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MONTEE DE LA DEPENDANCE

15.1. LE SAHEL DANS LE JEU GEOPOLITIQUE ET GEOECONOMIQUE MONDIAL

Pour un historien de l'avenir, l'année 1970 apparaîtra sans doute à l'échelle mondiale comme la date à partir de laquelle une croissance éco- nomique soutenue et relativement régulière a été remplacée par une série de fluctuations de grande ampleur, chaque fluctuation n'étant maîtrisée

par les marchés ou les gouvernements qu'après un retard lui ayant permis d'engendrer d'autres déséquilibres profonds. Ainsi, la crise de l'endette- ment de l'Amérique latine est-elle assez largement l'héritage des deux chocs pétroliers et la chute actuelle du dollar la conséquence de sa mon- tée au début des années 1980, montée provoquée elle-même par la lutte con- tre l'inflation rendue nécessaire par le deuxième choc pétrolier.

Cette dynamique de l'économie mondiale s'explique probablement par la con- jonction de deux phénomènes :

- la montée de l'interdépendance, qu'il s'agisse de flux de personnes ou d'information, de transferts financiers, d'échanges de ressources natu- relles ou de biens manufacturés;

- l'émergence d'une triade USA/Communauté Européenne/Japon au sein du monde à économie de marché, avec pour corollaire l'affaiblissement du rôle de régulateur qu'avaient joué les Etats-Unis dans l'économie de l'après-guerre.

Dans ces conditions, l'interdépendance rend plus que jamais nécessaire une coopération entre les gouvernements afin d'assurer la régulation des marchés internationaux, et notamment du marché des changes, au moment même où cette coopération ne peut progresser que lentement, compte tenu de l'accroissement du nombre des gouvernements concernés.

Si cette interprétation est exacte, l'évolution de l'économie mondiale au cours du prochain quart de siècle a les plus grandes chances de continuer à être marquée par de profonds déséquilibres. Quant à la montée de l'in- terdépendance, les forces qui la sous-tendent semblent si puissantes qu'elle devrait se poursuivre, même si des mesures protectionnistes de- vaient provisoirement la freiner ou l'arrêter.

Indépendamment des phénomènes précédents, deux autres tendances devraient progressivement modifier le paysage économique mondial :

- la différenciation croissante du devenir des pays et des régions, - le développement des mutations techniques actuellement en cours.

Au cours des décennies 1950 et 1960, nombre d'économistes acceptaient l'idée d'une convergence progressive des revenus nationaux par tête, les pays les moins développés ayant une croissance plus rapide à l'image du rattrapage du revenu américain par l'Europe Occidentale et le Japon. Mais, s'il est un enseignement des vingt dernières années, c'est bien que cha- que région ou chaque pays a sa dynamique propre qui dépend des comporte- ments de ses groupes sociaux et des politiques de ses gouvernements. La différenciation du Tiers-Monde paraît une tendance bien établie et l'hypo- thèse la plus probable est sans doute qu'elle se maintiendra au cours des vingt ou trente prochaines années. Avec des destins très divers pour les pays industriels de l'Asie de l'est, pour les pays-continents comme l'Inde et la Chine, pour les grands pays d'Amérique Latine, pour le monde arabo-persan et pour l'Afrique subsaharienne.

Simultanément, si, en matière technologique, l'on répartit, comme le pro- pose C. Freeman, les innovations en innovations marginales, innovations radicales, révolutions technologiques et changements de paradigme socio- technique, force est de reconnaître que l'irruption des technologies de l'information - déjà en cours depuis le début des années 1960 - appar- tient sans conteste à la quatrième catégorie. Elle modifie en profondeur les processus techniques, les conditions de la concurrence, la réparti- tion dans l'espace des activités productives, la rareté relative des différentes catégories de travail, la structure des emplois. Quant aux biotechnologies, elles ne sont encore qu'à l'aube de leur développement, mais on peut' penser qu'elles donneront naissance dans une première phase à des révolutions techniques dans l'agriculture, l'élevage, la santé hu- maine et animale, l'agro-alimentaire et la chimie.

Enfin, le prochain quart de siècle continuera probablement à être marqué - et cela quelle que soit l'évolution des négociations entre l'Union Sovié- tique et les Etats-Unis - par la permanence de la rivalité Est-Ouest. Avec pour conséquence le risque d'une internationalisation ouverte ou occulte des guerres civiles ou des conflits qui pourraient prendre nais- sance en Afrique subsaharienne.

Que signifient pour le Sahel ces tendances majeures de la prospective mon- diale ?

- La Communauté Européenne avec laquelle le Sahel, et plus généralement l'Afrique de l'Ouest, entretiennent des relations étroites, va se trou- ver de plus en plus écartelée entre deux ensembles d'intérêts : ses intérêts économiques d'une part qui, sous l'impulsion de la concurrence au sein du monde développé, inciteront ses entreprises à s'établir en Asie de l'est, en Amérique du nord et à la rigueur en Amérique Latine; et d'autre part ses intérêts culturels et stratégiques qui obligeront ses gouvernements à attacher de l'importance aux relations avec le monde méditerranéen et avec l'Afrique subsaharienne. D'où une disper- sion inévitable des priorités européennes.

- Sur un autre plan, les pays européens risquent de connaître jusqu'à la fin du siècle une croissance relativement lente et un chômage élevé, ce dernier étant dû pour une part à la lenteur de la croissance et pour une autre part aux rigidités structurales des économies européennes. Dans ces conditions et compte tenu aussi du niveau élevé de la dette publique, les contraintes budgétaires resteront fortes en Europe, les politiques d'immigration probablement restrictives et les politiques de liberté des échanges prudentes.

- Ce sont les pays les plus dynamiques, notamment dans le Tiers-Monde, qui bénéficieront de la concurrence intense qui régnera sur les marchés mondiaux des biens manufacturés et des produits agricoles tropicaux, tandis qu'en matière de céréales, ce sont les degrés de protection accordés à leur agriculture par les gouvernements des pays développés qui détermineront assez largement les cours internationaux.

- Les problèmes du Sahel et plus généralement des pays les plus pauvres de l'Afrique au sud du Sahara vont devenir de plus en plus spécifiques

par rapport à ceux du Tiers-Monde en général. Une évolution qui repré- sente à la fois un risque et une chance. Un risque parce que les ac- teurs de l'environnement international peuvent être conduits à négli- ger encore plus qu'ils ne le font actuellement les conséquences de leurs décisions sur le Sahel. Une chance parce que la Communauté Inter- nationale peut accepter pour le Sahel, et plus généralement pour les pays les moins développés à faible population, des solutions qui se- raient rejetées si elles devaient s'appliquer à une fraction plus ri- che et plus importante de la population mondiale.