’application de la norme.

On en déduit alors le domaine de la norme. Ensuite : « qui doit réparer ? ». Cette interrogation se résolvant grâce aux conditions de réalisation de la norme. Appliquée à l’article 1382 du Code civil, ce raisonnement conduit à identifier, dans un premier temps, la personne qui pourrait se voir imputer l’obligation de réparer, puis dans un second temps, à déterminer si cette obligation lui incombe effectivement parce que les conditions de réalisation du régime de responsabilité sont réunies. On considère généralement que trois conditions sont nécessaires à l’application de l’article 1382 du Code civil525 : la faute, le dommage et le lien de causalité entre les deux. Mais, en réalité, si l’on reprend la règle posée par cet article selon lequel « tout fait quelconque

522 A. JEAMMAUD, op. cit.,n° 121, p. 259 s.

523 P. AMSELECK, Méthode phénoménologique et théorie du droit, vol II, Bibliothèque de philosophie du droit, LGDJ, 1964, p. 261.

524 R. RODIERE, Cours de droit civil français de C. Beudant, Rousseau, 2ème éd., t. IX bis, 1952, n° 1579.

524 R. RODIERE, Cours de droit civil français de C. Beudant, Rousseau, 2ème éd., t. IX bis, 1952, n° 1579.