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2. Cadre théorique

2.2. Le sentiment de présence

2.2.5. Evaluations du sentiment de présence

2.2.5.1. Les mesures subjectives

L’évaluation subjective est la méthode d’évaluation la plus répandue (Schwind et al., 2019). Ques-tionner la subjectivité du participant semble en effet une évaluation naturelle et pertinente lorsque l’on veut rendre compte d’un phénomène aussi intrinsèquement psychologique que le sentiment de présence. Pour (Steuer, 1992), et dans une approche relativement similaire au test de Turing (Turing, 1950/2009) la présence pourrait être évaluée comme le degré auquel le participant ne différencie pas l’environnement virtuel de l’environnement physique.

2.2.5.1.1. Les questionnaires

La méthode subjective principalement utilisée est celle de l’administration ou auto-administration de questionnaires, généralement réalisés après l’exposition à l’environnement virtuel. Les pre-miers à utiliser de telles questions sous forme d’échelles de Likert sont Barfield & Weghorst (1993) avec l’utilisation d’un questionnaire à 7 items en lien direct avec l’environnement utilisé. Mais c’est réellement avec Witmer & Singer (1994, 1998) que se développe le premier questionnaire géné-rique de présence, avec 32 items différents et comportant quatre sous-échelles: Control Factors,

Sensory Factors, Distraction Factors, Realism Factors. En parallèle, les auteurs développent le Immersive tendency questionnaire, créé dans le but d’évaluer a priori la propension à la présence des participants. Ces deux questionnaires seront par la suite validés et traduits en français (An-nexe 1) par le Laboratoire de Cyberpsychologie de l’Université du Québec en Outaouais (Robil-lard et al., 2002). Le questionnaire sur l’état de présence de (Witmer & Singer, 1998) et sa struc-ture factorielle (Witmer et al., 2005) sont actuellement – et de loin – les plus cités dans la littérastruc-ture (Schwind et al., 2019). Le deuxième questionnaire le plus cité est le Slater-Usoh-Steed (Usoh et al., 2000), qui est lui fondé sur six items comportant des variations autour de trois thèmes : « the sense of being in the virtual environment », « the extent to which the virtual environment becomes the dominant reality », et « the extent to which the virtual environment is remembered as a ‘’place’’ ». Dans un article empirique portant sur l’utilisation des questionnaires en réalité virtuelle, Usoh et al. (2000) montrent que ni le questionnaire de Witmer & Singer ni le Slater-Usoh-Steed ne permettent de distinguer l’expérience de la réalité virtuelle et celle de la réalité physique. A la différence du questionnaire de Witmer & Singer, il convient de noter que le Slater-Usoh-Steed utilise généralement un item qualitatif « Please write down any further comments that you wish to make about your experience ». Il est généralement considéré que le questionnaire de Witmer & Singer propose une approche de la présence par l’immersion (les questions sont moins explicite-ment orientées vers le sentiexplicite-ment de présence) alors que celui de Slater-Usoh-Steed propose une approche plus psychologique. Les autres questionnaires utilisés de façon plus ou moins consé-quente dans la littérature sont ceux de T. Kim & Biocca (1997), de Lessiter et al., (2001), de Nowak & Biocca, (2003) ou encore de Schubert et al. (2001). D’autres variations de questionnaires exis-tent ou ont existé, comme la notation directe sur 100 du sentiment de présence ressenti (Welch et al., 1996).

Le recours aux questionnaires pour évaluer le sentiment de présence soulève cependant certains problèmes et certaines questions. Tout d’abord, les questionnaires sont à l’origine de biais aussi nombreux que divers ; ils peuvent être inhérents à la formulation du questionnaire, comme c’est le cas des questions complexes ou ambiguës (Choi & Pak, 2004), ou à la subjectivité du partici-pant, avec des biais comme celui de désirabilité sociale incitant le sujet à répondre ce qu’il pense que le chercheur veut trouver (Crowne & Marlowe, 1960). La seconde critique faite au question-naire est que leur utilisation ne permet pas de rendre compte de la nature dynamique, évoquée précédemment, du phénomène. Il est en effet fort probable que lors d’une immersion d’une dizaine de minutes il existe chez un même sujet de fortes variations du sentiment de présence ressenti. Les questionnaires, évaluant le phénomène global et post facto, ne permettent donc pas de rendre

papier-crayon ou écran d’ordinateur, ils nécessitent la sortie de l’environnement virtuel, ce qui peut également altérer le sentiment de présence. Schwind et al. (2019) suggèrent pour limiter ce biais de réaliser les questionnaires de présence directement dans l’environnement virtuel. Globa-lement, et bien qu’il ait auparavant participé à l’élaboration de questionnaires de présence, Slater (2004) affirme que ce type de mesures « does not and cannot measure presence » et que le sentiment de présence pourrait émerger pour la simple raison que le chercheur interroge le parti-cipant sur cette question. Le sentiment de présence pourrait donc n’être qu’une construction post hoc corrélée à aucune activité neuronale ou comportementale. Pour démontrer cette possibilité, Slater (2004) interroge par questionnaire des participants sur un concept inventé pour l’occasion qu’il nomme la colorfulness d’une expérience et montre des régressions significatives avec d’autres aspects comportementaux. Il est toutefois possible d’argumenter tout d’abord que le questionnaire de Witmer & Singer ne comporte aucune allusion directe au sentiment de présence même (Robillard et al., 2002; Witmer & Singer, 1998), et ensuite que même s’il n’existe pas de concept théorique de coloration de l’expérience, les couleurs sont des métaphores de la vie quo-tidiennes (Lakoff & John, 1980) largement comprises instinctivement par les sujets d’une même culture occidentale (par exemple le blanc, symbolisant la paix et la joie, alors que le noir, symbo-lise la mort et la tristesse).

2.2.5.1.2. Les ruptures de présence

La principale alternative subjective aux questionnaires est l’utilisation des moments de rupture de présence (Breaks in Presence, BIPs) décrits précédemment (Slater & Steed, 2000). Elle consiste généralement à demander aux participants d’énoncer les moments où ils ne se sentent plus pré-sent dans l’environnement, soit pendant, soit après l’immersion. Certains auteurs produipré-sent des BIPs expérimentaux, par exemple en ralentissant le taux de rafraichissement. L’utilisation de ces BIPs est toutefois complexe, car elle nécessite pour examiner l’objet de le rompre momentané-ment, ou, s’il est déjà altéré par l’apparition même du BIP, de le rendre encore plus saillant en demandant au participant de l’énoncer à haute voix aux expérimentateurs. Certains auteurs font par exemple une distinction entre un BIP partiel, légère altération négative du sentiment de pré-sence, et un BIP total, rupture totale du sentiment de présence (Rey et al., 2011). L’étude des BIPs semble toutefois pertinente pour rendre compte du sentiment de présence : le nombre de leurs occurrences a été empiriquement testé et semble inversement corrélé au taux de présence rapporté par questionnaire (Brogni et al., 2003). Les facteurs favorisant l’émergence de rupture de présence ont fait l’objet d’études qualitatives par Garau et al (2008) : leurs analyses semblent montrer que les stimuli perçus comme des anomalies sont à l’origine des BIPs.

2.2.5.2. Les mesures comportementales