• Aucun résultat trouvé

polonais 58 ans Habite à Varsovie dans une résidence pour SDF hommes (Caritas ) Malade

3 – LES PESANTEURS DE LA VIE

H, polonais 58 ans Habite à Varsovie dans une résidence pour SDF hommes (Caritas ) Malade

(obésité, diabète, mal voyant). Ancien ouvrier non qualifié. Gardien bénévole du parking du cimetière. Divorcé, sans enfants. (Pol 03)

--- « Quand on s'est séparés avec ma femme, une étape de ma vie était derrière moi. Après j’ai eu plusieurs emplois dans des entreprises différentes mais, à cette époque, il arrivait souvent qu’on ne soit pas payés ; il y avait des faillites. J’ai commencé à avoir des dettes et finalement mon bailleur s’est fâché. Je lui devais 10 000 zlotys (environ 2 ans de loyer impayé). C'était pas beaucoup ! J'en connais qui avaient 30 ou 40 000 de dettes !

Je suis tombé malade, j’étais à l’hôpital et je ne suis pas venu au tribunal. C'est comme ça que je suis devenu un SDF. C'est simple. Ça fait la quatrième année dans ce centre d'hébergement pour SDF. Ici je me sens utile, je suis trésorier, je collecte les loyers de ceux qui travaillent. Et un jour sur deux je suis gardien du parking du cimetière. Je donne au centre tout l’argent que les gens me donnent sur le parking . C’est du bénévolat parce que je ne peux pas trouver un travail régulier dans le monde "normal". Je ne paye pas pour mon séjour ici comme certains ; c’est en échange de mon travail que j’ai l’hébergement et une chambre (de 18 m2 environ partagé avec quatre autres SDF). Ici, seuls ceux qui travaillent peuvent recevoir à manger, ceux qui ne travaillent pas vont chercher en ville. C’est une sorte de récompense. …/… Moi je n’ai jamais eu de problème d’alcool, mais de santé : obésité, hypertension, diabète… C'est la dépression qui a directement provoqué tout ça. C'est le résultat de ma vie : on travaillait dans des endroits différents, on n’a pas mangé, on n’a pas dormi, on logeait dans des conditions difficiles, on faisait un travail physique… Quand on est jeune, on croit pouvoir tout faire, on croit que le monde est à nous. Et quand on vieilli, on se rend compte, on sait qu’il y a des choses inaccessibles, c'est tout simplement la vie.

…/…

J'ai été expulsé de mon appartement. Ça a été tellement rapide ! Ils sont venus à 10 h et on m’a laissé dans la rue. À midi c'était fini, rien n’est resté dans l’appartement. Ils ont emmené les meubles à la décharge, j’ai réussi à garder quelques objets personnels de base car le reste, tout simplement, je n’avais pas de lieu pour le garder. Tout ce que j’avais gagné a été perdu. J’ai sauvé 5% de ce que j’avais. L’expulsion est un processus très, très brutal ; celui qui ne l’a pas éprouvé ne peut pas comprendre, il faut le vivre. Le monde s’écroule, mais la vie continue.

Les jours suivants, j’ai logé un peu chez les amis, chez les uns, les autres, mais enfin ils m’ont fait comprendre… Ils m’ont donné l'adresse de cet abri pour les SDF. Je n’ai donc jamais dormi dans la rue. J’avais été expulsé le 10 mai et le 25 juin 2003 je me suis retrouvé ici ; depuis je n’arrive pas à en sortir. Ça fait plus de 4 ans, c’est mon premier établissement de ce genre. Au début, je pensais que c’était la fin du monde de se retrouver ici. Maintenant je sais qu’il y a des tragédies bien pires ; que les gens d’ici ont survécu. Je suis relativement bien ici. Chacun pense que sa tragédie est la pire mais ce n’est pas vrai. On peut comparer avec les médecins ou les infirmières : s’ils étaient sensibles aux souffrances de leurs malades, après six mois, ils deviendraient

183 I précarités contemporaines / PUCA 12-2008 fous ! Ils doivent garder leur sang-froid, être durs, parfois vulgaires, pour tenir le coup. Ici c’est la même chose. Ici, j'ai eu beaucoup de temps pour réfléchir sur ma vie, comprendre mes fautes. Il y a une époque dans la vie où on a le choix. Et moi, je ne savais pas comment me comporter à cette époque, quand j’avais le choix... On pense que cela n'est pas important, ne compte pas, on ne voit pas que c'est le moment du choix : la décision de travailler ou pas, d’aller à droite ou à gauche. Après, la vie ne donne pas la possibilité de revenir en arrière. Et, après un bon moment, on se rend compte qu’on a commis une faute mais c’est "pleurer sur le lait déjà renversé"… C’est trop tard, on a beau se torturer, impossible de revenir en arrière, on a seulement des remords de n'avoir pas attaqué le mur. Pourquoi ne peut-on pas avoir ce savoir auparavant mais seulement après avoir commis la faute ? C’était plus qu’une mauvaise décision, ce n’était pas par hasard, c’était ma faute. Je ne savais pas demander de l’aide ou je ne voulais pas le faire, je ne voulais pas écouter des conseils, je pensais : « je vais vous montrer ». Mon ego était plus important que ma raison. L’homme pense toujours qu’il peut réussir, qu’il va se débrouiller et après, c’est trop tard. À un moment, je me suis retrouvé coincé et je ne pouvais pas m’en sortir ni me débrouiller seul, j’ai fini par avoir une dépression.

Grâce aux abris comme celui-ci on a le temps pour réfléchir. Personne ne nous a appris comment réussir sa vie. La malhonnêteté gagne partout, pas l’intelligence. Il faut savoir "laisser aller", ne pas essayer de prouver à tout prix, sinon les problèmes commencent. Avant on ne se rend pas compte, et après on a plus de liberté de mouvement. …/…

Mon expulsion n'a pas été une surprise ; à ce moment-là je ne me sentais pas bien, j‘étais diabétique et en dépression. Tout ce qui se passait m’était égal et personne ne s’inquiétait pour moi. Quand ils m’ont eu, je ne pouvais avoir d’aide de nulle part. Aujourd’hui je sais que j'aurais pu me défendre. Quand on perd son appartement, on ne pense pas tout de suite : "je vais aller à l'abri des SDF". C’est même la dernière pensée que l'on a. Je croyais que j'étais assez fort pour m’en sortir. Mais on n'évalue pas assez les choses avant de les perdre, avant un malheur. Car il y a des choses qui n'ont pas de prix, comme la dignité.

Dans une situation de crise, les endroits où on peut faire appel sont rares. Quand tout s’écroule, l’homme reste seul, les collègues connaissent très peu sa situation. Les foyers, les institutions qui devraient l'aider s’occupent de bureaucratie plus que d’aide réelle, ils sont souvent plus intéressés par les formulaires que par les gens. …/… L’homme est dans la vie comme sur une vague, il y a des montées et des chutes. Maintenant je suis sur la montée. Tout se passe bien : j’ai un logement, une association avec un collègue, ici je suis valorisé, théoriquement je ne peux pas me plaindre…

Autrefois je ne savais pas accepter les soutiens, je voulais garder mon autonomie, je croyais que j'allais m’en sortir mais je ne m’en suis pas sorti. Aujourd'hui, je suis calme, j’ai des gens autour de moi qui ont les mêmes problèmes, qui comprennent, qui ne me rejettent pas car ils sont sur le même chemin. On se respecte, on s’aide, je sais à qui m’adresser, je me sens proche d’eux. …/…

Le moment le plus dur, c’est quand je me suis retrouvé absolument seul. Tout s’écroule. On est au fond du trou, passif, car on pense ne pas pouvoir réussir la moindre chose. On pense à tout, à crier, au suicide, la crise nerveuse est déjà là, mais il faut passer par là et c’est à chacun de

précarités contemporaines / PUCA 12-2008 I 184

trouver son chemin. On y va tout seul.

J'ai fait une psychothérapie qui a apaisé certaines choses ; j’ai arrêté de paniquer. Il m'a fallu six mois pour commencer à croire que je pouvais remonter, retrouver la distance par rapport à soi- même. Parce que quand on tombe dans le trou, on ne peut pas essayer de sortir à tout prix en paniquant, là on s’enfonce. Quand on est vraiment en bas, on a le temps de penser, penser par où sortir. "Attends, pense d’abord" je me suis dit. Il y a des choses sur lesquelles on ne peut agir. Prendre de la distance par rapport à moi-même, ça a été ma réussite. …/… Il n’y a pas à généraliser sur les gens en précarité ou sur les exclus. C’est toujours le problème d’une personne, d'un individu, chacun le ressent d’une manière différente. Pour la précarité c’est comme avec un alcoolique, il faut d’abord qu'il admette qu'il est alcoolique et quand il en est conscient, sans émotions, il faut pouvoir se dire : "oui, j'ai perdu" et y penser. Si tu es incapable de te le dire, tu vas tomber sans pouvoir sortir. Il faut d’abord calmer sa conscience. …/…

Pour moi il n’existe qu'« ici et maintenant ». Comme ça la vie ne me pèse pas, je ne fais pas de comparaisons… L’homme est un animal qui s’adapte vite. Ici, les choses dont on a besoin, on les a. On a plus de nourriture et de vêtements qu’une famille moyenne... Par contre, un soutien à long terme, le temps des gens, une aide dans les démarches, ça, on ne peut le trouver nulle part. On a besoin du temps de quelqu'un, qui sait, qui comprend les choses mieux que nous, qui va nous guider au début du retour à la vie…

L’enfer, c’est de ne plus pouvoir comprendre ce qui se passe autour de soi. »

---

10ème témoignage : VIEILLESSE ET SOLITUDE Jadwiga

F, polonaise. 80 ans. Habite depuis toujours une