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La discussion de ce travail est articulée en plusieurs parties et correspond à la discussion théo-rique des résultats empithéo-riques de chacune des études – Neuroprésence, Spatioprésence, Nav(i)r, Eduprésence – ainsi que des analyses transversales complémentaires. Cependant, malgré cette approche séquencée, les discussions des différents résultats suivent une démarche complémen-taire et font référence les uns aux autres afin de non seulement éviter une redondance dans la discussion d’effets similaires mais aussi permettre d’aller plus loin dans les raisonnements, et ce en parallèle de l’exploration des données. La synthèse de ces discussions fait l’objet, sous la forme d’un modèle théorique, de la conclusion du présent travail. Elle est accompagnée de cer-taines recommandations destinées aux acteurs de la réalité virtuelle, ainsi que de perspectives de recherches.

5.1. Neuroprésence : étude sur les fonctions exécutives

5.1.2. Modalités, genre et performance

Le premier objectif de cette étude était de comparer la performance à un test de neuropsychologie classique évaluant les fonctions exécutives, le Wisconsin Card Sorting Test, soit en modalité ré-alité virtuelle soit en modré-alité traditionnelle papier-crayon, et cela selon le genre des participants. Les résultats montrent qu’il existe des différences à prendre en compte et à discuter. En effet, et même si en comparant l’ensemble il n’existe pas d’effet simple de la modalité ou du genre sur la performance au Wisconsin Card Sorting Test, les analyses réalisées montrent une interaction significative entre le genre et la modalité dans le sens où les hommes sont tendanciellement plus performants dans la modalité réalité virtuelle qu’ils ne le sont dans la modalité papier-crayon. Cet effet n’est pas retrouvé parmi les individus de genre féminin, ce qui laisse supposer que les hommes sont avantagés par la modalité réalité virtuelle. Il convient alors d’entrer plus en détail dans l’analyse de cette modalité afin de comprendre les différences pouvant amener à un tel effet.

5.1.3. Performance et facteurs humains en modalité virtuelle

Le second objectif de cette étude était d’analyser la performance au Wisconsin Card Sorting test lorsque réalisée en réalité virtuelle et de mettre cette performance en relation avec toute une série de facteurs humains annexes, suggérés comme pouvant impacter cette dernière (genre, senti-ment de présence, cybermalaises, pratique des jeux vidéo, dépendance au champ). La première donnée à considérer lorsque l’on regarde les analyses au sein de ce groupe est qu’il existe une

association entre genre masculin et performance, et que, en accord avec les hypothèses, le genre est un prédicteur significatif de la performance au Wisconsin Card Sorting Test virtuel. Il convient de noter que cet effet, ainsi que sa puissance statistique, sont relativement faibles. Il demeure cependant important de prendre en compte le fait que les hommes de la modalité réalité virtuelle semblent non seulement plus performants que les hommes de la modalité papier-crayon, mais également plus performants que les femmes de la modalité réalité virtuelle. Au-delà de confirmer nos hypothèses a priori, ces différences font écho au titre explicite de Felnhofer et al., (2012) : Is virtual reality for men only ? Exploring gender differences in the sense of presence.

Ces différences de performance favorisant les hommes de la modalité réalité virtuelle – les femmes ayant une performance similaire dans les deux modalités – peuvent trouver leur explica-tion dans l’articulaexplica-tion des différents facteurs humains. En effet, et en accord avec les hypothèses expérimentales a priori, les hommes de la modalité réalité virtuelle ont montré, via la comparaison des scores de l’analyse en composantes principales, un sentiment de présence et une fréquence de pratique des jeux vidéo globalement plus élevés, ainsi que des taux de cybermalaises et de dépendance au champ plus faibles que ceux des femmes. Or, ces quatre facteurs humains, comme le montre la deuxième composante de cette analyse, semblent promouvoir la performance au Wisconsin Card Sorting test virtuel. Il est intéressant de voir qu’aucun de ces facteurs, pris indépendamment, n’est assez fort pour être directement corrélé à la performance, et que seul le genre en est un prédicteur significatif. Cependant, pris ensemble, ces facteurs humains forment un tout, représenté dans l’étude par la première composante de l’analyse en composantes princi-pales, corrélée à la composante de la performance. Cet ensemble pourrait être considéré comme la manifestation d’un profil cognitif (au sens perceptif, cognitif et moteur) qui influence l’expérience utilisateur, modulant ainsi la performance elle-même.

Le fait que les hommes présentent un profil cognitif et donc une expérience utilisateur plus favo-rable à la réalité virtuelle pourrait expliquer leur meilleure performance dans la modalité virtuelle. En effet, puisque cet effet n’existe pas lors de la réalisation du test classique, il est difficilement envisageable de considérer qu’il s’agit de différences dans la réalisation du test lui-même. Il est cependant intéressant de voir que bien que les hommes semblent favorisés en réalité virtuelle, le genre n’est ni prédicteur du sentiment de présence, ni des cybermalaises. En effet, la variance du sentiment de présence semble mieux expliquée par la fréquence de pratique des jeux vidéo et la dépendance au champ que par le genre lui-même, bien que ces deux effets soient davantage présents chez les hommes. De la même façon, la variance de la sensibilité aux cybermalaises semble mieux expliquée par une plus grande dépendance au champ, ce qui est, encore une fois,

généralement présent chez les femmes. Il est donc tout à fait possible que l’effet global relative-ment faible faisant de la variable genre un prédicteur de la performance en réalité virtuelle soit en fait un ensemble d’interactions d’autres variables pour lesquelles les hommes ont, en moyenne, des scores supérieurs, par exemple pour des raisons culturelles associant le jeu vidéo avec le genre masculin (Entertainment software association, 2019; Rosa et al., 2016) ou encore la pra-tique de jeux de construction 3D durant l’enfance entrainant l’indépendance à l’égard du champ (S. C. Levine et al., 2016).

Au sein du profil cognitif et de cette expérience utilisateur favorisant les hommes, les résultats semblent distinguer la dépendance au champ comme le point central de l’équation. En effet, non seulement la dépendance au champ est la seule variable corrélée à toutes les autres (cyberma-laises, sentiment de présence, pratique des jeux vidéo, genre), mais elle est aussi le principal contributeur de la composante facteurs humains de l’analyse en composantes principales, le seul prédicteur significatif des cybermalaises ainsi qu’un prédicteur significatif (en interaction) du sen-timent de présence. Cette donnée n’est pas surprenante considérant que la dépendance au champ accompagne des différences individuelles fortes, que ce soit par rapport à la perception spatiale (Farmaki et al., 2019) à l’intégration multisensorielle ou encore aux stratégies attention-nelles (Guisande et al., 2007), autant de concepts entremêlés avec les variables de notre étude. Il convient d’ajouter que la dépendance au champ semble largement associée à la pratique des jeux vidéo, et ce sans être un effet médié du genre, ce qui est, à notre connaissance, un résultat inédit, d’autant plus que les deux interagissent pour prédire significativement le sentiment de pré-sence. Sans pouvoir l’affirmer, il est possible de poser l’hypothèse interprétative que la pratique des jeux vidéo entraine les joueurs vers plus d’indépendance à l’égard du champ, par exemple en stimulant la cognition spatiale ou les capacités d’inhibition (Jia et al., 2014; Tascon et al., 2017). En effet, les jeux vidéo nécessitent souvent des capacités de cognition spatiale, que ce soit pour la navigation dans des mondes ouverts ou l’orientation par rapport à l’adversaire dans des jeux de tirs. De plus, les tâches des jeux vidéo sont accompagnées de nombreuses stimulations vi-suelles non pertinentes pour leur réalisation qu’il convient d’inhiber, par exemple les effets visuels où les décors dans les jeux de courses. Une autre explication pourrait être que la pratique des jeux vidéo poussent les individus à devenir moins dépendants à l’égard du champ afin de créer une habituation au conflit sensoriel, ce qui expliquerait la corrélation trouvée dans la littérature comme dans la présente étude, ainsi que les capacités prédictives de la dépendance au champ sur les cybermalaises. Dans ce contexte, cette moindre susceptibilité aux cybermalaises pourrait également entrainer plus de présence, association déjà vérifiée dans la littérature (Weech et al.,

Un autre résultat inédit de cette étude correspond à l’association forte et négative entre sentiment de présence et dépendance au champ. Cette relation, conforme aux hypothèses de Hecht & Rei-ner (2007), qui ont testé l’association entre dépendance au champ et présence d’objets, peut s’expliquer de différentes manières. Tout d’abord, il peut effectivement s’agir d’un effet concomi-tant induisant l’interaction entre jeux vidéo et dépendance au champ ; les individus plus dépen-dants au champ étant également les moins joueurs de jeux vidéo. Cependant, les processus co-gnitifs affectés par la dépendance au champ sont très proches de ceux constitutifs du sentiment de présence : notamment la cognition spatiale et l’inhibition (Evans et al., 2013; Wirth et al., 2007). On peut par exemple supputer, comme le font Hecht & Reiner (2007), qu’un participant dépendant à l’égard du champ verra son taux de présence lourdement affecté par des défauts, notamment visuels, de l’environnement virtuel. Au contraire, un participant plus indépendant à l’égard du champ pourra faire appel à ses propres repères pour « fill the gaps »de l’environnement (Hecht & Reiner, 2007), et ainsi préserver un taux de présence plus élevé. Il est également possible d’arguer que les plus grandes capacités d’inhibition des participants indépendants à l’égard du champ leur permettent d’effacer les stimuli issus du monde physique pouvant nuire au sentiment de présence, par exemple le bruit de l’ordinateur ou d’autres sons parasites. Enfin, la relation positive entre sentiment présence et pratique des jeux vidéo, déjà suggérée dans la littérature (Gamito et al., 2008) et retrouvée dans nos analyses puisque l’expérience des jeux vidéo est le principal prédicteur du sentiment de présence, s’explique aisément. En effet, il convient de noter que les jeux vidéo, au-delà des aspects de cognition spatiale et d’inhibition évoqués précédem-ment et pouvant impacter le sentiprécédem-ment de présence, comportent un certain nombre de schèmes cognitifs et sensori-moteurs qui peuvent faciliter, par familiarité, l’émergence du sentiment de pré-sence. Pour l’exemple, l’utilisation de manettes de jeux pour interagir avec un environnement virtuel est probablement grandement facilitée pour un joueur expérimenté, ce qui lui permet de réduire les ressources attentionnelles nécessaires à l’interface et donc lui permettre de davantage se focaliser sur l’environnement virtuel lui-même. Rappelons à ce propos la définition de la pré-sence de Lombard & Ditton (1997) de l’illusion de non-médiation.

5.1.4. Effet du stress

Cet objectif exploratoire réalisé en comparant le stress rapporté par les participants et causés par le fait de se sentir évalué a révélé des différences significatives entre la modalité réalité virtuelle et la modalité papier-crayon. En effet, les participants de la modalité traditionnelle dont le dérou-lement comporte un face-à-face entre participant et expérimentateur ont rapporté s’être sentis davantage stressés par le fait d’être évalués que ceux de la modalité réalité virtuelle. Cet effet