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Le secret médical,

Entre information et confidentialité

« Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers […] »281 : présent depuis Hippocrate sous la notion de confidentialité, rappelé par P.

281 Extrait du serment proposé en 1996 par l’Ordre national des médecins. Voici la version originale du passage traduit du grec par Émile Littré en 1844 : « Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant ma discrétion comme un devoir dans pareil cas ».

Ricœur dans la préface du Code de déontologie médicale de 1995, le secret médical est l’objet d’une très abondante littérature. Et si, dans le cadre de la relation de soin et du contrat médical ce qui lie tout d’abord soignant et soigné est la parole échangée qui ouvre le lien thérapeutique, le silence demeure à travers l’absolu du secret médical le fondement même de la relation : « Il n’y a pas de soins sans confidences, de confidences sans confiance, de confiance sans secret »282.

Le secret professionnel date du Code pénal de 1810 et fut ainsi commenté par le pénaliste Émile Garçon : « Le secret professionnel a uniquement pour base un intérêt social. Sans doute sa violation peut créer un préjudice aux particuliers, mais cette raison ne suffirait pas à en justifier l’incrimination. La loi punit parce que l’intérêt général l’exige. Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leurs missions si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. Il importe à l’ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n’oserait plus s’adresser à eux si l’on pouvait craindre la divulgation du secret confié. Ainsi l’article 378 a moins pour but de protéger la confidence d’un particulier que de garantir un devoir professionnel indispensable à tous. Ce secret est donc absolu et d’ordre public. »283

Sa règle est absolue et pourtant le secret médical n’apparaît en tant que tel dans le Code civil qu’en 1810 et ne devient un devoir du médecin dans le Code de déontologie qu’en 1941. Il ne représente que quelques lignes du Code de déontologie284

, et pas beaucoup plus dans le Code pénal : « La révélation d’une

information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est

282 B. Hoerni, Éthique et déontologie médicale , 2ème édition, Paris, Masson, Juin 2000.

283 É.Garçon, (1851-1922) Code pénal annoté, art 378, n°7, 1897. Article devenu actuellement l’article 226.13 du Code pénal.

284 L'article R4127-4 CSP, article du Code de déontologie médicale, « Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais également ce qu’il a vu, entendu ou compris. »

punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende »285. Un respect impératif et non sans raison, car sans lui le patient oserait-il donner au médecin toutes les informations, même les plus intimes, nécessaires à l’établissement du diagnostic ? Et s’ils n’avaient pas la certitude que la discrétion sur un diagnostic préjudiciable pour la vie sociale ou personnelle serait protégée, certains patients se feraient-ils soigner ?

Jean est hospitalisé dans un service de chirurgie, il est atteint du sida et nous sommes dans les débuts de l’épidémie. L’équipe, inquiète et peu informée, multiplie les précautions : double paires de gants, masques, surblouses, affiche sur la porte, sac jaune pour les déchets à l’entrée… Le patient s’affole de cette visibilité. Il dit un matin « si j’avais su je n’aurais rien dit ».

Le secret protège autant l’individu que la société, c’est pour cela qu’en dépit des dilemmes impossibles auxquels il soumet parfois les professionnels et malgré les transgressions que nous commettons parfois au nom de la compassion son respect doit rester la règle impérative.

La confidentialité dans le cadre du colloque singulier, facile à concevoir et toujours difficile à tenir, peut laisser place à un secret partagé, mais non moins absolu, dont les contours sont flous et la maîtrise compliquée. Le troisième alinéa de l’article L.1110-4 a ainsi posé les bases légales de ce partage : « Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe ». Certaines enquêtes286 mettent en

285 Art. 226-13 du Code pénal a remplacé le célèbre article 378 (L. 21 févr. 1944, validée par Ord. No 45-1420 du 28 juin 1945) : « Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende (L. no 56-1327 du 29 déc. 1956, art. 7 ; L. no 85-835 du 7 août 1985) « de 500 F à 15 000 F ».

286 Cf. http://www.fairwarning.com/France/pressreleases/2012-01-PR-COMMUNIQUE-ETUDE.pdf. FairWarning est un site en plusieurs langues consacré à la protection de la vie privée. La seconde partie de l’enquête révélait que les personnes interrogées (1500 en France par sondage numérique) pensent à plus de 90% que le dossier informatisé est un apport majeur mais près de la moitié est inquiète sur sa sécurité. Quand on sait que le site fournit des solutions informatiques pour le respect des données, on peut imaginer que certaines questions du sondage sont orientées. Mais les

évidence que 50 % des patients européens taisent des informations sensibles de crainte de non-respect de la confidentialité. Pour les mêmes raisons, il peut être délicat pour un professionnel de santé d’être soigné dans l’établissement où il travaille. La confiance dans le respect de la confidentialité peut donc avoir une répercussion directe sur la qualité des soins : le fait de taire des informations sensibles importantes peut biaiser le diagnostic et ne pouvoir se faire soigner dans le lieu le plus adéquat peut rendre un parcours de soin extrêmement difficile.

Mais derrière le secret, là où auparavant il n’y avait que paroles confiées, vies entrevues, signes diagnostiqués, se profile désormais « l’information ». Nous pourrions même dire se bouscule l’information, tant elle devient diverse, abondante et multiforme, tout à la fois puissante et manipulée : une information que le patient attend, exige parfois, mais qu’il peut aussi refuser d’entendre287

. La loi du 4 mars 2002, suit en cela le Code de déontologie médicale (art. 35) consacrant un droit du patient de ne pas savoir, et donc en regard pour le médecin un devoir de discrétion envers le patient lui-même. Le médecin reste alors le seul dépositaire du secret médical, ne partageant avec le patient que le silence consenti, dernier refuge de la confiance.

Le devoir d’informer et le droit à l’information

Le droit à l’information est lié au respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne, à laquelle sont rattachées les notions d’autonomie, de liberté et d’autodétermination. Pour que le patient soit en mesure d’exercer son autonomie, et il ne peut l’être que si sa décision est libre et éclairée, il est nécessaire qu’il soit informé avec le plus d’exactitude et le moins de restrictions possibles, comme cela aurait dû être fait pour Issam.

L’information, avant d’être un droit formel de la personne, fut d’abord un devoir du professionnel dans le Code de déontologie :

premières données renseignées n’en sont pas moins intéressantes. La protection des données sensibles médicales fait l’objet d’une législation récente : le Programme Hôpital Numérique 2012-2016, le décret confidentialité du 15 mai 2007 et le Décret Hébergeur de Santé (n°2006-6 du 4 janvier 2006). Des affaires récentes de divulgation sur le net de dossiers de patients semblent confirmer ces craintes même si cela reste exceptionnel. Cf. http://www.actusoins.com/12771/des-donnees-medicales-confidentielles-accessibles-sur-le-web.html

287 La loi du 4 mars 2004, suit en cela le Code de déontologie médicale (art. 35) consacrant un droit du patient de ne pas savoir et donc en regard pour le médecin un devoir de discrétion envers le patient lui-même, discrétion qui s’apparente au tact et à la prudence.

« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. Toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination. Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite.»288

L’article sera modifié en 2012, effaçant le passage central de l’article289 et donc enlevant au médecin la possibilité légale de tenir le patient dans l’ignorance290.

La nature, le contenu et les limites de cette information ont longtemps été laissés à l’appréciation du médecin. N’obéissant auparavant qu’à la seule conscience et à l’éthique du praticien, sa délivrance relève désormais, également, d’un droit qui s’impose avec force depuis la loi de 2002 dans l’article L.1111-2, et que les jurisprudences de 2010 ont définitivement assis.

« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver.

288 Article 35, Code de déontologie médicale (décret n°95-1000 du 6 sept.1995).

289 Que nous avons mis en caractères romains pour plus de lisibilité.

290 Décret n° 2012-694 du 7 mai 2012 portant modification du Code de déontologie médicale , l’article 35 devenant l’article R.4127-35 du Code de la santé publique. « Le médecin doit à la personne qu’'il examine, qu’'il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de contamination. Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite ».

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser.

Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel […]. »

Les récentes jurisprudences, autorisant certains à annoncer, la mort du contrat médical291, ont concerné le manquement à l’information du patient. À l’estimation de la perte de chance qui peut déclencher la demande d’indemnisation, s’est rajouté le préjudice moral, indépendamment du préjudice physique qui pouvait déjà ouvrir droit à réparation. Citant l’arrêt du 3 juin 2010 (civ. 1, 3 juin 2010, n° 09-13.591), Pierre Sargos292

tient à rappeler que « l’obligation du médecin d’informer son patient est fondée sur la sauvegarde de la dignité humaine : que le médecin manque à cette obligation fondamentale cause nécessairement un préjudice à son patient, fût-il uniquement moral, que le juge ne peut laisser sans indemnisation : qu’en décidant au contraire que M. S. n’aurait perdu aucune chance d’éviter le risque qui s’est réalisé et auquel le docteur P. l’a exposé, la cour d’appel a violé les articles 16-1, 16-2 et 1147 du Code civil ». Désormais la réparation du préjudice moral devient non seulement possible, mais obligatoire en cas de manquement au devoir d’information, même dans le cas où le patient aurait accepté de courir le risque grave en l’absence de toute autre thérapeutique. Trois ans plus tard, l’arrêt du 29 octobre 2013293, statuant sur un défaut d’information, se fondera non plus sur l’article 1147, mais sur le Code de santé publique. Aux yeux des juges, un droit aussi fondamental que le droit d’information ne pouvait pas rester sans indemnisation en cas de manquement. La détermination d’un montant élevé et non symbolique de l’indemnisation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, devrait encore renforcer le principe du respect de la dignité humaine et inciter par là même les professionnels à respecter ce droit.

291 D. Bert, « Feu l’arrêt Mercier », Recueil Dalloz 2010, p. 1801

292 P. Sargos, « Deux arrêts « historiques » en matière de responsabilité médicale générale et de responsabilité particulière liée au manquement d’un médecin à son devoir d’information », Recueil

Dalloz 2010, p. 1522.

293 Arrêt du 29 octobre 2013 n°1204124/6-2, TA de Paris, concerne le jugement pour défaut d’information d’une patiente ayant eu le nerf récurrent sectionné lors d’une opération de la thyroïde. Le tribunal n’a pas retenu le document de consentement signé par elle, comme une preuve probante d’une information suffisante sur une complication prévisible. Il a évalué à 30% l’ampleur de la chance perdue par Mme X de se soustraire au risque de paralysie laryngée si elle avait refusé l’intervention. http://basedaj.aphp.fr/daj/public/index/display/id_fiche/11585