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SAVOIRS ET PRATIQUES EMPIRIQUES DES ÉLÈVES

CULTURE SCIENTIFIQUE ET SAVOIRS D’ACTION

MOTS-CLÉS : APPRENTISSAGE CULTURE SCIENTIFIQUE EXPERTISE EMPIRIQUE

3. SAVOIRS ET PRATIQUES EMPIRIQUES DES ÉLÈVES

3.1 Pratiques empiriques des élèves de lycée lors d'une sortie géologique

Nous prendrons le cas d'élèves de première S lors d'une sortie géologique effectuée en fin d'année, donc après les cours et les TP correspondants, dans la région de Flamanville (voir Orange & al., 1999). Des groupes d'élèves, qui travaillent à partir d'un document comprenant indications et questions, sont suivis par un accompagnateur, qui prend des notes, enregistre les échanges et, éventuellement, pose des questions. Nous nous limiterons à deux situations où les élèves cherchent des explications. Elles concernent un groupe de deux élèves, Florian et Mathieu, notés F. et M. L'accompagnateur est noté C. La première situation correspond à un moment ou, devant un talus de granite et d'arène granitique, les élèves doivent proposer (par écrit) une explication à la formation de l'arène. La transformation du granite en arène a été étudiée en cours et en TP, il y a quelques mois.

L'explication proposée ici par les élèves est fausse : l'arène contient des feldspaths. Ainsi, sur une question géologique relativement simple, les élèves n'ont pas la capacité de prendre sur le terrain des informations critiques, permettant de remettre en cause leurs explications.

F prend un échantillon d'arène

« F : C'est quoi l'explication de l'arène granitique ? M : C'est quelque chose qui s'en va avec l'eau. xxx

M : T'as comparé l'arène granitique au granite sain ?

F : Ben, il y a un truc qui manque, ouais, un composant qui manque, mais je ne sais pas lequel… Mais on l'avait vu en cours déjà ça

xxx

F : Y a l'altération du granite, y a un des composants qui s'en va. xxx

F : Vas-y regarde, tu pourras me le dire.

M : Le granite sain et ça ? Il y a encore du mica, le quartz. xxx

M : C'est les feldspaths… c'est les feldspaths qui partent. Yvan ? »

La seconde situation correspond à un problème qui n'a pas été étudié auparavant en classe : celui de la formation des filons de microgranite. C'est sur un questionnement de l'accompagnateur, devant un bloc de granite traversé par du microgranite, que les élèves abordent ce problème. Pour un géologue, "l'évidence" du terrain parle : le microgranite s'est mis en place après le granite. Les élèves mobilisent des savoirs théoriques et prennent des informations sur le terrain. Mais, là encore, la prégnance du modèle est marquée ; le travail empirique ne joue aucun rôle critique. Il manque aux élèves des savoirs pratiques pour lire ce terrain ; mais aussi des connaissances théoriques, sur le concept de filon, par exemple, leur permettant d'envisager différentes possibilités explicatives et de les confronter aux observations.

« C : Un truc comme ça, à votre avis comment ça a pu se mettre, comment ça a pu se former ? M : Florian ?

F : hein ?

M : Florian, dis-moi.

C : Non mais, à quel moment est-ce que ça s'est formé ? Après le granite ? Avant le granite ? M : Si c'était pas du granite.

F : Plutôt avant et quand le granite il s'est formé cette roche là elle a changé. C : C'est resté comme ça sans…

I : Ouais xxx

M et J : Parce que après… après c'est pas… C : Pourquoi ça vous gêne que ce soit après ?

M : On a formation d'un bloc compact de granite ; que… dedans… F : Oui, dedans, à l'intérieur…

xxx

3.2 Les difficultés des élèves dans les situations empiriques ouvertes

Dans ces deux situations, la maîtrise empirique des élèves est faible. C'est-à-dire qu'ils n'ont pas les moyens de mettre en tension les données empiriques avec leurs idées explicatives. Ce constat rejoint d'autres résultats de la recherche associative INRP sur la pratique expérimentale dans la classe (1995-1998, dirigée nationalement par Claudine Larcher). À chaque fois que les élèves sont devant une situation empirique ouverte, où ils ne se limitent pas à suivre une fiche de TP détaillée, des difficultés apparaissent qui relèvent d'un manque de connaissances précises du domaine et, de manière indissociable, d'une faiblesse des savoirs d'action sur ce domaine. Ainsi André Laugier (1998), qui étudie des élèves de seconde confrontés à un problème de mesure d'un volume de gaz, note-t-il "l'extrême maladresse des élèves dans l'utilisation du matériel, pourtant très simple" ; mais il remarque également : "La capacité à élaborer un protocole qui soit une solution du problème posé (mesurer le volume du gaz sans en perdre) suppose que les élèves soient en mesure de mobiliser les connaissances relatives aux propriétés des gaz et à leur comportement dans un liquide dans lequel ils sont insolubles". Schneeberger (1999) fait des constats très proches concernant des travaux sur la fermentation alcoolique (option Sciences Expérimentales, 1e S).

4. CONCLUSION

La culture scientifique ne peut se limiter à des savoirs théoriques. Ceux-ci sont inextricablement liés à des savoirs d’action. Dans leurs pratiques empiriques, les élèves, comme les scientifiques, utilisent une grande variété de connaissances, certaines relevant plutôt de savoirs théoriques et d'autres de savoirs d'action. Mais le manque de connaissances précises du domaine et de savoirs pratiques permettant de prendre des informations ou d'agir, donne aux premiers une faible autonomie et empêche leurs investigations empiriques de jouer un vrai rôle critique : leur expertise empirique est faible. Ces difficultés ne sont pas surprenantes quand on sait le temps et le travail qu’il faut aux scientifiques pour acquérir "cette somme de connaissances, d'expérience et de flair sans quoi on perd son temps" (Jacob, 1987). On peut trouver là une explication aux fonctionnements classiques (fiches, TP cadrés, monstrations) des pratiques empiriques en classe : ce sont les solutions les plus directes à ces difficultés. En proposer d'autres, plus conformes aux exigences d'une culture critique, passe certainement par des curricula où les élèves n'ont pas tout à maîtriser en même temps : nouveau champ conceptuel, nouveau domaine empirique, nouvelles techniques… Cela demande également de construire, pour les situations d'investigation empirique, des aides didactiques qui laissent aux élèves des espaces de décision.

BIBLIOGRAPHIE

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LAUGIER A. (dir.), Rapport de la recherche INRP/IUFM de Bordeaux (Chimie) sur « l’expérimental dans la classe », 1998.

MARTINAND J.-L. & al., Enseignement et apprentissage de la modélisation en sciences, Paris : INRP, 1992.

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RUMELHARD G., La génétique et ses représentations dans l'enseignement, Berne : P. Lang, 1986. SCHNEEBERGER p., RODRIGUEZ R., Les lycéens face à une investigation à caractère expérimental : un exemple en classe de 1e S, Aster, 1999, 28, 79-105.