• Aucun résultat trouvé

2. Cadre théorique

2.1. La réalité virtuelle

2.1.4. Applications

2.1.4.9. Sciences médicales et paramédicales

Enfin, il serait vain de dresser une revue des applications de la réalité virtuelle, même succincte, sans évoquer les nombreuses potentialités de celle-ci dans les différents secteurs de la santé,

bien que ceux-ci partagent de nombreux liens avec les sciences expérimentales. Certaines de ces potentialités ont déjà été évoquées, notamment l’utilisation d’environnements virtuels pour l’entrainement des soignants ou la simulation de situations complexes comme les chirurgies ou le conflit militaire (Alaraj et al., 2011; De Leo et al., 2014; Gurusamy et al., 2009; F. Mantovani et al., 2003; Walsh et al., 2012), ainsi que la possibilité d’apporter la dimension écologique en laboratoire pour affiner les évaluations et donc les diagnostics (Coleman et al., 2019; Dawson & Marcotte, 2017; Jansari et al., 2014; Tarnanas et al., 2013), que ce soit après des traumatismes crâniens (Besnard et al., 2016), un déclin cognitif normal dû à l’âge (Banville et al., 2017; Nolin et al., 2013; Verhulst et al., 2017) ou toute autre forme de performance.

2.1.4.7.1. Rééducation

Partageant de nombreux mécanismes avec les applications d’entrainement, la réalité virtuelle est largement utilisée à des buts de rééducation et de réhabilitation, cognitive et motrice, par exemple suite à des accidents cardiovasculaires (Laver et al., 2015, 2017; Maggio et al., 2019; Tieri et al., 2018; O’Neil et al., 2018; Ghai et al., 2020). En effet, les environnements virtuels couplés à des mécanismes de jeu sont souvent suggérés comme permettant une plus grande acceptation de la thérapie et un plus grand engagement. Les résultats des revues du domaine sont particulièrement concluants, augmentant effectivement la motivation des participants et la durée acceptée des sessions, provoquant une meilleure réponse au traitement et une diminution de l’hospitalisation (Maggio et al., 2019). Un exemple possible d’application de la réalité virtuelle pour la rééducation est le projet Starwalker, réalisé en collaboration entre le Centre Interdisciplinaire de Réalité Vir-tuelle de l’Université de Caen Normandie et le Centre d’Etude et de Traitement de la douleur du Centre Hospitalier Universitaire de Caen. Starwalker est un jeu en réalité virtuelle destiné à une population d’enfants kinésiophobiques, pathologie généralement définie comme « une peur ex-cessive, irrationnelle et débilitante du mouvement et de l’activité physique résultant d’un sentiment de vulnérabilité à une blessure douloureuse ou à une nouvelle douloureuse » (Vlaeyen & Crom-bez, 2009). Ce phénomène, qui est au cœur des processus de chronicisation de la douleur, en-gendre une anxiété importante ainsi que des comportements d’évitement qui à terme peuvent être responsables de la persistance des problèmes douloureux (Conradi & Masselin-Dubois, 2019). L’intérêt de la réalité virtuelle est ici non seulement de permettre une plus grande acceptation de la rééducation (parfois douloureuse) auprès des enfants, mais aussi de jouer sur le sentiment d’incarnation de l’avatar ainsi sur que sur la distraction de la douleur, afin que le participant, à travers le sentiment de présence dans l’environnement virtuel, oublie sa peur du mouvement. Plus pragmatiquement, Starwalker est un jeu d’adresse où les participants contrôlent un avatar virtuel

avec leurs pieds à l’aide du 3DRudder. Ils sont immergés en réalité virtuelle et doivent attraper ou éviter des objets qui défilent vers eux. Le jeu est actuellement en version alpha (Maneuvrier, 2020).

Figure 6. – Vue première personne du jeu en réalité virtuelle Starwalker (deux possibilités d’esthé-tique, gauche et droite, au choix du patient).

2.1.4.7.2. Traitement de la douleur

La réalité virtuelle est également très prometteuse dans le traitement de la douleur, qu’elle soit chronique ou aiguë (Chen et al., 2017). L’origine de cette utilisation peut être comparée à celle de l’hypnose (Patterson et al., 2006,2010; Rousseaux et al., 2020) et remonte aux travaux de Hoff-man sur le traitement des grands brûlés. En effet, le traitement, et notamment le changement des pansements des victimes du feu est particulièrement douloureux. Pour soulager ces individus de leur douleur et permettre des opérations plus apaisées, Hoffman et ses collègues ont créé un monde virtuel de glace qui propose aux participants des tâches simples comme lancer des boules de neige sur des bonhommes de neige. Les résultats expérimentaux cliniques de ces différentes études ont montré des résultats similaires voire supérieurs au traitement médicamenteux (Hoff-man et al., 2000; Hoff(Hoff-man, Patterson, et al., 2001, 2004; Hoff(Hoff-man et al., 2008, 2011), et ont ouvert la porte à l’utilisation de la réalité virtuelle dans le traitement non médicamenteux de la douleur. Ces traitements analgésiques, qui ne sont pas sans rappeler ceux de l’hypnose (D. R. Patterson et al., 2006), se sont déclinés pour différents types de douleurs chez différentes populations (K. B. Chen et al., 2017; Gold et al., 2006; Hoffman, Garcia-Palacios, et al., 2001; Won et al., 2017), et ses mécanismes neurobiologiques ont été étudiés (Gold et al., 2007). L’effet analgésique de la réalité virtuelle, bien qu’encore largement incompris, pourrait être lié au sentiment de présence (Gutierrez-Maldonado et al., 2010; Hoffman, Sharar, et al., 2004; Rus-Calafell et al., 2013). Même si des zones d’ombre persistent, les nombreux résultats et discussions autour de la réalité virtuelle analgésique en font un outil prometteur dans le traitement de la douleur (Glennon et al., 2018;

Indovina et al., 2018; T. Jones et al., 2016; A. Li et al., 2011; Malloy & Milling, 2010; Mahrer & Gold, 2009; Pourmand et al., 2018; Won et al., 2017).

2.1.4.7.3. Santé mentale

Un dernier domaine du secteur médical qu’il convient de détailler est celui de la santé mentale, probablement un des plus connus, des plus développés et des plus utilisés. La réalité virtuelle en santé mentale s’est développée en association avec les thérapies cognitivo-comportementales qui considèrent toutes les pathologies mentales comme les conséquences d’apprentissages non pertinents pouvant être désappris (Scozzari & Gamberini, 2011). Les environnements immersifs font partie de l’arsenal technique des thérapeutes. Et pour cause, la réalité virtuelle permet de contrôler avec précision – et validité écologique – les stimuli que l’on veut présenter au participant. Les thérapies cognitivo-comportementales jouant autour des associations stimulus-réponse, et donc de l’exposition aux stimuli, l’outil se révèle particulièrement efficace. Le cas d’école est celui du traitement des phobies et du syndrome post-traumatique dont les résultats sont plus que con-cluants (Botella et al., 2017; Maples-Keller et al., 2017). Un individu souffrant de sa peur des araignées peut ainsi se faire proposer une thérapie cognitivo-comportementale en réalité virtuelle. Dans ce cas, le participant serait plongé dans un monde virtuel, intégré et écologique. Puis, loin de lui, une petite araignée virtuelle apparaîtrait. Le but des stratégies d’exposition étant de rompre l’association entre le stimulus (l’araignée) et la réponse (la peur), le participant sera invité à regar-der l’animal le plus longtemps possible. Il pourra alors le voir se déplacer. Puis, le psychologue pourra décider d’augmenter l’exposition, par exemple en augmentant la taille de l’araignée, le nombre d’araignées ou encore la distance entre l’animal et le participant, jusqu’à ce que celui-ci accepte que les araignées montent sur son avatar virtuel. Par effet de transfert, et probablement par effet du sentiment de présence (Price & Anderson, 2007; Riva et al., 2019), la phobie du participant aura alors disparu dans le monde virtuel mais également dans le monde réel (Miloff et al., 2019; Tardif et al., 2019). Ce format de recherches et d’applications cliniques existe également pour le traitement général de l’anxiété (Glennon et al., 2018; Mitrousia & Giotakos, 2016; Oing & Prescott, 2018) et des tentatives ont été réalisées concernant les psychoses et notamment la schizophrénie (Rus-Calafell et al., 2013, 2018; Kargar et al., 2019). Des études ont également vu le jour en réalité virtuelle pour prévenir l’utilisation du tabac (Caponnetto et al., 2018), la préva-lence du vertige (Freeman et al., 2018), de la peur de l’avion (Czerniak et al., 2016; R. T. da Costa et al., 2008), des addictions aux d’argent (Giroux et al., 2013), de la phobie sociale (Salehi et al., 2020), mais aussi pour assurer la prise en charge des troubles alimentaires, addictifs, de l’atten-tion et de l’hyperactivité, de la dépression et du stress (Gregg & Tarrier, 2007; D. Freeman et al.,

2017; Jerdan et al., 2018; Roussos et al., 2018; Wallach et al., 2011), et même la pédophilie (Renaud et al., 2011). A bien des égards, la réalité virtuelle peut être considérée dans ce cadre comme une boîte de Skinner (Lanier, 2017) : un paradigme de conditionnement et de décondi-tionnement dont le transfert dans la vie réelle repose sur le sentiment de présence du participant. De plus, ce paradigme de conditionnement et de déconditionnement possède l’avantage de pou-voir être automatisé. Freeman et al. (2018) ont par exemple réalisé des essais cliniques sur les possibilités d’automatiser une thérapie cognitivo-comportementale en réalité virtuelle dans le but de réduire la peur des hauteurs, et ce à l’aide d’un coach virtuel guidant le patient dans les étapes de la thérapie. Les résultats de cette étude suggèrent une diminution de la peur des hauteurs suite à la thérapie automatisée, ce qui ouvre la porte à de nombreuses autres possibilités qui pourraient permettre un accès plus large à la prise en charge des phobies, par exemple pour en réduire le coût pour les patients ou les proposer dans des territoires éloignés des cabinets de psychologues.