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MONTEE DE LA DEPENDANCE

17.3. LES SCENARIOS CONTRASTES

Les conditions qui sous-tendent la réalisation du scénario tendanciel et notamment le maintien de l'hégémonie de la classe politique actuelle ne seront pas nécessairement remplies. D'autres forces peuvent devenir domi- nantes et engendrer d'autres scénarios, contrastés par rapport au scéna- rio tendanciel. On en examinera trois.

Les ré gimes sécessionistes

A l'aube des indépendances, tous les dirigeants sahéliens ont fait de la construction de l'unité nationale une de leurs grandes priorités. Un quart de siècle après, l'intégration nationale ne s'est pas complètement réalisée partout. Il existe chez nombre de groupes une conscience très vive des disparités qui caractérisent les différents pays. Il est facile et tentant d'en attribuer la responsabilité aux politiques coloniales qui concentraient les investissements sur les parties "utiles" des pays alors que d'autres parties étaient laissées à elles-mêmes. Mais les régions attardées dans le contexte national n'acceptent pas facilement ce dis- cours et sont tentées de demander un rattrapage et un partage plus équita- ble des fruits de la croissance, lorsque croissance il y a.

En sens inverse, les régions les mieux nanties peuvent avoir l'impression qu'elles ne tirent pas de leur appartenance à la collectivité nationale tous les bénéfices qu'elles sont en droit d'attendre. Les unes et les

autres peuvent être tentées par ce que les hommes politiques africains appellent, d'un nom caractéristique, "le démon de la sécession". Il s'en suivrait un remodelage de la carte du Sahel dont personne ne peut aujour- d'hui imaginer les contours.

Il est clair qu'un accroissement des difficultés économiques dû, par exem- ple, à une application très stricte des programmes d'ajustement struc- turel décourageant les investissements sociaux dans les zones attardées, ou encore la découverte d'une "ressource-miracle" dans une province, se- raient de nature à favoriser l'éclosion de régimes sécessionistes.

Les régimes intégristes

La conjonction de deux éléments : le désarroi de sociétés sahéliennes dans une situation de crise plus aiguë, situation dans laquelle l'Islam pourrait faire figure une fois de plus de refuge, combiné à l'agressivité politique de pays islamiques détenteurs ou non de revenus pétroliers, pourrait conduire certains chefs religieux, insatisfaits de la place qui leur est faite dans des Etats se réclamant de la laïcité, à essayer d'ins- taurer des "républiques des mollahs" dans le Sahel.

Les tentatives de création d'un grand parti islamique au Sénégal, les pressions qui s'exercent en Mauritanie pour une application stricte de la charia, la tolérance d'enclaves où l'ordre public est assuré par des mili- ciens islamiques, la tendance profonde de l'Islam à constituer un pouvoir temporel organisant la vie des communautés de fidèles sont autant d'indi- cations que cette possibilité d'émergence de régimes intégristes n'est pas purement théorique.

Les régimes d'alternance démocratique

On a vu que la recherche de l'unanimisme a été une constante de la politi- que sahélienne dépuis les indépendances, la démocratie à l'occidentale comportant une pluralité de partis en compétition pour le pouvoir étant réputée présenter trop de risques de dispersion des énergies et même trop de risques de désintégration nationale. Actuellement, seuls deux pays, le Sénégal et la Gambie, ont une opposition légalement reconnue, encore faut- il souligner que le parti majoritaire y joue un rôle très largement domi- nant. Et en aucun pays sahélien, une alternance démocratique ne s'est encore produite.

Pourtant, à moyen et à long terme, les chances de voir la vie politique sahélienne évoluer vers une forme de démocratie plus proche des concep- tions occidentales, comportant une possibilité réelle d'alternance démo- cratique, ne sont pas nulles.

Un certain nombre de facteurs de changement vont dans ce sens. Les théori- ciens de l'unanimisme sahélien ont toujours considéré que le régime du parti unique n'était pas une panacée mais un pis-aller qu'il fallait ac- cepter dans un premier temps. Ces partis uniques sont loin d'être exempts de contradictions internes et les luttes de tendance s'y développent, pre- nant parfois des formes violentes : une façon de désamorcer ces conflits serait évidemment d'évoluer vers une pluralité réelle des partis. La sen- sibilité accrue des pays occidentaux à la question des droits de l'homme et les pressions qui s'exerceront sur les pays aidés iront aussi dans le sens de la démocratisation.

Enfin, parmi les facteurs qui contribueront à rendre possible l'instaura- tion de régimes d'alternance démocratique au Sahel, il y a les revendica- tions des Sahéliens eux-mêmes. La majorité d'entre eux n'a pas vécu la période coloniale et ne peut donc pas apprécier la situation actuelle de démocratie limitée comme un progrès décisif par rapport à la situation qui prévalait à l'époque coloniale. Elle sera d'autant moins portée à le faire qu'elle sera de mieux en mieux informée de ce qui se passe sur d'au- tres continents où l'expression libre et démocratique est considérée comme une condition même de l'existence. Les restrictions de tous ordres à la démocratie risquent d'apparaître à la majorité des jeunes de demain d'autant plus inacceptables qu'elles émaneront d'un Etat qui n'a pas véri- tablement les moyens de jouer un rôle providentiel.