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MONTEE DE LA DEPENDANCE

14.1. L'EVOLUTION RECENTE DU CLIMAT DANS UNE PERSPECTI11E A LONG TERME

L'évolution récente du climat sahélien rappelée au paragraphe 5.1 peut donner lieu à deux interprétations :

- ou bien la période sèche d'une vingtaine d'années que vient de connaî- tre la région s'inscrit dans l'évolution à long terme du climat, telle qu'on peut la reconstituer à partir des données historiques disponi- bles ;

- ou bien cette période sèche marque une rupture dans l'évolution connue.

Il est évident que selon que l'on adopte l'une ou l'autre interprétation, la vision que l'on aura du climat de demain est sensiblement différente.

Hypothèse de la continuité

Il semble aujourd'hui clairement établi que, tout au long de l'ère quater- naire, le Sahel a connu une série d'oscillations climatiques, vraisembla- blement causées par deux phénomènes astronomiques périodiques : la préces- sion des équinoxes et la variation de l'excentricité de l'orbite terres- tre, qui tous deux ont une influence sur la quantité d'énergie reçue par chaque hémisphère terrestre.

Il semble établi que, pendant le dernier maximum glaciaire, il y a 20.000 ans, le Sahel actuel connaissait un climat saharien et que, à cette période d'extrême sécheresse, a succédé une période de grande humidité dont l'optimum se situe vers -8000 avant notre ère. A cette époque, le Sahara était occupé en majeure partie par une immense savane et par de vastes lacs dont le Tchad est un petit reste. Le Sahel était nettement plus arrosé que de nos jours et les grands fleuves qui le traversent avaient un débit supérieur à leur débit actuel.

Le dessèchement a dû commencer dès -4000 et s'accélérer au cours des siè- cles suivants, la conséquence la plus spectaculaire étant la mise en pla- ce du désert, achevée pour l'essentiel vers -2000. Depuis cette époque,

les données dont on dispose concordent assez bien pour permettre d'affir- mer qu'un dessèchement très lent se poursuit, dessèchement irrégulier, caractérisé par deux sortes d'oscillations :

- des oscillations d'amplitude assez faible mais de longue durée, portant sur un ou plusieurs siècles : il est probable que le climat au temps des empires du Ghana et du Mali était en moyenne plus humide qu'aujour- d'hui et les observations des voyageurs au XVIIème siècle permettent de supposer qu'il en était de même à cette époque;

- des oscillations de courte durée mais d'amplitude plus grande auxquel- les il est donné le nom de sécheresses. On sait par les traditions orales qu'il y eut de tous temps des sécheresses, peut-être dès les siècles qui précédèrent notre ère. Et de multiples témoignages attes- tent de terribles sécheresses, par exemple entre 1639 et 1643 et entre 1738 et 1756. Plus récemment, la période coloniale a été marquée par plusieurs sécheresses, notamment celle de 1913 qui fut meurtrière dans la plus grande partie du Sahel.

On peut considérer que la récente sécheresse est une oscillation de cour- te durée supplémentaire dans l'histoire climatique du Sahel. Il semble qu'elle ait été plus accusée que les précédentes, c'est au moins ce que laissent supposer un certain nombre d'indices dont on retiendra le plus spectaculaire : le fleuve Niger s'est pratiquement arrêté de couler à Niamey en 1985, fait frappant que ne rapporte aucune relation écrite ni aucune tradition orale et qui n'avait donc jamais dû se produire de mémoire d'homme. Mais on peut considérer que ce caractère plus accentué s'inscrit dans la tendance générale au dessèchement lent de la région et qu'il n'a en lui-même aucun caractère exceptionnel : la sécheresse a simplement été un peu plus forte que les précédentes, conformément à ce qu'aurait pu laisser prévoir une tendance millénaire.

Hypothèse de la rupture de tendance

Une autre hypothèse peut être faite et a été faite : la dernière séche- resse serait le signe d'une modification récente de la tendance, d'une accélération brutale du dessèchement que la totalité des observateurs qui ont soutenu cette hypothèse attribuent à des causes non pas naturelles mais humaines.

Ce changement peut être attribué à deux causes :

- le déboisement et plus généralement la modification du couvert végétal des régions sahéliennes elles-mêmes qui modifie le pouvoir réfléchis- sant des sols (l'albédo) et modifie les équilibres énergétiques dans l'atmosphère au-dessus des régions sahéliennes, ce qui pourrait avoir une influence sur les précipitations qu'elles reçoivent. Mais, si l'on comprend que la variation de l'albédo puisse avoir une influence sur la

répartition des pluies apportées par la mousson, on voit moins bien com- ment cette variation peut influer sur la mousson elle-même, sur la mon- tée vers le nord du front inter-tropical qui, insuffisante ou mal située dans le temps, entraîne la sécheresse sur le Sahel. Les mesures de l'albédo sur les régions sahéliennes faites par satellites depuis 1973 n'ont pas montré de corrélation avec la pluviométrie. La diminu- tion de l'albédo enregistrée de 1973 à 1979 n'a pas engendré une meil- leure pluviométrie, comme on aurait pu s'y attendre. Aussi, la rétroac- tion négative : la sécheresse entraîne une diminution du couvert végé- tal donc une augmentation de l'albédo, laquelle entraîne une nouvelle diminution des pluies, demeure-t-elle une hypothèse non vérifiée.

- le déboisement massif des régions tropicales humides situées au sud du Sahel. La disparition accélérée de la forêt tropicale dans les zones côtières et son remplacement par des plantations ou par une savane plus ou moins stérile est une réalité. En Côte d'Ivoire, on estime que la forêt couvrait au début du siècle plus de 15 millions d'hectares, elle n'en couvrait plus que 12 millions en 1956, 9 millions en 1966 et il semble qu'elle n'en couvre pas beaucoup plus de 3 millions en 1985. Cette forêt constitue un réservoir d'humidité et sa disparition aurait un effet sur les quantités d'eau présente dans l'atmosphère des régions côtières en période de mousson et par voie de conséquence sur les quan- tités d'eau que les vents venant du sud amènent sur les régions sahé- liennes. On est là aussi dans le domaine de l'hypothèse, disons plausi- ble, mais non vérifiée.

Le retour de deux années de bonne pluviométrie en 1985 et 1986 rend moins attrayante la thèse de la rupture de tendance mais elle ne permet absolu- ment pas d'exclure un infléchissement dans l'évolution générale du cli- mat, une accélération du dessèchement séculaire moyen due à des causes d'origine humaine, le déboisement massif des régions côtières humides constituant la cause aujourd'hui la plus plausible de cette accélération.