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MONTEE DE LA DEPENDANCE

19.5. SCENARIO TENDANCIEL DE L'AGRICULTURE VIVRIERE

L'hypothèse de base du scénario tendanciel, celle d'une persistance des mécanismes à l'oeuvre dans le Sahel, se traduit de façon simple dans le domaine de l'agriculture vivrière : les politiques qui ont conduit à rechercher un approvisionnement des villes à bon marché par des produits alimentaires importés ne sont pas fondamentalement modifiées au cours de la période considérée, elles le sont d'autant moins que le contexte mon- dial, caractérisé par la surabondance, la lutte des grands pays industria- lisés pour écouler leurs excédents sur les marchés extérieurs et les prix déprimés rend les politiques de ce type toujours aussi attrayantes, sinon plus. Dans ces conditions, rien ne vient arrêter la modification des habi- tudes alimentaires des citadins et leur goût pour les produits importés. Cette modification s'accélère d'autant plus que l'influence culturelle de l'Occident est de plus en plus forte, que les produits importés ont donc une image de modernité de plus en plus accusée et que, face aux prix des produits importés, les prix de la plupart des produits offerts par les paysans locaux sont peu attrayants.

Le pouvoir politique, de plus en plus sensible aux menaces que représen- tent les pouvoirs urbains émergents et réussissant à contrer des pouvoirs ruraux qui n'arrivent pas à se fédérer, ne réagissent pas à cette concur- rence des produits importés.

Les campagnes n'approvisionnent les villes sahéliennes en céréales que de façon marginale. Les paysans restent repliés sur eux-mêmes et cultivent pour leurs propres besoins. Le marché urbain ne les motive pas pour inten- sifier les méthodes culturales et celles-ci ont donc ten-dance à rester extensives. En particulier, les cultures irriguées de céréales ne sont pas compétitives et elles ne peuvent perdurer qu'à grand renfort de sub- ventions prises en charge sous des noms divers par les aides extérieures.

Les années de pluviométrie favorable ou simplement normale sont catastro- phiques pour les paysans qui ne trouvent à écouler leur production excé- dentaire qu'à des prix leur assurant un revenu monétaire dérisoire. Cela renforce leur idée qu'ils n'ont rien à attendre des marchés urbains et qu'ils doivent compter sur d'autres stratégies pour s'assurer un revenu monétaire.

Peu de paysans ont les stocks nécessaires ou ont suffisamment diversifié leurs productions pour tirer parti des hauts prix des années de sécheres- se. De toute façon ces hauts prix sont rapidement cassés par les importa- tions de céréales et par l'aide alimentaire. Cela renforcerait encore dans l'esprit des ruraux, s'il en était besoin, l'idée qu'il ne leur faut surtout pas compter sur les marchés urbains.

Une telle situation qui prolonge les tendances passées est-elle viable sur une période de 25 ans ? On n'évoquera pas ici le problème du finance- ment de l'achat de produits alimentaires importées par les citadins, pro- blème sur lequel on reviendra.

Dans un certain nombre de régions sahéliennes où des terres inoccupées ou faiblement peuplées sont encore disponibles, notamment au Mali et au Tchad et dans une moindre mesure au Burkina Faso et au Sénégal, l'exten- sion des terres cultivées résoud le problème de l'alimentation d'une popu- lation rurale qui continue à augmenter.

Dans les autres régions, en Mauritanie, au Niger, dans certaines provin- ces du Burkina, la surexploitation des terres s'accentue en même temps que la motivation pour chercher d'autres sources de revenus, en particu- lier par l'émigration vers les grandes villes devient encore plus forte.

Dans certaines provinces, la dégradation des terres devient telle que les paysans s'organisent pour lutter contre cette dégradation, sous l'impul- sion de quelques leaders locaux et avec l'aide de quelques ONG étrangères. Les expériences de ce type qui existent aujourd'hui prennent une plus

grande ampleur. Une agriculture plus respectueuse du milieu naturel, sans doute aussi un peu plus productive, plus diversifiée et plus intensive, se développe. Mais, c'est une agriculture d'auto-subsistance, qui demande des efforts humains considérables pour arrêter et renverser la dégrada- tion des sols. Ses produits ne sont généralement pas compétitifs avec les produits importés. Ce n'est pas une agriculture d'échange avec la ville.

Dans d'autres provinces, à population plus individualiste, les paysans ex- ploitent les sols jusqu'à l'usure totale, préparant une catastrophe écolo- gique qui ne survient pas nécessairement au cours du prochain quart de siècle. Certains ruraux étendent de plus en plus les terres qu'ils culti- vent, sans modifier les façons culturales et ont recours à une main d'oeu- vre salariée, très faiblement payée. Alors que les paysans sans terre ou avec peu de terres, à l'instar de ce qui s'est produit sur d'autres conti- nents, se multiplient. La différenciation sociale s'accélère. Tous les ruraux sans terres ne trouvent pas d'emploi salarié sur place et l'exode rural s'accélère aussi, prélude à un exode encore plus massif lorsque les terres seront complètement épuisées et irrécupérables. Sans aller jusqu'à cette extrêmité, il est possible que les gros exploitants, prenant cons- cience de l'imminence de la catastrophe, s'engagent individuellement dans la voie d'une agriculture plus respectueuse du milieu rural. Mais il s'agira aussi d'une agriculture d'auto-subsistance.

Dans l'un et l'autre cas, les biotechnologies et notamment la fixation directe de l'azote peuvent peut-être contribuer à la mise en place d'une agriculture plus écologique, moins "minière".

Parallèlement à cette agriculture d'auto-subsistance, une agriculture orient ée vers la satisfaction des besoins urbains dans certains domaines: les fruits, les légumes, les volailles etc... se développe considérable- ment car ses marchés sont naturellement mieux protégés de la concurrence étrangère que le marché céréalier. Ce sont les paysans "riches", les coo- pératives les plus dynamiques et aussi des citadins, dont une partie de l'activité s'exerce dans le cadre d'entreprises agricoles, qui en tirent des profits parfois importants. Cette agriculture nouvelle se modernise, l'emploi d'engrais, la mécanisation, l'utilisation de techniques d'irriga- tion etc... se développent.

La diversification de l'alimentation progresse dans les villes comme dans les campagnes. Mais cette diversification ne se fait que lentement. Les céréales, locales dans les campagnes, en grande partie importées dans les villes, restent encore la base de l'alimentation.

Aussi, les importations de produits alimentaires et en particulier de cé- réales, doivent elles augmenter pour nourrir les populations urbaines. Elles n'augmentent probablement pas aussi vite que les populations elles- mêmes, une partie de celles-ci continuant à être approvisionnées au moins partiellement par les campagnes par des circuits plus ou moins informels.

C'est le cas notamment des nouveaux arrivants qui gardent encore des habi- tudes alimentaires traditionnelles et conservent des liens forts avec le village. La diversification de l'alimentation ralentit aussi la croissan- ce des importations de céréales. En année de pluviométrie bonne ou moyen- ne, on fera une estimation des quantités de céréales qui doivent être importées en partant des chiffres d'importation moyens de ces dernières années et d'un taux d'accroissement annuel un peu inférieur à celui de la population citadine :

Scénario de croissance des

importations de céréales en année moyenne

1 1985 1 2000 1 2010 1 900 2100 3400

(en millions de tonnes)

En supposant que l'année 2000 soit une année de pluviométrie moyenne,le Sahel devra importer cette année là plus de céréales que dans les années 1984 et 1985, qui ont été marquées par les conséquences d'une sécheresse aiguë.

En année sèche et surtout en cas de succession d'années sèches, ces estimations doivent être revues en forte hausse. Non seulement les flux de produits alimentaires de la ville vers la campagne se tarissent, mais ils s'inversent : l'aide alimentaire va de la ville vers les villages, par des voies officielles ou informelles.