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La résolution des concours entre les règles de la responsabilité civile selon le critère chronologique

Le principe d’autorité, principe à vocation hiérarchique

B. La résolution des concours entre les règles de la responsabilité civile selon le critère chronologique

100. Résolution des concours à l’aide du critère chronologique. Une fois la place de la norme dans l’échelle du temps identifiée, il est possible d’utiliser le critère chronologique afin de résoudre les concours entre les règles de responsabilité civile extracontractuelle.

Pour obtenir une représentation, la plus large possible, des solutions que peut offrir ce principe, il paraît plus simple de se servir des différents faits générateurs de responsabilité. Deux situations semblent alors se distinguer. Dans la première, les deux normes en concours ont un fait générateur commun : ainsi, une même matière est concernée (1). Dans la seconde, les deux normes en concours ne partagent pas le même fait générateur, deux matières différentes sont alors en cause (2).

1. Des concours entre normes ayant un même fait générateur

101. Concours entre normes ayant le même fait générateur : exemples choisis. Le premier concours envisagé concerne la responsabilité du fait personnel.

Prenons une situation de concours entre la loi de 1881 et l’article 1382 du Code civil.

Les faits sont les suivants : une compagnie aérienne assigne une société de presse en paiement de dommages et intérêts sur le motif d’une atteinte à sa réputation. Elle lui reproche l’utilisation de son image dans un magazine consacré à la sécurité de l’espace aérien français, le magazine ayant publié un photomontage d’un avion caractéristique de cette compagnie s’écrasant sur la Tour Eiffel. La société demanderesse fonde sa demande sur l’article 1382 du Code civil, estimant que cette publication constitue un trouble manifestement illicite en portant atteinte à sa réputation et au droit de jouissance sur l’image d’un bien lui appartenant. Elle aurait pu tout aussi bien s’appuyer sur la loi du 29 juillet 1881 qui concerne justement la responsabilité des organes de presse notamment dans le cas d’une diffamation. Deux règles possibles de résolution du litige coexistent, le responsable pouvant être condamné pour faute par la voie d’une action de droit commun – article 1382 du Code civil – ou par la voie d’une action de droit spécial – articles 29 et suivants de la loi de 1881. Selon le principe de temporalité, la loi la plus récente est celle de 1881, c’est donc elle qui va permettre de trancher le litige. Le principe général de la responsabilité du fait personnel ne sera pas applicable339.

La deuxième hypothèse concerne la responsabilité du fait des choses. Si l’on prend le cas d’un dommage causé par un accident de la circulation survenu entre deux véhicules en mouvement, deux règles peuvent s’appliquer : la loi Badinter de 1985 qui concerne l’indemnisation des accidents de la circulation et le principe général de responsabilité du fait des choses développé par la jurisprudence depuis

339 C’est la solution retenue par la Cour de cassation, sans qu’il soit précisé sur quel principe elle s’appuie, Cass. 1ère civ., 30 mai 2006, Bull. I, n° 273 ; GP. 2006, pan., p. 24.

1896 et issu du Code civil de 1804. Or, suivant le principe de temporalité, c’est la loi la plus récente qui permet de trancher le litige. Le litige devra donc être résolu selon les seules dispositions de la loi Badinter340.

La troisième hypothèse concerne la responsabilité pour le fait d’un trouble de voisinage. Un concours est possible entre cette disposition et l’article 1384, alinéa 2, du Code civil qui concerne la responsabilité du fait des dommages consécutifs à une communication d’incendie. Deux hypothèses peuvent être émises. Soit on admet que la jurisprudence a créé ce régime de responsabilité. Dans ce cas, l’article 1384, alinéa 2, inséré dans le Code civil par une loi de 1922 est antérieur au régime de responsabilité pour troubles de voisinage posé par la jurisprudence en 1986. Donc, en application du principe de temporalité, c’est ce dernier régime qui doit être appliqué.

Soit on considère que seule la loi a pu créer ce régime. Dès lors, institué depuis 1804, le régime de responsabilité pour troubles de voisinage est antérieur à la loi de 1922.

C’est l’article 1384, alinéa 2, qui sera seul applicable.

La dernière hypothèse concerne la responsabilité du fait d’autrui. Le principe de temporalité peut être mis en œuvre pour un litige où sont applicables le régime de responsabilité du fait de la garde d’un état (article 1384, alinéa 1) et le régime de responsabilité des parents du fait de leurs enfants (article 1384, alinéa 4)341. Prenons l’exemple suivant : des mineurs sont confiés par une décision du juge des enfants à une association d’action éducative. Alors qu’ils se trouvent chez leurs parents qui les reçoivent dans le cadre d’un droit de visite avec l’approbation et sous le contrôle de l’association, ils commettent des agissements délictueux au détriment de tiers. Deux hypothèses sont à apprécier. Selon l’ordre chronologique précédemment établi, l’article 1384, alinéa 4, date de 1804 et l’article 1384, alinéa 1er, en tant qu’il permet de rechercher la responsabilité d’une association a été mis en place dans le Code civil en 1804, mais n’aurait été dégagé par la jurisprudence qu’en 1991. En vertu du principe de temporalité, c’est la règle la plus récente qui doit permettre de trancher le litige. Si l'on retient que le régime issu de l’article 1384, alinéa 1er date de 1991, il faut l’appliquer par préférence à l’autre disposition. En revanche, si l'on reconnaît qu’il

340 Comme dans l’arrêt précédent, la Cour de cassation aboutit à cette solution sans précision sur le fondement retenu, Cass. crim., 7 octobre 1986, Bull. crim., 1986, n° 271.

341 Pour une analyse de la jurisprudence concernant ce concours, M. HUYETTE, « Responsabilité des services éducatifs et accueil des mineurs en famille », D. 2002, J., p. 2750 ; G. VINEY, « Chronique de droit de la responsabilité civile », JCP. G. 2003, I. 154, n° 7 ; P. JOURDAIN, « Responsabilité parentale : des confirmations et une précision émanant de la chambre criminelle (à propos de la cohabitation) », RTD. civ. 2003, n° 6, p. 101 ; F. BOULANGER, « Autorité parentale et responsabilité des pères et mères des faits dommageables de l’enfant mineur après la réforme du 4 mars 2002. Réflexions critiques ». D.

2005, chr., p. 2245 ; J. FRANÇOIS, « Fait générateur de la responsabilité du fait d’autrui : confirmation ou évolution ? », D. 2007, chr., p. 2408 ; J.-B. THIERRY, « Le rôle de l’autorité parentale dans la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs », LPA. 7 janvier 2008, p. 4 ; J. HAUSER,

« Assistance éducative : modalité du droit de visite et responsabilité de l’association ou des parents d’accueil du mineur », RTD. civ. 2008, p. 667.

92 date de 1804, la difficulté est qu’ici les deux normes ont la même date d’apparition et que rien ne nous permet de dire comment résoudre ce concours342.

2. Des concours entre normes n’ayant pas le même fait générateur

102. Exemples de concours entre normes n’ayant pas le même fait générateur. Dans certains concours, les normes en cause n’ont pas le même fait générateur. Cette situation se rencontre, par exemple, lorsque la victime d’un accident de la circulation peut engager la responsabilité du conducteur mineur du véhicule ainsi que la responsabilité des parents de ce dernier. La loi Badinter et l’article 1384, alinéa 4, dont les conditions d’application sont réunies, entrent en concours. Selon le principe de temporalité, c’est la loi la plus récente qui s’applique.

La loi Badinter date de 1985, tandis que la responsabilité des parents du fait de leurs enfants date de 1804. Dès lors, c’est la loi Badinter qui se trouve être seule applicable au litige, sans que la victime ait la possibilité de choisir.

On pourrait aussi illustrer cette situation à l’aide d’un exemple dans lequel l’article 1382 se trouverait en concours avec l’article L. 121-29 du code de la consommation issu de l’ordonnance du 6 mai 2005, qui prévoit que l’entreprise est civilement responsable des démarcheurs même indépendants (donc en dehors d’un lien de préposition), qui agissent pour son compte. L’entreprise peut voir engager sa responsabilité pour avoir commis une faute ayant conduit son démarcheur à causer un dommage. Si l'on applique le principe de temporalité, il faudrait reconnaître que seul l’article L. 121-29 peut être employé.

342 Cf. infra n° 107.

§2. L’inopportunité du recours au principe de temporalité

103. Inopportunité du principe de temporalité. Le principe de temporalité combine en apparence simplicité de fonctionnement et fort rayonnement. Pourtant, ce principe ne remplit pas toutes ses promesses lorsqu’on l’applique à la responsabilité civile extracontractuelle. Les apparences sont, en effet, trompeuses : le critère chronologique sur lequel repose ce principe ne permet pas de répondre à toutes les questions qui peuvent être soulevées quant à l’ordonnancement des normes (A) ; en outre, il ne paraît pas adapté à la spécificité des normes de la responsabilité civile (B).

A. Les insuffisances du critère chronologique dans l’ordonnancement