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2. Cadre théorique

2.1. La réalité virtuelle

2.1.1. Définitions

2.1.1.1. Réalité(s)

Avant de définir le terme de réalité virtuelle, il est nécessaire de discuter préalablement la notion de réalité. Ce concept commun, issu d’une expérience phénoménologique inexorable et quoti-dienne est en effet largement controversé, et sa définition dépend notamment des cadres théo-riques adoptés par chacun des auteurs. Les tenants d’un courant objectiviste considèrent par exemple la réalité comme l’état des choses existantes et indépendantes de l’esprit, alors que les constructivistes ou subjectivistes soutiennent qu’il n’existe de réalité que perçue et donc que celle-ci n’est jamais extérieure, indépendante. Prenons l’exemple d’un psychologue dont le patient se plaint de symptômes positifs hallucinatoires, par exemple de voix étrangères s’adressant à lui. Il serait particulièrement mal venu de la part du thérapeute de considérer ces manifestations psy-chiques comme irréelles et donc de ne pas les prendre en compte car elles n’ont pas de bases physiques apparentes : il n’existe effectivement pas, dans la réalité physique du psychologue, de voix s’adressant à son patient. En cela, un subjectiviste considère que seule la réalité subjective du sujet est réelle et doit donc être prise en compte. Un objectiviste pourrait rétorquer que les bases physiques réelles de ces hallucinations trouvent leurs substrats dans le cerveau de l’indi-vidu, par exemple dans la jonction tempo-pariétale droite (Plaze et al., 2011), et que la quête de la science consiste dans le fait de s’approcher au plus près de la compréhension de la réalité objective, extérieure. Malgré l’intérêt évident de cette question, l’établissement de la nature de la réalité ne constitue pas le but de cette thèse, et nous ne saurions prendre parti sans réflexions approfondies. De ce fait, et nonobstant les considérations actuelles sur la nature simulée de l’uni-vers avancées par Nick Bostrom (2003), les terme de « réalité primaire » ou de « réalité phy-sique » seront utilisés dans ce travail pour rendre compte de la réalité quotidienne comme expé-rience phénoménologique non virtuelle (Pillai et al., 2013). La réalité primaire (ou physique) réfère donc dans ce travail à la représentation ou construction de l’environnement immédiat par le sujet, non médiée par la technologie humaine de la réalité virtuelle.

2.1.1.2. La réalité virtuelle

Revenons à l’objet d’étude de cette thèse. Il convient tout d’abord de noter que terme de réalité « virtuelle », pour virtual reality, pose un léger litige de traduction en français. En effet, le mot « virtuel » est devenu en français synonyme de « numérique » ou de « immatériel », en opposition avec le premier mot de l’expression, « réalité ». Cependant, sémantiquement et dans les deux langues, le contraire de « virtuel » n’est pas « réel », mais « actuel » (Maïlat, 2008). Le terme de « virtuel », issu de virtus, signifiant « vertu », « force », « puissance » en latin, serait plutôt syno-nyme de « possible » ou de « potentiel ». Cette distinction, plus saillante en anglais, ne sépare pas le virtuel du réel. La réalité virtuelle est donc bien réelle. Une traduction comme « réalité potentielle » ou « quasi-réalité » rendrait mieux compte, bien que moins esthétique, de l’esprit originel de l’expression anglaise baptisée par Jaron Lanier (Bryson, 2013).

L’expression « réalité virtuelle » n’existe ni dans le Larousse, ni dans le Robert. En anglais, le Cambridge Dictionary en donne la définition suivante : « a set of images and sounds, produced by a computer, that seem to represent a place or a situation that a person can take part in » (“Virtual Reality,” 2020). Cette définition est légèrement surprenante en ce qu’elle énonce deux modalités sensorielles en occultant les autres (quid de l’haptique ou des odeurs, par exemple). Elle exclut ensuite les outils non numériques, puis fait appel à la représentation d’un environne-ment comme lieu ou situation, ce qui peut référer à la présence spatiale, que nous définirons plus tard mais qui peut être comprises comme le sentiment « d’être là dans l’espace virtuel ». Enfin, elle évoque l’interaction avec ce même environnement. Cette définition reprend peu ou prou l’in-tégralité des aspects constitutifs des définitions de la réalité virtuelle. En effet, L’Encyclopedia Britannica donne quant à elle de la réalité virtuelle la définition suivante (Lowood, 2020) :

Virtual reality, the use of computer modeling and simulation that enables a per-son to interact with an artificial three-dimensional visual or other sensory envi-ronment.

Si les différentes modalités sensorielles sont cette fois-ci évoquées, cette définition rappelle elle aussi le besoin de la qualité numérique de l’interface et les capacités interactives du système. Cependant, elle ne parle plus de lieu, mais d’environnement. L’encyclopédie libre Wikipedia donne – en anglais – la définition suivante (“Virtual Reality,” 2020b) :

Virtual reality is a simulated experience that can be similar to or completely dif-ferent from the real world. Currently standard virtual reality systems use either virtual reality headsets or multi-projected environments to generate realistic im-ages, sounds and other sensations that simulate a user's physical presence in a virtual environment. A person using virtual reality equipment is able to look

around the artificial world, move around in it, and interact with virtual features or items.

La définition française de la réalité virtuelle sur Wikipedia est relativement similaire, à la différence qu’elle exclut les systèmes non numériques (“Réalité Virtuelle,” 2020). Une définition francophone communément reconnue est celle du Traité de la Réalité Virtuelle (Fuchs et al., 2006) :

La réalité virtuelle va lui permettre [à l’homme] de s’extraire de la réalité phy-sique pour changer virtuellement de temps, de lieu et (ou) de type d’interaction : interaction avec un environnement simulant la réalité ou interaction avec un monde imaginaire ou symbolique.

Toutes ces définitions sont semblables, et pour cause elles ont pour origine commune la définition de Steve Bryson, un collègue de Jaron Lanier à VPL Research. Dans un court essai, Bryson (2013) définissait dans les années 1990 la réalité virtuelle comme :

The use of computer technology to create the effect of an interactive three-di-mensional world in which the objects have a sense of spatial presence.

Tous les aspects des définitions précédemment évoquées sont retrouvés et discutés : l’utilisation d’ordinateurs, nécessaire afin de distinguer la réalité virtuelle des téléopérations, la perception visuelle notamment 3D pour exclure les programmes 1D et 2D, l’interaction avec l’environnement, pour distinguer la réalité virtuelle des formes d’animation classiques, et enfin la sensation de lieu virtuel, permettant aux objets d’avoir une impression de présence spatiale. Dans son essai, Steve Bryson disserte également sur l’expression de Lanier de virtual reality considérée à l’époque comme trop oxymorique par certains auteurs, notamment du monde académique qui lui préfère longtemps le terme de virtual environment. Bryson analyse puis assemble alors les différents termes composant l’expression (Bryson, 2013) :

- Virtual: to have the effect of being such, without actually being such. - Reality: the property of being real.

- Real: the property of having concrete existence.

- Virtual reality: to have the effect of having concrete existence, without actually having concrete existence.

Ce qui est, il faut l’admettre, une définition non seulement très adéquate de ce qui rend l’expé-rience de la réalité virtuelle aussi particulière, mais également une définition rendant pleinement compte des nombreux attraits et applications de cette technologie, sans la limiter à ce qu’elle est actuellement.

2.1.1.3. Le continuum de virtualité

Avant d’examiner les applications de la réalité virtuelle, il convient de placer celle-ci au sein du spectre des réalités dites étendues, ou XR, pour X la variable représentant les différentes tech-nologies actuelles ou futures interférant avec le R de reality, et qui s’insère lui-même sur le conti-nuum de virtualité de P. Milgram & Kishino (1994) représenté graphiquement en Figure 1. En effet, et même si la réalité virtuelle et la réalité augmentée partagent de nombreuses similarités, notamment technologiques, elles ne peuvent pas être appréhendées de la même façon. Dans la réalité virtuelle, le sujet est coupé du monde extérieur, puisqu’il est transporté dans un environne-ment virtuel synthétique. C’est le sentienvironne-ment de spatial presence dont parle Bryson. Dans la réalité augmentée, c’est l’inverse ; des bribes virtuelles sont incorporées dans la réalité physique du par-ticipant. Evidemment, si suffisamment de paramètres ou d’objets virtuels sont ajoutés à la réalité physique du sujet, il adviendra un moment où celui-ci basculera dans la réalité virtuelle : la dis-tinction n’est pas bimodale, il s’agit comme l’ont présenté P. Milgram & Kishino (1994) d’un conti-nuum avec à un bout la réalité physique, et à l’autre la réalité virtuelle. Tout ce qui est entre ces deux points peut être appelé « réalités mixtes », et l’ensemble des points du continuum corres-pond aux « réalités étendues ». Le présent travail ne s’intéresse qu’à la question de la réalité virtuelle au sens strict du terme, celle qui a pour but de faire émerger un sentiment de présence spatiale dans un lieu autre que celui de la réalité physique du participant. Et cela même si l’envi-ronnement spatial physique et l’envil’envi-ronnement spatial virtuel coïncident : en recréant synthétique-ment et de façon photo-réaliste la salle dans laquelle le participant est entré en réalité virtuelle et se situe physiquement, il est nécessaire de considérer que son sentiment de présence sera dirigé dans un autre endroit, puisque les deux environnements n’évolueront pas de la même manière ; par exemple, un vase cassé dans l’un ne le sera pas dans l’autre. A contrario, la réalité augmentée n’a pas pour but de déplacer le sentiment de présence du sujet, mais de l’altérer.