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2.2 Vers une saturation de la pratique ?

Dans le document Essai sur les territoires du judo en France (Page 96-102)

Dans le schéma du cycle de vie d’un produit, les auteurs signalent qu’à la fin du pic de croissance arrive le seuil de saturation et, pour la Fédération de judo, cela correspond au moment où le nombre de licences et de clubs commencent à stagner et où aucune croissance positive n’est envisagée, avec les prémices même d’une décroissance.

Émettre cette hypothèse c’est envisager qu’après les années 2000 le judo français est rentré dans une phase de stagnation, voire de régression. Les données statistiques sont des outils précis pour apporter des éléments de réponse au schéma théorique. Au début des années 2000, le nombre de licences a continué de croître mais moins rapidement que la population française (3,9 % contre 6,1 %). David Douillet, élu sportif des années 1995 et 2000, reste aujourd’hui très populaire comme le montrent ses actions caritatives et son élection politique en tant que député des Yvelines. La courbe des licences de la FFJDA durant une décennie présente cependant des particularités (graphique 8).

Graphique 9 : Évolution des courbes licences / clubs (2001-2010)

Le graphique 9 montre une courbe des licences relativement linéaire où les progressions ne sont plus aussi marquées que dans les périodes précédemment étudiées. Globalement le judo est une discipline dont les effectifs se sont stabilisés en moyenne autour des 560 000 licences sur les dix premières années du XXIe siècle. Toutefois nous pouvons distinguer trois périodes distinctes. Après les croissances du début des années 2000, la courbe des licences, comme celle des clubs décroît jusqu’en 2004, année olympique. Durant l’olympiade suivante (2004- 2008) les données stagnent pour se stabiliser autour de 550 000 licences et 5 500 clubs. Les éléments correspondent aux signaux d’une période de saturation qui entraine en théorie le déclin du produit. Mais à partir de 2007 on assiste à une remontée des courbes et la FFJDA dépasse lors de la saison 2009-2010 les 586 000 licences.

Aujourd’hui il est intéressant de réaliser un parallèle entre la courbe des licences et les résultats d’un autre judoka. Teddy Riner, né en 1989 (2m04, 140 kg) est considéré par beaucoup comme le successeur de David Douillet. Multiple médaillé chez les « juniors », il est à ce jour le plus jeune champion du monde de judo. À Rio au Brésil, encore dans la catégorie « junior », il remporte la médaille d’or à 18 ans et 5 mois (David Douillet gagnait

son premier titre mondial à 24 ans). En avance sur le palmarès de Douillet, il est, en avril 2011, quadruple champion du monde, médaillé de bronze aux Jeux Olympiques de Pékin, et double champion d’Europe à seulement 22 ans.

Tableau 10 : Titres de Teddy Riner et évolution des licences FFJDA

Licences

Année Palmarès international Total Variation

relative

Variation brute

2006 561 935 0,8 % 4 319

2007 Champion du monde, Champion d'Europe 550 382 -2,1% -11 553

2008 3ème JO, Champion du monde 553 391 0,5% 3 009

2009 Champion du monde 570 117 3,0% 16 726

2010 Champion du monde 586 811 2,2% 12 588

2011 Champion d'Europe Non connu à ce jour

© G. Martin, 2010 - UMR 5185. Source : FFJDA

Son palmarès peut dépasser celui de Douillet dans la mesure où d’une part les championnats du Monde sont annualisés depuis 2009 (et non plus tous les deux ans) et du fait de sa précocité d’autre part. Le risque pour la fédération est de perdre, du fait de sa jeunesse, l’image d’un tel athlète sollicité de toute part (médias, publicité, sponsors, …). La FFJDA doit « contrôler » l’image de Riner et éviter ce qui s’est passé au Japon avec le départ du Champion olympique japonais Satoshi Ishii attiré par les sirènes plus lucratives des combats libres. Vedette en son pays, Ishii a suscité la controverse en annonçant qu'il quittait à 21 ans le milieu du judo pour entamer une carrière professionnelle dans l'univers du combat libre. Cette discipline où des spécialistes de différents arts martiaux s'affrontent lors de combats juteux est considérée avec dédain par les puristes du judo. Les règles des instances japonaises interdisent aux judokas de devenir professionnels et Ishii a donc renoncé à participer à d'autres Mondiaux ou Jeux Olympiques en judo. Les bons résultats internationaux de la seconde moitié des années 2000 des Français montrent une incidence sur les licences de judo (graphique 10). Après des JO ratés en 2004 (une médaille d’argent) et des championnats du monde 2003 et 2005 décevants pour la fédération (neuvième et cinquième place du classement général), l’équipe de France s’est relancée avec la mise en place d’une nouvelle équipe dirigeante. Grâce aux bons résultats de Riner et emmenée par une équipe de France féminine, pourvoyeuse de médailles (Jossinet, Émane, Decosse, Lebrun, Possamaï, Mondière…), la

France retrouve son rang en 2007 et 2009 (troisième place) et en 2010 au Japon (deuxième meilleure nation). La FFJDA a augmenté de plus de 6,6 % son nombre de pratiquants entre 2007 et 2010 (36 429). Là encore on peut noter qu’à chaque grande victoire d’un athlète médiatisé, le volume de pratiquants dans la discipline augmente.

Graphique 10 : Les licences et les podiums internationaux français (2001-2010)

La corrélation semble fonctionner. Les championnats du monde de judo 2011 se déroulent à Paris en août. Galvanisés de combattre à « domicile », soutenus par la fédération, relayés par les médias, les sportifs français sont forcément motivés par l’enjeu de bien faire. Riner espère devenir le premier homme quintuple champion du monde. De bons résultats des Français(es) peuvent présager d’une augmentation du nombre de licences FFJDA.

En 2010, la question concernant la saturation, voire de déclin du « service sportif judo », n’est pas encore approprié pour la FFJDA en 2010. Au commencement des années 2000 la FFJDA portée par la dynamique « Douillet » a accru le nombre de ses licences. Certes, à partir de 2004, une période de tassement des effectifs se fait ressentir, mais depuis 2007 une nouvelle ère de développement se dessine. Les bons résultats internationaux actuels, et peut-être à

venir, de certains judokas français, redonnent un espoir à la fédération d’atteindre la barre des 600 000 licences rapidement. Le taux de croissance annuelle moyen entre 2007 et 2010 (2,2 %) augure de dépasser cette limite en 2012. Le graphique 11 rappelle le cycle de vie d’un produit et les étapes de diffusion du judo en France.

Graphique 11 : Les étapes de la diffusion du judo en France (1933-2010)

La phase de stabilisation n’est pas encore achevée, le seuil de saturation non confirmé, les ralentissements de la croissance de la courbe des effectifs des années 2000 semblent être des accidents dans la continuité progressive des licences de la FFJDA. Pour maintenir leurs effectifs au plus haut, les fédérations doivent constamment se remettre en question, écouter les doléances des clubs afin d’engager leur action de développement au plus près des souhaits de la « base », des licences.

Conclusion du chapitre 2

Pour comprendre la diffusion du judo en France, le chapitre 2 a d’abord rappelé le contexte de sa création au Japon en 1882 par Jigoro Kano. Une première période de croissance se situe entre 1933 et 1971. La diffusion est géographiquement inégale et les crises internes ont marqué son histoire jusqu’au protocole d’accord signé en 1971 ; à cette date la Fédération compte 200 000 licences. La phase de condensation se situe entre 1972 et 2000. Le nombre de licences atteint 300 000 en 1978, 400 000 en 1988 et dépasse 500 000 en 1996. Après cette phase de forte croissance, nous assistons à une stabilisation des effectifs dans les années 2000, mais rien n’assure que le stade de saturation est atteint et, encore moins, le stade déclin.

Plusieurs éléments explicatifs de cette croissance depuis 1972 sont proposés en liaison avec les évolutions sociétales que connaît le pays. L’hypothèse concernant l’impact des résultats sportifs des médaillés français dans les compétitions internationales est avancée comme complément aux processus sociaux généraux qui concernent l’ensemble des sports. Cet impact peut être présenté comme un facteur secondaire d’explication par rapport aux valeurs éducatives du judo qui séduisent les parents et expliquent que la Fédération soit considérée comme la plus jeune de France avec 76 % de licenciés de moins de 18 ans.

En 2010, la FFJDA est donc présente en France avec des structures d’accueil (dojos) localisées sur l’ensemble du territoire. Plusieurs hypothèses sont envisagées concernant le futur de cette fédération :

- scénario 1 : apparition du seuil de saturation général entrainant un déclin inéluctable, avec une chute plus ou moins accélérée des effectifs (suite et fin du cycle de vie d’un bien ou d’un service)

- scénario 2 : relance modérée de la croissance car, démographiquement, l’espace n’est pas encore saturé et de nombreux territoires peuvent être conquis.

L’enjeu du déploiement de la FFJDA passe par une meilleure connaissance de ces pratiquants pour orienter des actions concrètes et permettre une aide ciblée pour les décideurs locaux dans leur politique de développement du judo.

Dans le document Essai sur les territoires du judo en France (Page 96-102)