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Le consentement et l’information dans le contrat

Du temps de Napoléon et de la rédaction du Code civil, il existait une seule méthode pour conclure un contrat : des pourparlers oraux précédant la conclusion en présence des deux parties. Dès la seconde moitié du XIXe siècle vont se rajouter à cette méthode classique, qui reste toujours valide, des dispositifs nouveaux générés par l’économie moderne : contrats par correspondance, contrats d’adhésion ou contrats prérédigés. Ces outils vont restreindre la possibilité qu’avait une des parties de connaître non seulement la déclaration, mais la volonté réelle de son partenaire envers lui et d’influer sur la rédaction des clauses. Ces contrats, qui répondent en grande partie au besoin de protéger le contractant le plus faible, n’en restreignent pas moins la liberté individuelle, même si celle-ci est juridiquement respectée dans son principe.

C’est toujours l’accord des volontés, et donc le consentement, qui forme le contrat, mais ce contrat s’appuie également sur un projet commun : comme désormais nous maîtrisons de moins en moins la négociation des clauses, c’est en conséquence sur l’information préalable que vont reposer la qualité et la validité de la décision de consentir. D’où ce sentiment d’un déséquilibre, puisque la force de l’engagement se concentre sur le moment parfois très court de la décision. Les questions de l’information, de la crédibilité et de la fiabilité, et de la réputation

257 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, plusieurs fois modifiée et consolidée en juin 2011.

deviennent donc primordiales pour établir le mouvement initial de confiance. Or il est souvent nécessaire pour s’informer de devoir se référer à des écrits, puisqu’il est généralement impossible d’avoir en face de soi la personne qui a élaboré le contrat (si tant est qu’il n’y ait eu qu’un unique rédacteur). Cela nous enlève la possibilité de juger, par le jeu de la relation et de l’échange verbal, de ses dispositions à notre égard258. L’attitude du cocontractant, sa sympathie, sa capacité à répondre aux questions, un sentiment de franchise émanant ou non de lui, sont encore souvent pour nous les signes les plus fiables. Nous passons donc en revue toutes une panoplie de critères verbaux et non verbaux pour juger de la véridicité du discours et de la fiabilité des informations, surtout si les seuls renseignements que nous pouvons avoir dépendent de la personne en face de nous. Les commerciaux de tous types, du maquignon vendant sa jument jusqu’au banquier essayant de placer un crédit, en connaissent d’ailleurs bien les ficelles, tout l’art de l’acheteur étant de voir au-delà des apparences et du scénario de vente bien rodé. Il n’y a pas plus de méfiance aujourd’hui qu’avant, il y a seulement d’autres moyens moins intériorisés, et donc plus visiblement affichés et normalisés, d’y faire face. L’écrit prend ainsi une place inflationniste, avec le risque pour les personnes, qui manient mal l’écrit ou la lecture, d’une vulnérabilité supplémentaire259.

En dépit de sa virtualité, l’information est devenue elle-même un bien ayant une valeur marchande, voire politique260 et qui doit être encadré et protégé. La réalité ou la concrétude de l’objet, qui fait partie des règles de droit fondatrices du contrat, s’applique désormais à l’information. La nécessité de vérifier l’information est devenue cruciale, car, potentiellement objet de l’examen par la justice, l’information doit être définie, consultable et vérifiable, et donc écrite, avec la double contrainte d’être tout à la fois accessible et inviolable. Le poids de l’écrit et de l’infalsifiabilité de l’information est donc devenu beaucoup plus important avec le développement de l’informatisation, et notamment pour le sujet qui nous

258 Il n’est pas inhabituel lors de transactions importantes − comme l’achat d’une maison, ou une demande de prêt − de voir le demandeur négliger la lecture du contrat pour se concentrer sur les explications verbales, car ce sont à partir d’elles qu’il décidera ou non de s’engager.

259 S’il y a effectivement des personnes en très réelles difficultés de ce côté-là, il nous arrive tous, un jour ou l’autre, d’être démunis devant un langage spécifique, ce que nous appelons le jargon et qui fait de notre langue familière une langue étrangère.

260 La récente affaire WikiLeaks, avec la divulgation sur Internet de documents classés secrets concernant la diplomatie de pays tels les États-Unis ou la France, a suscité de nombreux débats entre la transparence légitime, relative ou absolue des activités gouvernementales et la paix politique mondiale.

concerne dans le domaine médical. L’autonomie de la volonté semble s’être ainsi resserrée autour de la question du consentement et non plus des négociations des contrats qui sont de plus en plus prédéfinis. La rétention d’information est désormais jugée comme manquement au devoir de transparence, qui semble avoir remplacé dans notre discours celui de loyauté. Et même si la loi a toujours pris en considération la sincérité des contractants sous la notion de « bonne foi », le devoir moral de sincérité est devenu une obligation légale et non plus seulement contractuelle. La politique elle-même est saisie par l’attente de transparence au point que même la notion, pourtant absolue, de secret médical est sans cesse discutée pour ce qui est de la santé des dirigeants au plus haut niveau de l’État.

L’incertitude de l’avenir, l’inconstance des hommes et le besoin de sécurité ont poussé les hommes à encadrer le don, l’échange et l’association par la forme juridique du contrat et petit à petit à reprendre au compte de la loi certaines failles du contrat. Si la parole donnée garde encore sa force morale, la volonté de tenir ses engagements est soutenue par la puissance de la loi ainsi créée, qui à son tour va contraindre la liberté qui par elle pourtant fut instaurée. Pouvoir contracter librement avec un autre, cet idéal premier de justice et de liberté peut apparaître aujourd’hui, dans sa dérive contractualiste, comme un système de contrainte de plus en plus prégnant, notamment, dans le domaine de la santé, où les médecins accusent la notion de contrat de pervertir la relation médecin-malade qu’ils estiment devoir être fondée sur la confiance. Longtemps en dehors du modèle contractuel qui s’est imposé au fil des siècles pour réguler les relations sociales, la médecine développant capacités et techniques de plus en plus puissantes finit par être rattrapée par la tutelle du droit.

2. De la relation contractuelle à la démocratie sanitaire