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MARYVONNE ARNAUD

159 I précarités contemporaines / PUCA 12-2008

GRENOBLE NO

précarités contemporaines / PUCA 12-2008 I 160

trajet : vêtements, couvertures, nourriture qu’il installe toujours avec soin. Il a un véritable sens de la composition, comme une ménagère ordonne des souvenirs sur le buffet de sa salle à manger ou des fleurs dans un vase.

Je le photographie régulièrement, au fil de ses changements vestimentaires, de ses attitudes, de ses postures et de sa disponibilité. Il possède un réel sens de la pause. Il occupe différemment l’espace au gré des jours et des saisons, le faisant vivre avec suffisamment de talent pour modifier mon regard sur cet espace. Il pose, fixe mon objectif ou au contraire regarde le lointain, jouant le bel indifférent, m’offrant un profil ou un autre. Il refuse certains jours que je le photographie par un simple : « Non, pas aujourd’hui ». Je lui rapporte les photographies. Il les regarde, les plie en douze puis les enfonce tout au fond d’une poche. Son image ne semble pas le trahir, le surprendre. Il paraît en symbiose avec elle. Il dégage un ordre et une harmonie avec le lieu qu’il investit dans chacune de ses attitudes et de ses positions. Quand la ville s’agite, il semble au plus profond de ses pensées, assis face à un feu de cagettes, de palettes ou de sommiers. Organisé comme un homme des bois, un sauvage, il vit à la lisière de la ville et se nourrit de sa cueillette urbaine quotidienne, glanant en fin de marché. Fait-il peur et pourquoi ? Sert-il de père fouettard ? J’imagine certains parents le pointant comme un contre-exemple : « si tu ne travailles pas bien à l’école… si tu n’es pas sage… je te laisse avec lui… si… si… ». Cette bonne méthode d’éducation ancestrale est peut être sans vergogne simplement recyclée par le pouvoir politique à l'usage de tous. Après tout, il incarne un personnage qui a toujours existé dans chaque ville et dans chaque

village pour maintenir l’ordre, faire rêver, donner à penser, soulager notre besoin de charité, notre mauvaise conscience, nourrir l’imaginaire des créateurs de mode, des architectes, des sociologues et des photographes !

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GRENOBLE A

VRIL 2003

GRENOBLE A

le précaire / PUCA 12-2008 I 162 GRENOBLE MARS 2003

163 I le précaire / PUCA 12-2008 163 I précarités contemporaines / PUCA 12-2008

GRENOBLE A

OUT 2007

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VEMBRE 2007

165 I le précaire / PUCA 12-2008 165 I précarités contemporaines / PUCA 12-2008

GRENOBLE MARS 2003

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Comme l'approche théorique le souligne, la précarité s'accompagne quasi systématiquement d'une régression langagière, d'une fuite de la communication avec autrui et même d'une perte de repères pour sa propre identification. Il est donc capital sur un tel sujet de donner la parole - ou ce qu'il en reste - aux principaux intéressés eux-mêmes. Un processus respectant au mieux les singularités nous est apparu plus conforme à cette éthique et plus productif d'éléments complexes de connaissance. Nous n'avons donc pas cherché à établir de comparaisons statistiques entre nos différents lieux d'observation, opération coûteuse et finalement assez peu parlante en termes d'expérience humaine. Nous avons réduit notre ambition à quatre profils de parcours dans chacune des quatre villes retenues.

Notre enquête est donc construite et structurée autour des itinéraires de vie de seize personnes depuis leur naissance jusqu’au jour de notre rencontre avec eux. Ces itinéraires de vie, ancrés ou au contraire disséminés au travers de l’Europe, ont été collectés au cours d’entretiens menés avec la plus grande qualité d’écoute possible et une attention aiguë pour les indices qui, au fil de leur vie, ont amené ces personnes à vivre en incertitude économique, affective, familiale, psychologique, professionnelle, spatiale...

L'objectif de cette approche d’habitants ayant perdu leurs assises, leurs repères et se sentant fragilisés, précaires, vulnérables pour des raisons différentes, est de permettre d'aborder quatre formes de situations territoriales :

- Un habitant n’ayant pas bougé et vivant

localisé dans sa ville de naissance,

- Une personne provenant d’un autre pays

et vivant aujourd’hui dans la ville d'enquête,

- Un natif du pays vivant aujourd’hui à

l’étranger, - Un autochtone ayant circulé de place en place tout en restant dans son pays d'origine. Les 4 villes-contextes : - Milan (enquêtes réalisées par Hanène Ben Slama)

- Munich (enquêtes réalisées par Rainer

Kazig)

- Varsovie (enquêtes réalisées par Anna

Wieczorek)

- Lyon et Grenoble (enquêtes réalisées par Maryvonne Arnaud et Laurent Grappe)

La technique suivie par les enquêteurs a consisté à faire exprimer et à retranscrire pour chacun son itinéraire depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui ainsi que la manière dont il se projette dans la suite de sa vie :

- Comment était la ville ou le village de naissance,

- Comment était structurée la famille,

- Comment était configurée la maison

d'enfance,

- Les raisons du départ,

- Les différents lieux de vie, les trajets dans le territoire,

- Les différents emplois occupés,

- La forme de la (ou des) famille(s)

composée(s) ensuite jusqu’à aujourd’hui,

- La dissémination actuelle de la famille dans le territoire, - L’espace vécu aujourd’hui, description du logement…, - L’état de santé aujourd’hui, - Les perspectives d'avenir, - Le lieu souhaité pour se faire enterrer…

Au fil de l’entretien, l'attention de l'enquêteur se porte sur les événements qui ont engendré une souffrance et un sentiment de précarité,