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L’arrêt Mercier

Il est intéressant de connaître les faits qui ont conduit en 1936 à la jurisprudence de l’arrêt Mercier261

fondateur de la notion de contrat entre un médecin et son patient.

La notion de relation contractuelle a été conçue à l’origine dans le cadre d’une médecine de famille et concernait une relation entre deux personnes mutuellement engagées. La notion de secret médical et de confidentialité s’inscrivait au cœur d’une relation de proximité et de confiance. La médecine s’était professionnalisée, des progrès importants notamment dans le domaine de la chirurgie et de l’hygiène avaient été faits, mais nous étions encore loin du bond que la découverte des antibiotiques et le développement de la réanimation allaient entraîner, et plus encore aujourd’hui avec l’essor de la génétique.

Revenons aux faits : une patiente atteinte d’une affection nasale fut soignée en 1925 par rayon X. Suite à ce traitement, la patiente développa une radiodermite de la face. En 1929, elle et son mari demandèrent des dommages et intérêts au médecin radiologue qu’ils estimaient responsable de ces « blessures » par imprudence. Le médecin invoqua la prescription triennale recouvrant les délits pour coups et blessures involontaires, afin d’éviter l’indemnisation. La Cour de cassation, souhaitant se dégager de cette limite dans la réparation posée par la qualification pénale de délit, estima qu’il y avait entre le médecin et le patient un véritable contrat, c’est-à-dire un engagement à donner des soins, non pas quelconques, mais, « consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science ». La violation, même involontaire, de cette obligation étant

261 « Dr. Nicolas c/époux Mercier », Cass.civ., 20 mai 1936, D.P. 1936, 1, 88, concl. Matter, rapp. Josserand, note E.P. ; S. 1937, I, 321, note A. Breton; R.T.D.C., 1936, 691, obs. Demogue ; Gaz.

sanctionnée par une responsabilité contractuelle d’une prescription de 30 ans, pour faute, le médecin dut indemniser la patiente.

L’arrêt fut ainsi rédigé : « Mais attendu qu’il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat, comportant, pour le praticien, l’engagement, sinon, bien évidemment, de guérir le malade, ce qui n’a d’ailleurs jamais été allégué, du moins de lui donner des soins non pas quelconques, ainsi que paraît l’énoncer le moyen du pourvoi, mais consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science; que la violation, même involontaire, de cette obligation contractuelle, est sanctionnée par une responsabilité de même nature, également contractuelle […] »262. À l’époque le principe contractuel fut très critiqué, bien que deux jugements antérieurs annonçaient déjà ce changement263, et il fallut deux confirmations par la Cour de cassation en 1937 et en 1938 pour finir par l’imposer. C’est sur ce socle que s’est constitué le droit médical jusqu’en ce début de XXIe siècle, fondant les droits et obligations des parties de ce contrat, dont aujourd’hui encore on tente de cerner l’exacte nature.

Avant tout c’est un contrat de droit civil, mais l’objet auquel il s’applique, l’acte de soin sur le corps de la personne malade, a imposé des solutions particulières que ce soit l’obtention du consentement, la délivrance de l’information, l’assentiment qui maintient le cours de la relation (c’est un contrat à exécution successive). L’ordre public intervient, par le principe de protection de l’intégrité et de la dignité de la personne, et la relation contractuelle singulière s’inscrit dans un souci de santé publique qui influence les conditions du contrat.

Le contrat médical est réputé synallagmatique264, c’est-à-dire un contrat avec obligations réciproques. Le médecin se trouve dans l’obligation de faire quelque chose : accueil du patient, conseils, soins et surveillance265

. Les obligations du

262 Cité par G. Mémeteau, Cours de droit médical, Bordeaux, Les Études Hospitalières, 2001, p. 244.

263 G. Mémeteau signale deux décisions judiciaires du 18 juin 1835 et du 21 août 1839. Il rapporte également la reconnaissance d’un lien contractuel dans les Traités de droits de C. Aubry et C. Rau (1871) ou ceux d’Appleton et Salama (1931), id., p. 243-247.

264 Id., p. 245.

265 L’objet de l’obligation doit relever de l’activité médicale telle que la loi la qualifie : nous pourrions citer la stérilisation de convention il y a quelques années, les mutilations rituelles aujourd’hui qui ne sont pas couvertes par la protection juridique du contrat médical. D’où le souci pour certains de faire reconnaître la chirurgie modificatrice (non réparatrice), comme nécessité médicale. Le second aspect de cette reconnaissance serait évidemment une prise en charge par l’assurance maladie.

patient sont de deux ordres : rémunérer le médecin et suivre ses conseils. Nous pourrions également l’envisager comme un « contrat incomplet », puisque l’objet de ce contrat se construit au fur et à mesure, et souvent la nature des soins n’est pas déterminable lors de l’engagement réciproque du malade et du médecin. Il a aussi bien des caractéristiques du « contrat d’adhésion » : en effet de plus en plus souvent le patient adhère à une offre de soins préexistante, où les normes de diagnostic et de traitement sont définies, non par son médecin, mais par des experts.

C’est un contrat conclu intuitu personae266

, ce qui signifie que le médecin choisi par le patient, et qui accepte la relation, s’engage à fournir personnellement les soins. C’est d’ailleurs ce point-là qui fit dire au Professeur Portes cette phrase célèbre : « Tout acte médical n’est, ne peut être et ne doit être qu’une confiance qui rejoint librement une conscience »267. Nous voyons que, même sous cet angle-là, le contrat ne répond pas totalement et réellement à cette règle, puis que le traitement est souvent décidé et mis en œuvre par d’autres personnes que celle avec laquelle le patient a initialement et personnellement contracté.

Cette question de savoir si la relation contractuelle médecin-malade est bien un contrat fait l’objet de bien des débats spécialisés 268

notamment après la promulgation de la loi du 4 mars 2002. J. Savatier écrivit d’ailleurs que « ce contrat original n’a pas été prévu et organisé par le Code. Il ne reste qu’à en construire les règles selon les besoins en respectant le droit commun des conventions. Les usages professionnels tracent d’ailleurs le profil de la relation professionnelle et les obligations qu’elle engendre […] »269

.

266 Le libre choix du patient entraîne l’obligation pour le professionnel, de fournir personnellement les soins promis. Cf. G. Mémeteau, op.cit., p. 246. Ce qui aujourd’hui est difficilement pensable et réalisable.

267 Commentaire du Code de déontologie médicale, cité par F. Dreyfuss-Netter, dans l’avant-propos du rapport 2007 de la Cour de cassation.

268 Nous pouvons renvoyer à deux thèses de droit opposées qui ont été présentées lors du séminaire du RISES du 26 février 2004 sur la relation médecin-patient : Marion GIRER, « Le contrat médical : la fin d’un concept », et Bérénice CAMHI, « le contrat médical : vers le renouveau d’un concept ». Actes du séminaire [en ligne] http://www.univ-lyon3.fr/23415073/0/fiche_71__pagelibre/

Il faudra attendre les jurisprudences du 28 janvier et du 3 juin 2010270 autour de l’obligation d’information pour que s’amorce concrètement l’effacement progressif de la notion de contrat. Il n’en reste pas moins qu’il est toujours difficile, pour les professionnels et les patients, de saisir la nature juridique exacte de la relation. Alors que la notion de contrat a été souvent combattue comme une atteinte à la confiance qui devrait fonder la relation de soin, il y a un attachement paradoxal qui subsiste à ce concept qui signifie, plus que ne peut le faire une loi qui s’impose « d’au-dessus », l’engagement réciproque librement consenti entre deux individus. Il en reste une fiction tenace, qui réfute la réalité juridique et même sociale, mais dit combien, au-delà des faits et des actes, il reste essentiel aux yeux de tous que l’intention morale soit au cœur de la relation médecin-malade. Une utopie peut-être, mais pas sans fondement, une réalité également, car la relation de soin reste en dépit des réductions juridiques, la rencontre de deux subjectivités.