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Les principes de la responsabilité civile ayant valeur de principes généraux du droit

66. Définition des principes généraux du droit et incidences sur les normes. « Les principes généraux du droit sont des règles de droit objectif, non de droit naturel ou idéal, exprimés ou non dans les textes, mais appliqués par la jurisprudence et dotés d’un caractère suffisant de généralité. Autrement dit, ils supposent un énoncé normatif, quelle qu’en soit l’origine, une effectivité qui en fasse des sources de droits et d’obligations, des sanctions en terme de licéité et de responsabilité et une place élevée dans la hiérarchie des normes »261. Certaines normes de la responsabilité civile répondent aux exigences de cette définition (1). Ce qui permet d’élaborer leur classement à partir de la valeur reconnue aux principes généraux du droit (2).

1. L’identification des principes généraux du droit dans la responsabilité civile extracontractuelle

67. Origine des principes généraux du droit. Afin de faciliter la recherche, il faut repartir de la définition précédente qui nous informe que ces principes peuvent être exprimés dans des textes (a) ou dégagés par la jurisprudence (b).

a. Les principes généraux du droit exprimés dans les textes

68. Caractères des principes généraux du droit. On reconnaît trois caractères à un principe général du droit : l’effectivité, la sanction et un énoncé normatif qui révèle une règle générale du droit262. Parmi ces trois caractéristiques, l’élément déterminant est la généralité. De celle-ci découle la distinction entre le principe et la règle de droit. En effet, pour M. Jean Boulanger, « si on peut dire que la règle de droit présente un caractère général, dans la mesure où elle est établie pour un nombre indéterminé d’actes ou de faits, on doit toutefois admettre qu’elle n’est pas dotée du même degré de généralité que le principe parce qu’elle ne fait que régir une situation juridique déterminée. Alors que le principe, lui, concerne une série indéfinie d’applications »263.

261 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Méthodes du droit, Dalloz, 4ème éd., 2003, p. 100.

262 Ibid.

263 J. BOULANGER, « Principes généraux du droit et droit positif », in Le droit privé français au milieu du XXème siècle, mélanges G. Ripert, LGDJ, 1950, T. I, p. 51 s., spéc. p. 56 s.

69. Identification des règles de responsabilité civile réunissant les caractères des principes généraux du droit. En matière de responsabilité civile, l’article 1382 paraît réunir ces caractéristiques. Le principe posé par l’article 1382 est bien effectif : il est source de droits et d’obligations pour les justiciables. Il est aussi sanctionné comme fait générateur de responsabilité. Il est enfin général. Pour de Greuille, ce principe n’admet point d’exception : « il embrasse tous les crimes, tous les délits, en un mot tout ce qui blesse les droits des autres »264. L’article 1382 du Code civil serait bien un principe général du droit265.

A la suite du fait personnel vient le fait des choses. Depuis l’arrêt Teffaine de 1896 et la jurisprudence qui a suivi266, les dispositions de l’article 1384, alinéa 1er, concernant la responsabilité du fait des choses ont pu être qualifiées de principe général du droit267. Par ses décisions, la Cour de cassation a dégagé un énoncé applicable à une série indéterminée de cas, l’article 1384 s’appliquant chaque fois qu’une chose dont on a la garde cause un dommage. De plus, l’utilisation qui en est faite par la jurisprudence et par la doctrine en montre l’effectivité comme la sanction.

Il est là aussi possible d’y voir un principe général du droit268.

Enfin, le dernier fait générateur de responsabilité exprimé dans un texte qui pourrait recevoir la qualification de principe général du droit est celui de la responsabilité du fait d’autrui. C’est avec l’arrêt Blieck du 29 mars 1991269 que s’est vraiment posée la question de la portée de l’article 1384, alinéa 1er 270. Plusieurs éléments entrent en compte pour dénier à l’article 1384, alinéa 1, la valeur de principe général de responsabilité du fait d’autrui271. Deux premiers arguments, repris de ceux

264 B. DE GREUILLE, « Rapport au tribunal », Rec. Fenet, t. XIII, p. 474.

265 Pour une étude très approfondie, v. J. TRAULLE, op. cit., p. 175 s., n° 189 s.

266 Cf. supra n° 49.

267 J.-P. GRIDEL, « La Cour de cassation française et les principes généraux du droit privé », D. 2002, chr., p. 228, spéc. p. 232, « Cette histoire jurisprudentielle de l’article 1384 montre qu’un principe peut n’être inscrit dans la législation qu’à titre de vœux pieux, mais que la conjonction entre sa force intellectuelle et les attentes d’une société en matière juridique conduisent parfois la Cour de cassation à en faire une pièce du droit positif ».

268 V. notamment, Ph. MALINVAUD et D. FENOUILLET, op. cit., p. 495 n° 629 ; Ph. MALAURIE, L.

AYNES et Ph. STOFFEL-MUNCK, op. cit., p. 92 ; M. BACACHE-GIBEILI, op. cit., p. 200 s., n° 176 s. ; R.

CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz, Cours, droit privé, 9ème éd., 2010, p. 201 s., n° 247 s.

269 Cass. AP., 29 mars 1991, Blieck, Bull. AP., n° 1 ; JCP. G. 1991, II. 21673, concl. H.-P. DONTENWILLE, note J. GHESTIN ; D. 1991, p. 324, note. Ch. LARROUMET, Ibid, chr. p. 157, G. VINEY; RTD. civ. 1991, p. 541, obs. P. JOURDAIN ; Resp. civ. Ass. 1991, chr. n° 9, obs. H. GROUTEL ; GP. 1992, p. 513, note F.

CHABAS.

270 Ph. BRUN, op. cit., p. 291. V aussi, P. JOURDAIN, « Existe-t-il un principe général de responsabilité du fait d’autrui ? », Resp. civ. Ass., HS., 2000, p. 5. Certains auteurs avaient déjà envisagé l’existence d’un régime général du fait d’autrui avant l’arrêt Blieck ; v. R. SAVATIER, « La responsabilité générale du fait des choses que l’on a sous sa garde a-t-elle pour pendant une responsabilité générale du fait des personnes dont on doit répondre ? », D. 1933, chr., p. 16.

271 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Nouvelles orientations en matière de responsabilité du fait d’autrui. A propos de l’arrêt de l’Assemblée plénière du 29 mars 1991 », RJDA, 1991, p. 487 ; M. JOSSELIN-GALL,

« La responsabilité du fait d’autrui sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er. Une théorie générale est-elle possible ? », JCP. G. 2000, I. 268.

70 qui ont été formulés à l’encontre d’un principe général de responsabilité du fait des choses, ne semblent pas pouvoir tenir. Ainsi, en est-il de l’argument historique – une telle portée donnée à l’article 1384, alinéa 1er, serait contraire à la volonté des rédacteurs du Code civil – et de l’argument exégétique – la formulation de cet article ne constitue qu’une simple redondance272. A côté de ces arguments peu pertinents, un autre élément, plus déterminant, est mis en avant pour lui refuser cette valeur : il s’avère qu’il n’existe pas réellement d’unité au sein de cette responsabilité du fait d’autrui, au point qu’on ne saurait parler d’un principe général. L’arrêt Blieck et la jurisprudence qui a suivi en la matière révèlent plutôt deux cas principaux de responsabilité du fait d’autrui. D’une part, l’article 1384, alinéa 1er, consacre un cas de responsabilité lié à la garde d’un état. On recherche ici celui qui détient l’autorité sur les personnes vulnérables ayant causé le dommage. A ce titre, on reconnaît, par exemple, une responsabilité des centres médico-pédagogique pour le fait des mineurs ou des majeurs handicapés mentaux qu’ils ont sous leur garde. D’autre part, cette même disposition permet d’identifier celui qui détient la maîtrise de l’activité d’autrui273. La responsabilité est ici liée à la garde d’une activité, comme pour la responsabilité des clubs sportifs pour les dommages causés par des joueurs à d’autres joueurs274. Ces deux applications distinctes de l’article 1384, alinéa 1er,

« reposeraient sur un fondement différent : risque autorité pour la première et risque activité pour la seconde et obéiraient à des conditions de mises en œuvre propres : caractère permanent du contrôle, dans le premier cas, qualité de professionnels des garants, dans le second »275. Or, cette dualité n’est pas compatible avec la qualification de principe général et surtout avec le critère de généralité. C’est pourquoi, bien que la disposition réunisse les deux

272 R. SAVATIER, art. précité. Savatier évoque ces arguments dans cette chronique datée de 1933, lorsqu’il s’interroge sur la possibilité de dégager un principe général de responsabilité du fait d’autrui.

V. concernant la responsabilité du fait des choses : J.-P. GRIDEL, art. précité, spéc. p. 232.

273 M. MARTEAU-PETIT, « La dualité des critères de mise en œuvre du principe de responsabilité du fait d’autrui », RRJ 2002-1, p. 255 ; Ph. BRUN, op. cit., p. 290 s ; M. BACACHE-GIBEILI, op. cit., p. 309, n° 285.

La dualité de la responsabilité du fait d’autrui a été reprise par le rapport Catala dont l’article 1355 énonce « on est responsable de plein droit des dommages causés par ceux dont on règle le mode de vie ou dont on organise, encadre ou contrôle l’activité dans son propre intérêt ». Toutefois, il ne s’agit pour les auteurs du rapport que d’un texte d’annonce des différents cas de responsabilité du fait d’autrui. P. CATALA (dir.), Avant-projet de réforme du droit des obligations, (articles 1101à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du Code civil), rapport à M. Pascal Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, 22 septembre 2005, p.157.

274 Dans une série d’arrêts, des associations ont été appelées en garantie pour répondre des actes réalisés par leurs membres, des sportifs, des chasseurs ou des scouts. Sur les sportifs : Cass. 2ème civ., 22 mai 1995, Bull. II, n° 155 ; JCP. G. 1995, II. 22550, note J. MOULY ; JCP. G. 1995, I. 3893, n° 5 , obs. G;

VINEY; RTD. civ. 1999, p. 899, obs. P. JOURDAIN ; D. 1996, som. p. 29, obs. F. ALAPHILIPPE ; Resp.

civ. Ass. 1995, comm. n° 289 et chr., n° 36 par H. GROUTEL ; LPA. 2 février 1996, p. 16, note S.

HOCQUET-BERG. Sur les chasseurs : TGI Cusset, 29 février 1996, JCP. G. 1997 II. 22849, note J.

MOULY. Sur les scouts : Paris, 9 juin 2000, Resp. civ. Ass. 2001, comm. n° 74, note L. GRYNBAUM.

275 M. MARTEAU-PETIT, art. précité, spéc. p. 270.

autres caractères d’effectivité et de sanction, on ne peut pas aujourd’hui affirmer qu’il existe un principe général de responsabilité du fait d’autrui276.

b. Les principes généraux du droit dégagés par la jurisprudence

70. Régime de responsabilité pour troubles de voisinage comme principe général du droit. On admet que les visas de la Cour de cassation peuvent révéler l’existence d’un principe général du droit277. Dans ces situations, le principe existe en dehors de textes précis : « il se trouve en suspension dans l’esprit de la loi et le juge l’y identifie »278. Sans être créés de toutes pièces, ces principes sont extraits par la jurisprudence de la loi ou de la coutume. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle, dès le XIXesiècle, invoqué le principe d’équité pour fonder des solutions prétoriennes telles que la reconnaissance de l’action de in rem verso279. En matière de responsabilité civile, elle a érigé en 1986 le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, qu’elle vise en tant que tel et

276 Ph. BRUN, op. cit., p. 292, n° 562 ; M. BACACHE-GIBEILI, op. cit., p. 324, n° 296. Contra Ph. Le TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2010/2011, n° 7366, pour l’auteur la responsabilité du fait d’autrui serait bien générale, la tâche de le qualifier de principe général revenant à la doctrine. Il en déduit alors que le régime général de responsabilité du fait d’autrui ne doit être admis qu’à titre subsidiaire. Toutefois, selon l’auteur, la responsabilité générale du fait d’autrui devrait être limitée aux personnes qui acceptent la charge d’autrui à titre onéreux et qui peuvent donc s’assurer plus facilement ; dans le même sens, Ph. Le TOURNEAU, J. JULIEN, « La responsabilité extracontractuelle du fait d’autrui dans l’avant-projet de réforme du Code civil », Etudes offertes à G.

VINEY, LGDJ 2008, p. 579, spéc. p. 584 . V. aussi, R. CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz, Cours, droit privé, 9ème éd., 2010,p. 209 s., n° 262 s., l’auteur constate que ce principe général va alors s’effacer devant une règle spéciale de responsabilité du fait d’autrui.

Allant plus loin, les membres du projet Catala ont choisi de supprimer la responsabilité générale du fait d’autrui. L’article 1355 qui dispose dans son premier alinéa qu’« on n’est responsable de plein droit des dommages causés par ceux dont on règle le mode de vie ou dont on organise, encadre ou contrôle l’activité dans son propre intérêt » ne serait qu’un texte d’annonce des différents cas de responsabilité du fait d’autrui. P. CATALA (dir.), Avant-projet de réforme du droit des obligations (articles 1101à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du Code civil), précité, p.157. Monsieur Brun explique que « puisqu’il s’agissait pour le groupe de réflexion de reconsidérer, d’une manière générale, le domaine de la responsabilité du fait d’autrui, il est apparu que, plutôt que de faire coexister ces développements de la jurisprudence Blieck avec les cas spéciaux originaires, sous la bannière assez peu significative d’un principe général lui-même peu suggestif, l’ensemble pouvait s’articuler autour de ce fondement dual. D’où la formulation de l’article 1355, à la fois générale et binaire, qui invite à distinguer ceux qui règlent le mode de vie d’autrui, et ceux qui encadrent ou contrôlent, dans leur propre intérêt l’activité d’autrui ». Ph. BRUN, « Avant projet de réforme du droit des obligations : le fait d’autrui. Présentation sommaire », RDC. 2007, p. 103.

Il en est de même dans le projet de réforme présenté par Monsieur Terré. V. F. TERRE, (dir), Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, Thèmes et commentaires, Dalloz, 2011, article 13 et s. Ce choix est commenté par Messieurs Mazeaud et Borghetti dans l’article suivant : « Imputation du dommage causé à autrui », in Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, (dir) F. Terré, Thèmes et commentaires, Dalloz, 2011, p. 149.

277 J.-L. BERGEL, op. cit., p. 101

278 Ibid.

279 Cass. req. 15 juin 1892, GAJC n° 227 ; DP 1892 I. 596 ; S. 1893 I. 281, note J.-E. LABBE.

72 utilise comme fondement pour une action en responsabilité280. En érigeant ce principe général du droit, la Cour de cassation fait de la théorie des troubles de voisinage pourtant assise sur le fondement de la propriété et du droit des biens, un principe autonome de responsabilité281. Cette théorie ne doit alors être confondue ni avec l’application de l’article 1382 du Code civil ni avec celle de l’article 1384 du même code282.

En définitive, trois normes ont été reconnues comme des principes généraux du droit, reste maintenant à les classer avec les autres normes de la responsabilité civile extracontractuelle. Pour cela, il faut s’intéresser à la place hiérarchique du principe général du droit.

2. La valeur des principes généraux du droit dans l’échelle des normes

71. Classement des principes généraux du droit dans la hiérarchie des normes. Dans une hiérarchie organique des normes, le principe général du droit n’a pas une place clairement établie (a). Tandis que, dans une approche matérielle de cette hiérarchie, la conclusion est tout autre, le principe ayant nécessairement une place privilégiée (b).

a. La valeur du principe général du droit selon le critère organique 72. Controverse sur la place des principes généraux du droit. Quel est le rang des principes généraux du droit au sein de la hiérarchie des normes ? La réponse à cette question est déterminante puisque de celle-ci dépendra l’application du principe général du droit lors d’un concours avec d’autres normes. Toutefois, bien que l’on perçoive aisément la portée de cette interrogation, elle n’est pas pour autant clairement tranchée. Cette question fait l’objet d’une controverse qu’il convient de rappeler.

Deux théories cherchent à identifier la place de ces principes dans une logique de hiérarchie formelle en se référant à l’autorité qui les a produits. Initialement, la

280 Cass. 2ème civ., 19 novembre 1986, Bull. II, n° 172, p. 116 ; RTD. civ. p. 315, obs. T. REVET. Ce régime a été repris dans de nombreuses décisions : Cass. 3ème civ., 23 novembre 1994, Rachez c/ Andréani, Inédit, n° 92-17794 ; Cass. 2ème civ., 28 juin 1995, Bull. II, n° 222 ; D. 1996, som. p. 59, obs. A. ROBERT ; RD Im.

1996, p. 175, obs. J.-L. BERGEL ; RTD. civ. 2004, p. 315, obs. T. REVET ; Cass. 3ème civ., 11 mai 2000, Bull.

III, n° 106 ; D. 2001, p. 2231, obs. P. JOURDAIN ; Dr.Pat. 1999, p. 107, note F. MACORIG-VENIER.

281 G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 8ème éd., 2007, n° 1102. Le

projet Catala prévoit un article (1361) sur la responsabilité de plein droit pour les troubles de voisinage, qui est inclu dans une section consacrée aux « dispositions propres à la responsabilité extracontractuelle », P. CATALA (dir.), Avant-projet de réforme du droit des obligations (articles 1101à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du Code civil), précité, p. 159.

282 A. PENNEAU, « De quelques nouvelles variations sur le thème de la théorie du trouble anormal de voisinage », Lamy droit civil 2006, n° 23 ; T. AZZI, « Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs », RTD. civ. 2007, p. 227.

thèse défendue est celle de leur valeur législative283. Cette position se retrouve en jurisprudence puisque plusieurs décisions du Conseil d’Etat font expressément mention des « principes généraux du droit ayant valeur législative »284. Puis, au sein d’une seconde thèse, est apparue l’idée que ces principes n’ont qu’une valeur infra législative. Ainsi, pour Chapus, « le rang des normes jurisprudentielles est dans une relation nécessaire avec celui qui occupe dans la hiérarchie des sources du droit la source formelle dont elles émanent »285. Or, le juge administratif étant à la fois serviteur et censeur des décrets, les principes généraux du droit ont donc forcément une valeur infra législative et supra décrétale286. Aujourd’hui encore, les deux thèses subsistent dans le contentieux administratif.

On pourrait alors se poser la question de savoir ce qu’il en est en droit privé.

Le premier constat que l’on peut faire est que la question se pose avec moins d’acuité.

On s’intéresse finalement plus à la portée de ces principes dans l’ordre judiciaire qu’à leur valeur. Des études ont ainsi démontré que ces principes permettaient de prévenir les excès du droit. La Cour de cassation a, par exemple, consacré le principe d’insaisissabilité des biens des personnes publiques287, afin de déroger au droit du créancier de mettre en œuvre contre son débiteur une saisie et ainsi d’empêcher la remise en cause de l’efficacité et de la continuité du service public288. Plus généralement, on a constaté que ces principes servaient à « circonscrire, comprendre, suppléer et corriger les dispositions textuelles »289. Ces études ne nous renseignent cependant pas sur la valeur des principes généraux du droit.

73. Valeur légale des principes généraux du droit. Pour parvenir à connaître la valeur de ces principes, il est possible de suivre la théorie selon laquelle

283L. FAVOREU, P. GAIA, R. GHEVONTIAN, J.-L. MESTRE, O. PFERSMANN, A. ROUX et G.

SCOFFONI, Droit constitutionnel, Précis droit public, Dalloz, 13ème éd., 2010, p. 217 s., n° 247 s. ; A.-S.

MESCHERIAKOFF, « La notion de principes généraux du droit dans la jurisprudence récente », AJDA 1976, p. 596, spéc. p. 607 : « il est impossible de déduire logiquement de la proposition selon laquelle le législateur peut modifier les principes généraux du droit, celle affirmant que les lois sont supérieures aux principes généraux du droit. En fait, les deux catégories de normes semblent bien situées au même niveau hiérarchique ».

284 CE. Ass., 7 février 1958, Syndicat des propriétaires de forêts de chênes-lièges d’Algérie, Rec. p. 74 ; AJDA 1958, p. 130 et p. 220, concl. GREVISSE, chr. FOURNIER et CAMBARNOUS ; CE. Ass., 19 février 1960, Fédération algérienne des syndicats de défense des irrigants, Rec. p. 129 ; CE., 2 juillet 1965, Duverger, Rec.

p. 407 ; CE., 28 mai 1982, M. Albert Roger, Rec. p. 192 ; RA 1982, p. 625, note P. PACTEAU. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat fait référence « au principe général du droit de valeur législative selon lequel nul ne peut accéder à un emploi public ni être maintenu à un tel emploi s’il ne jouit de l’ensemble de ses droits civiques ».

285 R. CHAPUS, « De la soumission au droit des règlements autonomes », D. 1960, chr., p. 119, spéc.

p. 124.

286 J.-M. MAILLOT, La théorie administrative des principes généraux du droit, continuité et modernité, préfacede J.-L. Autin, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque des thèses, vol. 26, 2003, p. 70 s., n° 108.

287 Cass. 1ère civ., 21 décembre 1987, Bull. I, n° 348 ; Rap. Ann. C. cass. 1987, p. 123 ; GAJC n° 104, p. 714.

288 P. SARGOS, « Les principes généraux du droit privé dans la jurisprudence de la Cour de cassation.

Les gardes fous des excès du droit », JCP. G. 2001, I. 306, spéc. p. 593.

289 J.-P. GRIDEL, art. précité, spéc. p. 228 s.

74 l’autorité du principe provient de la source dont il est issu. C’est d’ailleurs la voie suivie par une partie de la doctrine290. On devrait en déduire que si le principe émane de la loi, il aura valeur législative.

74. Application à la responsabilité civile extracontractuelle. En matière de responsabilité civile extracontractuelle, les principes généraux issus des articles 1382 et suivants du Code civil ont donc valeur législative. Quant aux principes dégagés par la jurisprudence en dehors de textes précis, on constate que, bien qu’ils ne soient pas expressément désignés par un texte, ces principes sont considérés comme étant

74. Application à la responsabilité civile extracontractuelle. En matière de responsabilité civile extracontractuelle, les principes généraux issus des articles 1382 et suivants du Code civil ont donc valeur législative. Quant aux principes dégagés par la jurisprudence en dehors de textes précis, on constate que, bien qu’ils ne soient pas expressément désignés par un texte, ces principes sont considérés comme étant