• Aucun résultat trouvé

Pour se loger on s’en remet aux autres. On intègre les programmes de premier, deuxième et troisième accueil, on adapte sa propre demande de logement au régime d’une offre qui provient, à Milan dans la plupart des cas, d’une interminable série d’efforts privés et de volontariat. Pendant la moitié de la journée de travail, on vit plongé dans le flux du rythme urbain : travail précaire, déplacements très longs et lents, parcours souvent diversifiés parce que le travail lui-même change de place. L’autre moitié de la journée se passe à la maison, dans un cadre protégé, pré-ordonné : le dîner, le sommeil, le réveil, la douche, sont des actes programmés qui ponctuent une vie programmée. À Milan, ce type d’offre de logement est promu par un grand nombre d’organisations qui sont en général gérées avec des ressources privées et qui sont totalement insuffisantes pour répondre à des demandes souvent urgentes. Il s’agit d’aider ceux qui sortent de prison et veulent se réinsérer dans les dynamiques de la vie urbaine, d’accueillir des familles expulsées ou évacuées, d’héberger ceux

PRATIQUES DU LOGEMENT PRÉCAIRE GIOVANNI LA VARRA

précarités contemporaines / PUCA 12-2008 I 136

qui viennent d’une famille brisée, de réintroduire des SDF dans des logements traditionnels.

SE CAMOUFLER

L’habitat envahit des espaces qui ne lui appartenaient pas jusqu’alors. En situation de malaise, des habitudes visionnaires et créatives se développent : on habite dans des magasins, dans des garages, dans des usines. Peut-être même d’ici peu, verrons-nous de nouveaux habitants dans ces grands immeubles en verre vides, construits en périphérie, qui ne serviront plus comme bureaux.

La mimésis remplace de manière discrète la fonction originale du logement. On s’adapte aux caractéristiques spatiales du logement, transformant le moins possible le bâtiment. La mimésis est, du reste, une déclinaison de l’invisibilité, qui se développe d’après la forme physique de l’immeuble.

Se rendre invisible est une des stratégies fondamentales du logement utilisées par les immigrés, en premier lieu dans le cas des bidonvilles : la durée d’un bidonville est étroitement liée à son invisibilité ; ce qui s’obtient en masquant les accès, en réduisant au minimum les bruits et les signes produits par la vie à l’intérieur, en différant les sorties et les entrées de manière à ne pas créer de rassemblements à l’extérieur.

Mais cette même invisibilité, ce même silence, doivent être garantis dans les situations de cohabitation de masse des logements traditionnels : les studios en location habités par huit, dix personnes au sein d’immeubles peuplés de familles italiennes, sont des situations sous observation, toujours en passe d’être dénoncées ou exposées à une plainte faite au syndic par les

autres occupants.

En parallèle, les SDF vivent à la recherche de cette condition d’invisibilité et de sécurité qui les pousse à occuper les coins les moins visibles du lieu le plus fréquenté de Milan, la gare Centrale, ou bien les trottoirs des rues marchandes quand les magasins sont fermés mais que les vitrines restent illuminées.

SE RÉUNIR

Se loger est souvent synonyme d’habiter ensemble, comme le prouvent la cohabitation entre étudiants, la cohabitation entre personnes âgées seules qui décident de partager le même appartement, entre étrangers entassés par dix ou quinze dans des appartements de deux ou trois chambres avec une seule salle de bain. On assiste parfois à la construction d’un vrai village dans l’enceinte d'une l’usine par des centaines d’occupants des zones illégales, de petits motels urbains, de caves ou de greniers. Il existe également les places couchettes payantes pour des périodes plus ou moins courtes. On peut également citer la cohabitation entre individus qui, comme dans le cas des centres sociaux occupés, construisent un espace qui est en même temps collectif et ouvert sur l’extérieur (par des initiatives comme les concerts) mais aussi domestique, accueillant un nombre limité d’habitants qui en sont en même temps gérants et promoteurs. Ce sont des histoires de groupes, de projets collectifs qui prennent l’initiative (pour occuper un espace, pour payer un loyer). Le fait d’être nombreux permet de partager les frais et la gestion du quotidien, d’avoir l’énergie suffisante pour entreprendre le projet du logement (occuper, démolir, construire). C'est une forme implicite d’assistance réciproque et d’entraide, une stratégie pour accéder aux

PRATIQUES DU LOGEMENT PRÉCAIRE GIOVANNI LA VARRA

137 I précarités contemporaines / PUCA 12-2008 informations et aux mises à jour nécessaires sur

le travail, sur les immeubles disponibles, sur les pratiques administratives à affronter pour accéder à la nationalité ou à la légalité.

La réunion peut donner lieu à des pratiques de logement novatrices. Certaines expériences de cohabitation en cours à Milan ont commencé en réunissant des habitants potentiels à travers le réseau internet. Sur la base de cette rencontre virtuelle, un projet a rassemblé des centaines d’inconnus ayant en commun la même idée du logement.

Les aspects novateurs de cette pratique réduisent dans certains cas l’effet d’annulation totale d’intimité engendré par la cohabitation. On vit exposé même en privé, tous les jours, à toute heure ; la solitude devient un désir et une nécessité difficile à satisfaire.

OCCUPER

L’occupation illégale est physiologique dans la ville contemporaine, surtout dans le secteur du logement. L’occupation peut être tolérée, contestée ou rejetée, mais elle se reproduit indéfiniment, revenant souvent au même lieu, ou se déplaçant simplement sur de nouveaux objectifs. C’est un phénomène typique d’auto-organisation qui frappe le patrimoine immobilier de valeur qui se trouve alors dans une impasse : il s'agit des aires abandonnées et en attente de reconversion en résidences ou en services, des immeubles publics, des langues de terres agricoles adossées aux infrastructures métropolitaines.

BOUGER

Les habitants en situation de malaise semblent se déplacer de manière incessante. Pendant les

saisons froides, les SDF se déplacent pour rejoindre les institutions bénévoles qui mettent à leur disposition des espaces couverts, ou bien vers les bouches de métro, qui restent ouvertes pendant les nuits de janvier. Les occupants illégaux des aires abandonnées bougent en emportant avec eux des morceaux de maison à démonter et remonter ; ils sont obligés de faire des déménagements continuels à cause des évacuations imminentes ou parce que le propriétaire veut reprendre possession de ses biens. Les travailleurs étrangers bougent, ils habitent des logements fournis par l’employeur comme partie du salaire, le logement et le travail sont au même endroit ; quand on change de travail, on change de logement. Les étudiants vivent dans trois ou quatre logements différents, cherchant la meilleure manière d’exploiter les ressources disponibles, en partageant la chambre, la salle de bain, en se réunissant, en composant leur propre vision du logement, fait d’un puzzle de lieux et de compagnons de vie. Se déplacer est peut-être l'attitude qui caractérise le mieux le paysage du malaise. Dans certains cas, cette instabilité vise à l’invisibilité, on bouge pour ne pas être repéré, pour s’adapter aux conditions qui changent toujours, pour exploiter au mieux les situations inattendues qui se présentent. Cette forme de nomadisme urbain local caractérise, de façon transversale, des populations très différentes.

LES BESOINS

Autrefois, on parlait de besoins. La planification (urbanistique mais aussi économique) a souvent utilisé dans le passé une fonction de prédiction qui supposait la capacité de quantifier les problèmes : on établissait le nombre de logements à construire, on quantifiait les demandes, on transformait en

PRATIQUES DU LOGEMENT PRÉCAIRE GIOVANNI LA VARRA

précarités contemporaines / PUCA 12-2008 I 138

chiffres en vue d’obtenir les ressources à affecter, les problèmes à affronter.

Cette logique, qui a caractérisé une grande partie des pratiques de construction de la ville, en imaginant des villes en croissance pendant des dizaines d’années, s’est révélée fausse et infondée. Depuis la moitié des années 80, Milan a perdu presque un demi million d’habitants de manière imprévisible. La politique a délégué aux particuliers d'innombrables choix dont elle avait le monopole. Aujourd’hui, nous avons l’impression que toute tentative de repérer des besoins, de les transformer en chiffres, en prévisions d’investissements, en lieux à affecter à ces fonctions, a été abandonnée. Les erreurs grossières commises par le passé sur l’évaluation des besoins ont provoqué la disparition quasi totale de prédictions de l'évolution de la demande, surtout dans le secteur du logement.

Les besoins ont disparu, mais il reste une demande de logement importante, décomposée, inaccessible et difficile à quantifier. Sans aucune stratégie pour traiter ce malaise, la tactique de l’autonomie prévaut – avec ce que cela suppose d’imprévu, de drame et de pauvreté. D’une certaine manière, l’impossibilité de démontrer l’exactitude des prévisions quantitatives projetées dans le futur a amené les planificateurs et les urbanistes à ne plus en produire.

Il serait temps peut-être, devant la nature et la consistance des nouveaux besoins qui émergent - et il ne s’agit pas seulement de logements mais aussi de lieux de culte, d’espaces relationnels - de recommencer à produire des chiffres pour tenter de sortir de l’impasse qui a engendré pendant des années un urbanisme renonçant à « régler ses comptes ». Il serait temps de rendre une perspective à l'avenir de nos villes.

PRATIQUES DU LOGEMENT PRÉCAIRE GIOVANNI LA VARRA

139 I le précaire / PUCA 12-2008 139 I précarités contemporaines / PUCA 12-2008

MIL

précarités contemporaines / PUCA 12-2008 I 140

Le terme bidonville est lié à un imaginaire polymorphe : il renvoie à une grande variété de typologies d’habitations et d’espaces. Un bidonville est généralement défini comme un endroit sans eau courante et dépourvu de toute infrastructure (réseau d’électrification, écoulement des eaux usées, ramassage des ordures), où les habitations sont le plus souvent constituées de matériaux de récupération (bidons, cartons, plastiques, tôles) et bâties sur des terrains publics ou privés.

Quelques milliers de personnes habitent dans les bidonvilles de Milan : des constructions illégales, précaires et improvisées, souvent cachées afin d’être le moins visibles possible, sans eau, électricité, gaz ni égouts. Le nombre d’habitants est extrêmement difficile à estimer, puisqu’il s’agit souvent d’immigrés en situation irrégulière et donc statistiquement «invisibles»(1).

En outre, les bidonvilles changent souvent de place, se réorganisent très rapidement et sont de dimensions réelles difficiles à évaluer. Selon les chiffres du rapport du NAGA (Association de bénévoles pour l’assistance médicale et pour les droits des étrangers et des populations nomades – Organisation non lucrative d'utilité sociale, Milan), les habitants des bidonvilles de la « ville invisible », à Milan en 2004, pouvaient être entre 6 000 et 8 000.

D’après les éléments statistiques et les témoignages recueillis par l’Observatoire et par le Groupe des

médecins de rue du NAGA (2), les bidonvilles se

révèlent être le lieu où débarquent les immigrés les plus dépourvus qui, pour s’affranchir de la pauvreté de leur pays d’origine, sont prêts à supporter une période de privations et de pénurie, pendant laquelle la recherche d’un travail prime sur le fait d'habiter dans un véritable logement. Le parcours migratoire part souvent des

bidonvilles, qui, en général, représentent un pont vers l’insertion sociale et économique dans le contexte urbain : c’est un moment de la vie où les problèmes sont énormes mais accompagnés d’une perspective d’amélioration sociale. Beaucoup d’immigrés qui habitent dans les bidonvilles sont sans papiers, ce qui ralentit leur insertion dans la vie active. Contraints par les nécessités à travailler illégalement, ils se retrouvent vite dans une situation extrêmement précaire et fragile, de laquelle il est très difficile de sortir en peu de temps.

Dans le contexte urbain, les habitations sont généralement camouflées le plus possible afin d’échapper aux regards et d’éviter les intrusions extérieures. Les bidonvilles sont, en effet, des endroits très vulnérables : quand ils deviennent visibles, ils sont rapidement détruits par la police comme si la ville ne pouvait pas tolérer cette vision-là. L’invisibilité est une condition essentielle de l’existence des bidonvilles.

C’est la raison pour laquelle leurs accès passent souvent inaperçus de l’extérieur et leurs entrées sont très bien cachées. La population des bidonvilles est, elle aussi, invisible : pendant la journée, elle travaille, vit et évolue dans la ville; la nuit, elle se réfugie dans les zones occupées, qui constituent un véritable univers parallèle participant de l’économie urbaine mais qui doit rester clandestin.

À Milan, les bidonvilles prennent la forme de petits villages de préfabriqués ou d’habitats précaires dans des bâtiments désaffectés.

Les villages de baraques - les « camps » - naissent sur des terrains abandonnés ou non cultivés, dans les espaces libres du tissu urbain. De fait, ce sont des structures communautaires organisées selon un modèle spatial de regroupement familial ou