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Le deuxième ensemble de témoignages a été recueilli dans un camp aménagé par la mairie, où habitent presque mille personnes tziganes, la plupart arrivant d’autres bidonvilles d’où ils ont été expulsés. Il s’agit d’un espace légal et pourtant les conditions de vie y sont épouvantables. C’est l'un des bidonvilles les plus critiqués de Milan, sans eau courante et équipé de seulement quelques WC chimiques ; l’électricité est fournie par des générateurs électriques ; les bouches d’égoûts sont très sales, ce qui favorise la prolifération des rats. Le camp est situé dans un endroit isolé : il faut marcher pendant deux kilomètres avant de trouver une arrivée d’eau, une supérette ou un arrêt de transports publics. Les gens vivent dans des caravanes équipées de vérandas et de hangars qui prolongent l’espace d’habitation et qui relient chaque unité avec l’autre : on trouve ainsi un espace privé à l’intérieur de la caravane et un espace extérieur public, à partager en commun. Le camp est un corps unique et continu : c’est le modèle d’habitation type chez les communautés gitanes, qui reflète une exigence de vie familiale et communautaire. Les personnes rencontrées ici considèrent elles-mêmes la vie dans le camp comme un moment de transition, une étape obligée du processus migratoire : la plupart ont le projet de vivre et de travailler ici pendant quelques années afin d’économiser l’argent nécessaire pour emménager dans une véritable maison.

HABITER DANS UN BIDONVILLE

FABIO PARENTI, FEDERICA VERONA, CECILIA PIROVANO

précarités contemporaines / PUCA 12-2008 I 144

LE PREmIER CAmP

26 Juillet 2006

F., R. et T., habitants du premier camp V., une amie en visite

F. « Je viens de Roumanie, d’une ville à côté de Craiova. Je suis arrivée en 1998. J’ai traversé la frontière sans passer par la douane ; j’avais dix-huit ans, j’étais seule avec quatre hommes. Je n’étais même pas mariée. Je suis passée par Bratislava. J’ai fait quatre fois l’aller-retour de la Roumanie à l’Italie.

Quand je suis arrivée j’ai commencé à voler. Après quatre ou cinq mois, je me suis mariée ; mon mari allait travailler et moi aussi. Je suis restée dans les camps quatre ou cinq ans. Un jour, on commence à construire une baraque, le jour d’après on la retrouve détruite ; puis la police arrive et il faut trouver un autre endroit. C’est toujours la même histoire. Maintenant on s’est installé dans ce camp mais peut-être qu’on nous cassera aussi notre baraque ici…

Quand je suis arrivée en Italie, je suis allée chez mon oncle qui était déjà sur place depuis deux ans, avec des papiers et un logement. Il habitait Milan, à côté de la Place Lotto. Je suis restée chez lui quatre ou cinq mois, après je me suis mariée et je suis partie vivre avec mon mari, qui habitait au camp de rue Sebenico, vers le quartier Melchiorre Gioia.

Après l’expulsion, on est parti dans la rue derrière, rue De Castilla, et dans la rue Toce. Là-bas, on habitait dans des maisons mais elles étaient abandonnées et ça ressemblait à un camp.

Il y a un an, je suis retournée en Roumanie… J’ai une fille ici (j’ai accouché en Italie), dans deux mois, je l’emmène en Roumanie. Ici je n’ai pas de papiers, je suis allée en prison quatre ou cinq fois… J’ai eu une de ces vies ! »

V. « J’ai une petite fille de cinq ans. Je n’habite pas ici mais dans un autre camp avec des baraques qui ressemblent à celles-ci. Le propriétaire est roumain, on est des locataires mais il ne nous fait pas payer parce qu’on se connaît. Depuis que je suis à Milan, j’ai déménagé plusieurs fois, six ou sept, je ne m’en souviens pas. J’ai habité juste ici, un peu plus loin, à Chiaravalle, j’ai été aussi dans la rue Adda… Quand la police arrive pour évacuer, on part : qu’est-ce qu’on pourrait faire d’autre ?

Mais, je t’avoue que si je voulais, je pourrais partir du camp aujourd’hui même : mon oncle a une maison, des papiers, il est ici depuis dix ans. Je ne vais pas chez lui parce que je n’aime pas sa maison, je ne la supporte vraiment pas ! Je ne peux pas y rester, je n’aime pas vivre avec seulement deux ou trois personnes : je préfère au contraire avoir plein de monde autour, de la musique, c’est ma vie… Laisse-moi mieux t’expliquer : en Roumanie, j’habitais dans une maison, moi je sais ce que c’est une maison ! Quand je suis arrivée ici et que j’ai vu le camp, les baraques, j’ai dit : « C’est quoi, ça ? ». Plutôt mourir que de rester là ! Mais après, j’ai appris ce que c’est que la vie dans les camps - les gitans, la musique, le plaisir… Maintenant je n’aime plus la maison, je te jure ! »

R. « Je m’appelle R. et je viens de Tzinzareni, à côté de Filiasi, Craiova. Je suis arrivé en Italie en 2003, en voiture. J’ai toujours vécu dans ce camp, j’y suis arrivé parce que mon frère habitait déjà ici. Un ami m’a dit : « Je sais où se trouve ton frère » et il m’a conduit ici. Maintenant il n’y a plus de problèmes pour venir de Roumanie jusqu’ici mais il y a quelques années, c’était très compliqué. Trois ou quatre mois après mon arrivée, mon frère m’a trouvé un travail : maintenant je suis maçon et électricien, le même job que j’avais en Roumanie.

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145 I précarités contemporaines / PUCA 12-2008 J’ai fabriqué ma petite baraque moi-même. Il

m’a fallu deux semaines parce que je n’avais pas l’argent pour acheter les panneaux. Ça m’a coûté

environ 200 € tout compris : poutres, panneaux,

clous…

Cette partie de la maison a brûlé en février de l’année dernière ; on l’a reconstruite, mais cette année elle a brûlé à nouveau en janvier. Il y en a qui arrivent à oublier l’incendie, mais moi je n’y arrive pas… Pendant l’incendie, j’ai aperçu un enfant dans la baraque et j’ai cassé la vitre [il montre sa cicatrice]. »

T. « Ici on n’a pas de problèmes avec la police parce qu’on crée pas de difficultés : nous ne volons pas. On est nombreux à travailler : qui est maçon, qui construit des palettes… »

R. « On est content de ça. Personnellement, je n’ai pas encore obtenu les papiers. Il y a trois ans, j’ai demandé un permis de séjour qui est périmé depuis le 23 septembre dernier parce que personne n’a voulu m’embaucher. Et puis basta ! Je travaille quand même, au noir, pour 6 € de l’heure. »

T. « On vit bien avec cet argent, avec 1000, 1200 €

par mois, on est heureux. »

R. « On est ici avec la famille : ma petite fille a dix ans et elle va à l’école, elle est en CE1. Elle dit qu’elle est bien ici, elle ne veut plus rentrer en Roumanie parce qu’elle se demande où elle pourra acheter des bananes là-bas chez nous. Et plein d’autres choses… Je suis en train de penser à chercher une maison… »

T. « Mais pour l’instant il n’y a pas d’autres solutions, parce qu’elle n’a pas de papiers : avec un permis de séjour, elle pourrait louer un appartement. En Roumanie, on n’habite pas dans des baraques comme ici, on habite dans des maisons normales, comme tout le monde ici en Italie. Dans ce camp, il y a cinquante baraques - pour 150 ou 160 personnes - toutes comme

celle-ci. Après l’incendie, on a dessiné le plan des baraques et maintenant elles sont toutes pareilles : trois mètres sur cinq. »

R. « Quand j’ai dessiné la forme des baraques, après l’incendie du camp, j’ai pensé qu’il y avait beaucoup d’enfants : comment on fait-on pour vivre dans de petites chambres avec trois enfants ?

Moi je voudrais rester vivre ici en Italie, j’aime bien ici… »

T. « S’il trouve une solution pour les papiers… » R. « Comme l’a dit mon ami, moi aussi j’ai une maison en Roumanie, mais là-bas il n’y a ni argent, ni travail, c’est pour ça que je suis venu ici. J’ai pensé qu’ici je pourrais faire quelque chose pour améliorer notre vie. J’espère réussir pour ma fille, parce que je commence à me faire vieux, j’ai quarante ans… »

T. « En Roumanie, il n’y a pas d’argent. En Roumanie, même si tu travailles, tu gagnes un

salaire pourri. Tu travailles un mois pour 200 €

euros, mais tu ne manges que pendant deux jours, trois ou quatre au maximum ! Ensuite, il faut voler pour nourrir ta famille.

J’ai travaillé moi aussi, mais j’ai encore plus de problèmes parce que j’ai un arrêté d’expulsion. Mon chef habite ici avec nous, avec lui je n’ai pas de problèmes, mais on a peur de sortir d’ici, à cause de la police… »

1) Voir Abitare la città invisibile. Rapporto sulla popolazione delle baraccopoli e delle aree dimesse milanesi 2003-2004, de l’Observatoire Naga et du Groupe médecine de rue Naga. 2) Rapporto sulla popolazione delle baraccopoli e delle aree dimesse milanesi 2000-2002, de l’Observatoire Naga et du Groupe médecine de rue Naga.

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précarités contemporaines / PUCA 12-2008 I 146

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LE RYTHME DE LA VILLE

Habiter à Milan aujourd’hui est tout à la fois complexe et passionnant. D’innombrables manières d’habiter et d’expériences parcourent cette ville difficile et productive. Être attentif au présent, à l’habitat d’aujourd’hui, c’est aussi être attentif au passé et au futur, aux traditions, coutumes et espaces qui sont arrivés jusqu’à nous (faisant preuve parfois d’une belle vitalité), mais aussi aux traditions, coutumes et espaces qui, croyons-nous, pourront exister et peut-être même se renforcer dans le futur proche de Milan.