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L’obligation de soins consciencieux

De l’obligation de moyens…

Voici un point épineux du contrat de soin qui a suscité ces dernières années notamment l’intérêt des assurances et donc des législateurs, mais aussi de l’opinion publique. Se jouent ici des débats scientifiques, déontologiques, mais surtout juridiques et politiques. Si ces débats sont publics, c’est au lit du malade dans le cadre du colloque singulier que leurs conséquences auront leurs effets, et pas toujours pour le meilleur bénéfice du patient.

Entre la liberté de prescription et le droit à l’accès à des soins validés se situe la notion « d’obligation de moyens » à laquelle est tenu le médecin et à laquelle peut prétendre le patient. C’est la « découverte » en 1925302 de la distinction entre « obligation de moyens » et « obligation de résultat » qui rendit possible l’arrêt Mercier. En effet, cette distinction permit qu’au sein du contrat noué par le patient et le médecin certaines obligations ne puissent être que de moyens « consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science », le résultat, lui ne pouvant être garanti. La qualité des soins devenait ainsi une obligation contractuelle, qui pouvait donner lieu à indemnisation si cette obligation n’était pas remplie.

Cette obligation de moyens, qui concerne autant les ressources techniques, que les connaissances et les compétences, s’appuie sur une obligation légale de formation continue progressivement renforcée depuis 1996303. Lors d’une étude publiée en 2005, le Conseil national de la formation médicale continue304 avançait que, malgré 7 à 12 ans de formation initiale, 50 % des connaissances médicales

302 R. Demogue (1878-1938), Traité des obligations en général, Paris, Rousseau, 1923-1933, t. 5, no1237, p. 536 et t. 6, no 599, p. 644.

303 Avant 1996 et surtout les textes de 2003, elle était pour les médecins une obligation déontologique (art. 11 du CDM). Elle est désormais une obligation légale, quel que soit le mode d’exercice du médecin, formalisée au plan individuel, cf. articles L. 4133-1 à L. 4133-8 du CSP. L’obligation de formation médicale a été progressive, depuis 1996 (ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996) se poursuivant avec la loi du 13 août 2004, soumettant tous les médecins à l’obligation d’EPP (Évaluation des Pratiques Professionnelles) qui sera définie dans le décret du 14 avril 2005.

304 Cf. Présentation de la FMC, obligatoire en France depuis le décret du 14 novembre 2003, arrêté du 13 juillet 2006, dans un rapport consultable sur le site du ministère de la Santé : http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/diapos_fmcph.pdf

étaient obsolètes au bout de 7 ans ! Nous comprenons mieux que l’obligation de formation est le seul moyen de donner des soins « conformes aux données acquises de la science », dont la formulation déontologique a été ainsi reprise dans l’article L.1110-5 :

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. […]Les dispositions du premier alinéa s’appliquent sans préjudice de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produit de santé […].»

La dernière phrase du texte prend toute sa force avec l’éclatement médiatique des affaires du Médiator (2010), des prothèses mammaires (2010-2012) et la très récente affaire des prothèses de hanche non certifiées (avril 2013).

… à l’obligation de résultat

Parallèlement, nous voyons apparaître à la périphérie du principe de l’obligation de moyens, de plus en plus de situations qui vont dans le sens d’une obligation de résultat qui s’est imposée dans le domaine de l’organisation de soins. La permanence, l’accès et la continuité des soins qui représentent des missions de service public305 organisées par les ARS306 sont en effet soumis à une obligation de résultat et font l’objet d’un contrat pluriannuel d’objectif et de moyen (CPOM) entre les tutelles et les établissements307 qui serait « un contrat de confiance pour une gestion moderne, solidaire et efficace », comme il est écrit sur le site du ministère des Affaires sociales et de la Santé.

Dans un lien contractuel, les deux parties s’entendent certes sur un résultat pour lequel elles déterminent les moyens. Mais dans le cas de la relation de soin sur quel résultat s’entendre : la réussite du traitement, la fiabilité des données, la sécurité

305 Le terme, qui avait disparu de la loi HTPS au profit de « missions » transférables de service public, devrait refaire son apparition dans la loi selon les propos tenus dans la presse par le ministre de la Santé, Marisol Touraine, en septembre 2012.

306 Agence Régionale de Santé.

307 http://www.social-sante.gouv.fr/espaces,770/personnes-agees-dependance,776/informations- pratiques,1329/les-etablissements-et-services,853/contrats-pluriannuels-d-objectifs,6998.html

des traitements et des actes ? Le professionnel, pas plus que la médecine aussi triomphante soit-elle, ne peuvent promettre la guérison, mais la finalité de l’acte de soin n’en est pas moins, soit la restauration de la santé, soit le maintien d’un état satisfaisant compte tenu de l’évolution de la maladie. P. Pierre308 précise dans un article sur la responsabilité médicale, que « rien n’interdit à un praticien, liberté contractuelle obligeant, de s’engager volontairement à l’obtention d’un résultat précis, tels les effets géométriques d’une opération esthétique ». Et il se pourrait que le flirt permanent avec la promesse de réussite, par des médecins éblouis par la technicité, et encouragés par les exigences utopiques, mais compréhensibles des patients, puisse bien un jour ruiner l’obligation de moyens. Ce qui fait dire à D. Saadoun que le droit évolue, non pas vers la reconnaissance de l’obligation de résultat, mais « de l’obligation qu’ils soient à la mesure de la confiance qu’on peut accorder aux moyens »309.

Cette réflexion sur la porosité actuelle entre obligation de moyens et obligation de résultat rejoint la réflexion sur les notions de risque, de prévention et de précaution. Actuellement l’obligation de résultat dans le domaine de la santé se limite principalement à une obligation de sécurité qui s’impose de façon de plus en plus contraignante aux professionnels et surtout aux institutions de soins310. Dans les années 1990 des affaires telles que celles du sang contaminé311, de l’hormone de croissance et de la vache folle, aujourd’hui celle du Médiator®, ont accéléré la prise de conscience et l’imputabilité des responsabilités. L’obligation de sécurité concerne principalement aujourd’hui : les infections nosocomiales, les produits médicamenteux, les produits sanguins et les vaccins. Lié à la volonté d’une meilleure qualité des soins dans un objectif de santé publique, mais également

308 Philippe Pierre, « La responsabilité civile médicale » in Philosophie, éthique et droit de la

médecine, op.cit. p. 332.

309 Daniel Saadoun, « Le patient, entre droit et revendication : la médecine saisie par le droit », La

judiciarisation de la médecine, sous la direction de D. Dreyfuss, F. Lemaire, H. Outin, Actes des

Journées d’éthique médicale Maurice Rapin, Flammarion, Paris, 2004, p.19.

310 L’affaire des prothèses mammaires PiP distribuées dans toute l’Europe, obligera à une refonte complète de la directive 2007/47/ce du Parlement Européen et du Conseil du 5 septembre 2007, modifiant la directive 90/385/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs, la directive 93/42/CEE du Conseil relative aux dispositifs médicaux et la directive 98/8/CE concernant la mise sur le marché des produits biocides . Malgré la soumission à de nombreux textes législatifs, les autorités sanitaires nationales (l’AFSSAPS en France) et européennes ayant été incapable de repérer la fraude.

311 « Affaire du sang contaminé», Wikipédia l'encyclopédie libre,

d’indemniser des patients victimes d’aléas ou de fautes, ce droit est complexe312 et évolue rapidement au gré des jurisprudences et des progrès techniques. Ces exigences de sécurité sanitaire ont un impact économique très important sur les établissements de santé, ainsi que sur les primes d’assurance, générant un débordement de protocoles censés garantir l’exécution sur le terrain de soins de qualité en toute sécurité pour le patient. On observe ainsi un engouement pour les procédures qui pourraient, appliquées de façon standard dans la crainte d’une plainte, aller finalement à l’encontre de la personnalisation et donc de l’humanisation des soins.

La notion de liberté de prescription et celle d’obligation de moyens ont eu, depuis l’arrêt Mercier, bien des implications qu’il était difficile d’imaginer en 1936. Elles concernent à la fois la liberté, la déontologie et la technique du médecin, et trouvent un écho dans l’attente et les droits des patients. Ces derniers, du reste assez ambivalents, sont rassurés à l’idée d’un égal accès à des ressources de soins de qualité, mais craignent l’acharnement thérapeutique. Ils se montrent néanmoins inquiets qu’une limite, même raisonnée, soit imposée au pouvoir de leur médecin et puisse les desservir. Paul Ricoeur parlait en 1996, dans son article « les trois niveaux du jugement médical », des attentes parfois excessives des patients envers la médecine et les médecins, attentes qui ne peuvent que croître avec les annonces précoces et bien souvent imprudentes des avancées technologiques. Un rapport publié pour les dix ans de la loi du 4 mars 2002 observait que « … les progrès de la médecine ont contribué à faire naître chez les malades le sentiment d’un quasi-droit à la guérison qui rend de plus en plus insupportable l’aléa thérapeutique »313.

Les affaires citées plus haut et celle plus récente des prothèses en silicone ont profondément choqué l’opinion publique. La majorité des personnes, que l’on ne peut tout de même pas qualifier toutes de naïves, faisait aux laboratoires la même

312 Cf. « Infections nosocomiales », in Les grandes décisions du droit médical, op.cit. Il y est fait l’inventaire sur 20 ans de l’évolution de la responsabilité liée à la contraction par un patient d’une infection nosocomiale et de la diversité des jugements rendus, même si la loi du 4 mars 2002 a sur ce point unifié les responsabilités entre privé et public.

313 Cf. p 93 du Bilan et propositions de réformes de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Ceretti Alain-Michel, Albertini Laure, ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé; Secrétariat d’État à la santé, Paris, février 2011, 310 pages. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/114000096/index.shtml.

confiance qu’envers le monde de la santé et qu’envers leur médecin : tous les professionnels sont censés œuvrer pour le bien des malades. L’idée de tirer un profit est une réalité admise, mais pas au détriment des patients, ni surtout en les mettant cyniquement en danger. Nous avons du mal à reconnaître que les pratiques les moins morales du monde marchand peuvent envahir le monde de la santé et que la course à la technique favorise cela. La forme la plus minimale de la confiance est de s’attendre à ce que l’autre ne cause pas préjudice, on retrouve ici le « primum

non nocere » d’Hippocrate. Le deuxième niveau est de s’attendre à un bénéfice de

l’action d’autrui. Dans ces affaires la confiance a été trahie sur ces deux niveaux, mais également la confiance dans les institutions chargées du contrôle. Nous percevons ici la nature complexe et dynamique de la confiance du patient envers un soignant. Ce dernier est-il conscient que la confiance interindividuelle qui lui est accordée est constituée de tout un enchâssement de jugements et d’actes de confiance ? Et, quand il estime légitime qu’on lui fasse confiance, jusqu’où cette confiance doit-elle aller et jusqu’où peut-il en répondre ?

C’est dans ce contexte en constante recherche d’équilibre entre les moyens dont nous disposons, ceux à mettre en œuvre et le respect des droits des patients, que surgit la question de la responsabilité et de l’indemnisation.