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La relation de soin, entre droit et confiance

Soigner une personne et soigner une maladie, prendre soin et pratiquer des actes thérapeutiques, confèrent à la relation de soin une double nature qui articule la dimension individuelle du soin et la dimension collective de la santé. Dans cette dynamique relationnelle se conjuguent autant le besoin de la confiance que la nécessité du droit, dans un équilibre qui aujourd’hui nous déroute.

Dans son livre Soi-même comme un autre, Ricœur349

définit les trois prédicats moraux dans cet ordre : le bon, l’obligatoire et le convenable, de la visée téléologique à l’éthique en pratique. Six ans plus tard, dans le texte « Les trois niveaux du jugement médical », il en inversera l’ordre pour aller de la relation interindividuelle au jugement réflexif qui légitime les jugements prudentiel et déontologique dans une visée englobant le bien de la personne et celui de la santé publique. Le niveau déontologique est à chaque fois la structure de transition, celle qui aujourd’hui prend une place grandissante, au point d’occulter l’importance des deux autres pôles, la relation intersubjective et la finalité du soin, qui ont profondément évolué. De toutes les relations que nous établissons au cours de notre vie, la relation de soin est probablement celle qui a subi les mutations à la fois les plus rapides et les plus récentes.

C’est la reconnaissance de droits nouveaux pour le patient, que le législateur nomme très justement « personne malade », qui a engagé la relation vers une autre configuration, où confiance, droit et reconnaissance cherchent aujourd’hui une synthèse ou en tout cas une autre voie possible.

1. Figures actuelles de la relation de soin

Le patient d’aujourd’hui ne se comporte plus face aux professionnels de la même façon que celui de la génération de Louis Portes. La vision de la santé s’est complexifiée et élargie. L’objet attendu de la relation est difficile à cerner : la santé, le soulagement, la guérison ? Aucune de ces notions n’est univoque et pourtant c’est sur cet objet énigmatique que se fonde le contrat entre soigné et soignant. L’arrêt Mercier, en s’appuyant sur la notion d’obligation de moyens, s’est avec raison tenu loin des bien compréhensibles, mais parfois insensées, attentes de guérison. La prudente sagesse qui a prévalu dans le sillage hippocratique du « primum non nocere », est aujourd’hui bousculée par les perspectives qui nous aveuglent des avancées biomédicales et par les exigences de sécurité. Qu’attendons-nous aujourd’hui du soin et de la médecine ? Et sur quoi fonder notre confiance et envers qui ? Comment décider au mieux pour nous-mêmes ? Quelle place pour la confiance aujourd’hui ? Nous pourrions avoir tort de ne voir aujourd’hui dans la relation de soin qu’une confiance affaiblie, une méfiance rampante et un droit puissant parce qu’ingérant. Car, au fond, que pourrait le droit sans la confiance que nous lui accordons pour traiter avec justice nos rapports et sans la confiance envers autrui350 ?

Comme nous l’avons vu, la confiance naît d’une attente intérieure et s’adresse à quelqu’un ; elle a un objet et une destination. Le contrat a également un objet sur lequel les deux parties s’accordent. Que pourrait donc être l’objet de la relation de soin sur lequel, tant la confiance que le droit, le patient et le professionnel devraient s’accorder ? La santé, mais selon quelles normes ? À moins que ce ne soit la guérison ? La maladie qui est la raison de la relation pourrait-elle aussi être son objet ? À moins que son objet soit le soin, le projet thérapeutique, c’est-à-dire les moyens plus que la finalité ?

350 En effet, ce dernier peut très bien s’affranchir du droit et se croire comme le dit l’expression populaire, « au-dessus des lois ».

Nous essaierons de comprendre quel est cet objet aujourd’hui, au premier abord évident, presque une lapalissade – nous entrons en relation avec un soignant pour être soigné – mais à l’observation plutôt ambivalent. Qu’est-ce qu’être malade, être guéri pour le patient ? Et pour le professionnel ? Qu’est-ce qu’un soin pour l’un ou pour l’autre ? Chacun a des attentes, des représentations, des exigences. Un travail d’ajustement devra se faire au cœur de la relation. Le droit et l’organisation de la santé désignent au malade, patient, usager ou client, une place dans laquelle il peine parfois à se reconnaître. La pluralité des intervenants, l’importance du droit et celle, en recherche, du patient et du soignant, ont mis en avant la place grandissante du tiers. Nous pensons inévitablement au droit, mais il n’est pas le seul tiers présent, l’économie, la science et le social, agissent également sur le colloque n’est plus vraiment singulier même lorsqu’il est la rencontre, toujours particulière, d’un patient et d’un médecin.

Nous reviendrons ensuite sur trois moments essentiels de la relation qui correspondent à des piliers de la relation contractuelle que nous avons décrite dans le chapitre précédent, mais sous un angle différent : l’information et la confidentialité, l’obstination et le refus de traitement et la décision partagée. Ce sont sur ces points-là que les droits nouveaux ont le plus, pour l’instant, bouleversé le rapport du malade avec les soignants. Ces moments clefs de la relation, encadrés par le droit, représentent des enjeux essentiels de confiance, mais également de droit.

Au cours de ce travail, le mot reconnaissance est apparu à plusieurs reprises, aux détours de nos interrogations, sur les conditions ou les effets de la confiance. Paul Ricœur nous apportera ici également des repères pour considérer cette notion en lien avec la confiance. Se reconnaître malade exige de faire confiance dans son jugement sur les symptômes repérés et dans sa capacité à affronter le mal. Se confier à autrui et solliciter son aide demandent de reconnaître en lui une personne digne de confiance avant de décider de s’engager avec lui. Mais le parcours n’est pas fini : le futur patient doit se faire reconnaître porteur d’une « vraie » maladie qui peut ou mérite d’être soignée. Il doit être reconnu digne de soin. À ce stade, il est essentiel d’être un malade comme les autres et c’est d’ailleurs souvent le lieu

de luttes pour la reconnaissance351 individuelle ou collective. Puis le patient devra faire reconnaître le sujet, la personne derrière le malade : ne pas être un patient anonyme, mais un être singulier qui ne sera pas soigné comme n’importe qui. Tout au long de ce parcours, la confiance ouvre la voie de la reconnaissance qui à son tour conforte la confiance.