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MONTEE DE LA DEPENDANCE

15.4. L'ENVIRONNEMENT PROCHE : LE MONDE ARABE ET L'AFRIQUE HUMIDE

Le monde arabe

Le premier problème des relations sahélo-arabes est un problème de bon voisinage. La décolonisation a fait renaître sur la rive nord du désert le vieux rêve d'étendre son hégémonie sur la rive sud, le pays de l'or et des esclaves. L'empire Songhai est mort de ce rêve; le Tchad et, à un moindre degré, la Mauritanie ont fait récemment l'expérience que leurs voisins n'ont pas renoncé à toute ambition. Malgré le caractère anachroni- que de telles ambitions à la fin du XXème siècle, on ne peut exclure que les relations de voisinage de part et d'autre du Sahara ne connaissent encore des périodes troublées.

Quel que soit l'état de ces relations, le poids de l'Afrique du nord : de l'ordre de 85 millions d'habitants dans le Maghreb en 2010, ayant un reve- nu par tête nettement supérieur à celui des Sahéliens; une centaine de millions d'Egyptiens et de Libyens, ce poids sera une donnée que les Etats du Sahel ne pourront pas négliger.

Le second problème est celui des influences culturelles. L'Islam a gagné autrefois le Sahel à travers le désert, les liens religieux entre les deux rives n'ont jamais été rompus et ils sont sans doute aujourd'hui plus intenses qu'ils ne l'ont jamais été. Aussi, les courants qui agitent le monde arabe et en particulier l'intégrisme islamique ont-ils nécessai- rement leurs répercussions sur le monde sahélien.

Plus ou moins liés à ces deux problèmes est la question de l'aide. Les pays pétroliers arabes ont considérablement développé leur aide au Sahel au cours des années 1970. La Mauritanie est membre de la Ligue arabe, elle est considérée comme une partie du monde arabe et elle bénéficie donc d'une position privilégiée dans la répartition de l'aide. Pour elle,

l'aide financière et l'assistance technique arabes ont joué un rôle très important et lui ont permis de traverser une période difficile. Elles ont joué un moindre rôle dans les autres pays et ce rôle a diminué avec la

baisse des revenus pétroliers. Il est vraisemblable qu'il ne redeviendra pas important à moyen terme. En revanche, il est difficile de prévoir ce que sera l'attitude des pays détenteurs d'une grosse rente pétrolière lorsque cette rente croîtra à nouveau. Ces pays sont situés dans un envi- ronnement tellement complexe et mouvant que toute prévision sur leur inté- rêt futur pour le Sahel semble bien aléatoire.

Quant au commerce, les échanges transsahariens, qui avaient fait du mon- de arabe le grand partenaire commercial du Sahel pendant des siècles, ont pratiquement disparu. Malgré l'amélioration des routes à travers le Saha- ra, ils restent marginaux et, vu le coût des transports, ils le resteront probablement. D'une façon plus générale, la complémentarité entre les deux zones économiques est actuellement faible : les deux sont défici- taires en céréales et ne figurent pas parmi les grands exportateurs indus- triels. A terme, le Sahel et en particulier le Mali a un potentiel agrico- le que n'a pas le Maghreb et on pourrait imaginer que la vallée du Niger devienne le grenier d'un Maghreb fortement déficitaire en céréales. Mais, vu l'état probable des marchés mondiaux que l'on décrira plus loin, il semble douteux que cette complémentarité puisse trouver un cadre adéquat pour se traduire dans les faits.

Côte d'Ivoire, Ghana, Nigéria

La Côte d'Ivoire a connu une croissance soutenue jusqu'au début des années 1980 qui a attiré une forte émigration sahélienne. Après une réces- sion accusée, ce pays semble connaître une meilleure situation, encore que le poids de sa dette extérieure soit maintenant un handicap. Les pers- pectives de développement de ce pays qui dispose de ressources diverses et d'une paysannerie dynamique sont grandes. Mais l'exemple du pays voi- sin, le Ghana, tout aussi bien pourvu, a montré combien le développement pouvait être chose fragile.

L'économie ghanéenne n'a pas tenu ses promesses du début des années 1960 et n'a pas joué en Afrique de l'ouest le rôle qui aurait pu être le sien. Mais, elle a commencé son redressement et peut-être pourrait-elle être demain un des pôles de développement de la région.

Quant au Nigéria, avec la moitié de la population de l'Afrique de l'ouest (*) et ses ressources pétrolières, il est le géant de la région. Un géant fragile sur le plan politique : c'est une fédération qui s'est subdivi- sée en Etats de plus en plus nombreux et très disparates du point de vue culturel, mais une fédération qui semble avoir maintenant trouvé un cer- tain équilibre. On peut prendre le pari qu'elle ne se désagrégera pas dans un avenir prévisible.

(*) de l'ordre de 100 millions d'habitants en 1985 et probablement de l'ordre de 200 millions en 2010.

Un géant fragile sur le plan économique : l'agriculture nigériane s'est littéralement effondrée et le premier exportateur d'oléagineux du monde au début des années 1960 est devenu importateur. L'apparition de revenus pétroliers avait bouleversé une économie peu préparée à en tirer parti et déterminé un accroissement gigantesque des importations. La chute de ces revenus a soumis l'économie à un nouveau choc. Un choc rude, mais dont elle est en train de se remettre. Comme celle du Ghana, l'économie du Nigéria est en cours de redressement et elle est tout à fait capable de jouer demain un rôle de premier plan dans la région.

Ghana et Nigéria ont joué dans les économies sahéliennes un rôle particu- lier du fait de leur politique monétaire. Pendant deux décennies, ils ont eu une monnaie non convertible, médiocrement gérée et en général forte- ment surévaluée. Les pays de la zone franc qui bénéficiaient d'une mon- naie convertible et moins surévaluée que les monnaies ghanéenne et nigé- riane en ont tiré parti. Des courants commerciaux importants mais large- ment informels donc non recensés et mal connus se sont développés pour des raisons essentiellement monétaires entre ces pays et les pays de la zone franc. Ces derniers, dont les pays sahéliens, en ont bénéficié.

Sous la pression des institutions internationales et instruits aussi sans doute par l'expérience, ces deux pays semblent changer de politique moné- taire. Il n'est pas exclu, loin de là, que les classes commerçantes de ces pays, nombreuses et dynamiques, ayant saisi le parti qu'elles pou- vaient tirer d'une monnaie à la bonne parité voire sous-évaluée et étant en mesure de faire désormais prévaloir leur point de vue, le paysage moné- taire de l'Afrique de l'ouest ne soit à l'avenir très différent de ce qu'il a été pendant les deux dernières décennies. Auquel cas, les cou- rants d'échanges deviendraient très différents et les pays de la zone franc perdraient les avantages commerciaux dont ils ont bénéficé.

Le Franc CFA est devenu le support d'une économie souterraine qui étend ses ramifications sur toute l'Afrique de l'ouest francophone et anglopho- ne. Mais on ne peut oublier que ce rôle a été joué autrefois par la Livre du West African Currency Board. Les monnaies qui ont succédé à la Livre peuvent, un jour, retrouver ce rôle.

Aussi le scénario d'un Nigéria et/ou d'un Ghana ayant retrouvé une crois- sance économique forte, constituant une zone de prospérité et d'échanges commerciaux intenses et rejetant de ce fait les pays sah éliens à la péri-

phérie d'une économie dominant la région, est-il plausible.

Il est plausible, mais il est loin d'être certain, l'expérience de ces dernières années a été celle d'une évolution cahotique, elle a montré com- bien les retournements de situation pouvaient être rapides dans ces pays, en particulier au Nigéria. Personne ne peut exclure de nouveaux effondre- ments de pans entiers de leur économie.

On ne peut enfin exclure, même si sa probabilité paraît aujourd'hui très faible, l'éventualité d'un Sahel placé entre un Maghreb et un Nigéria se trouvant sinon en conflit du moins en état de rivalité forte, d'un Sahel devenant une sorte d'enjeu entre deux puissances dont le poids politique et économique sera très supérieur au sien.

CHAPITRE 16

VALEURS ET MENTALITES : LA CULTURE SAHELIENNE DE DEMAIN

Après avoir examiné l'évolution probable de l'environnement du Sahel, on abordera l'avenir des sociétés sahéliennes par ce qui est au coeur même de ces sociétés, ce que nous avons appelé leur culture : les valeurs et les mentalités.

On ne fera pas de distinctions subtiles entre valeurs, mentalités, aspira- tions etc... et on désignera sous ce nom ce que H. de JOUVENEL appelle "les préférences sous-jacentes des individus, les motifs profonds sur les- quels se fondent leurs jugements, leurs espoirs et leurs angoisses". Ces dispositions mentales sont évidemment très variables d'un individu à l'autre, mais on s'est depuis longtemps rendu compte qu'elles ne sont pas réparties au hasard dans la société mais qu'elles dessinent à un moment donné des configurations caractéristiques de cette société.