En sciences sociales, la notion de diffusion est en général associée à celle d’innovation. Innover c’est introduire dans une situation établie quelque chose de nouveau, d’encore inconnu, qui est de nature à transformer celle-ci. L’innovation est indissociable de la diffusion. Ne se réduisant ni à l’invention, ni à la mode, elle est, au sens donné par Schumpeter (1934), la combinaison de choses nouvelles qui, se propageant dans un milieu, engendrent des irréversibilités dans l’évolution de ce milieu. Plus l’innovation diffusée est complexe, plus le processus de sa diffusion aura d’influence sur la transformation du milieu de sa propagation, car plus les effets induits par son adoption sont démultipliés. Pour appréhender la pratique d’un sport dans l’espace, un retour sur ses phases d’implantation doit donner une image sur sa territorialité. Ainsi, le rugby en France est plutôt considéré comme un sport du sud. Pour le judo, l’analyse porte sur les vecteurs de diffusion et d’implantation en France. Pour étudier le processus de diffusion spatiale, un apport méthodologique est nécessaire et de nombreux géographes français et étrangers ont travaillé sur cette notion. Le géographe T. Hägerstrand a ouvert la recherche à la modélisation en mettant en évidence l’existence de régularités dans le processus étudié (1953). Il distingue quatre étapes successives. La première est celle de l’amorce de la diffusion à partir des centres qui ont produit l’innovation ; la deuxième est celle de l’expansion, puis vient celle de la condensation et enfin, celle de la saturation. « La vitesse de propagation d’une innovation dépend de la capacité des acteurs et des foyers émetteurs à diffuser l’innovation » (Brunet, Ferras, Thery, 2005). Pour Thérèse Saint Julien (1995), des conditions sont nécessaires pour que se produise ladiffusion spatiale d’une innovation :
- apparition en un lieu d’une innovation apte au déplacement et qui puisse s’imposer en tant que telle,
- capacité du lieu d’apparition de l’innovation à devenir foyer émetteur, - existence d’un milieu d’accueil qui favorise une propagation rapide,
- force de propagation suffisamment grande, et temps de propagation suffisamment long, pour que l’interruption du processus de diffusion soit probable.
La diffusion spatiale privilégie certains canaux de propagation. Elle procède largement par contagion dans le voisinage, les probabilités de contact entre émetteurs et récepteurs de l’innovation diminuant rapidement avec la distance. Elle est particulièrement sensible à la structure hiérarchique des villes, le phénomène nouveau a tendance à apparaître en suivant le sens descendant de la hiérarchie urbaine. Enfin, et pour les mêmes raisons, plus le centre émetteur est grand, plus sa force d’impulsion dans le processus de diffusion est élevée, d’où le
sens descendant de la diffusion d’un très grand nombre d’innovations dans les réseaux urbains. A l’inverse les processus de diffusion spatiale des innovations sont freinés, déviés, parfois arrêtés par les barrières spatiales. Enfin, un même processus de diffusion spatiale est le plus souvent multiscalaire, et dans ce cas, le jeu des interactions qui guide la diffusion se modifie d’un échelon géographique à un autre.
Pour renforcer le phénomène d’implantation, des notions historiques sont nécessaires pour retracer les prémices du judo au Japon et en France. Les recherches de Michel Brousse, historien du judo, sont une aide précieuse et de nombreux éléments présentés dans ce chapitre proviennent de travaux cités en bibliographie.
Plusieurs périodes sont repérées pour comprendre la propagation de l’innovation « judo » en France en faisant référence au cycle de vie d’un produit. Le judo est envisagé au-delà de sa simple pratique et est appréhendé en tant que service sportif offert à la population : les instances en charge de la discipline (fédération, ligues et comités19) et les clubs sont les prestataires du service « judo ». Dans le modèle classique du cycle de vie des produits, « les ventes sont définies comme étant fonction du temps. La vie du produit y est représentée par une courbe qui relie le niveau des ventes par période et le délai écoulé depuis la mise sur le marché. Sans lui donner d’expression mathématique particulière, de nombreux auteurs ont adopté un schéma en forme de cloche pour représenter cette courbe » (Fenneteau, 1998). Le découpage le plus usité distingue quatre phases : l’introduction, la croissance, la maturité et le déclin (figure 5). La période d’introduction correspond à une faible augmentation des débouchés du produit. La phase de croissance débute lorsque le développement des ventes s’accélère. La maturité commence lorsque le ralentissement de la croissance se confirme. Elle prend fin quand la tendance s’est inversée et que la régression des ventes s’accélère. Enfin, le déclin se caractérise par une phase de recul des ventes. Il s’achève avec la disparition du produit.
19 La Fédération Française de judo a en charge le judo à l’échelle nationale, les ligues gèrent la discipline au
Figure 5: les quatre étapes du cycle de vie classique d'un produit
Cette analyse présente cependant certaines faiblesses. Selon cette théorie, le processus de diffusion repose exclusivement sur une dynamique endogène. Or, le processus est également lié à une dynamique externe : les mutations démographiques ou la concurrence d’autres activités sportives interviennent dans le processus d’expansion du judo. Les services sportifs sont également associés à des valeurs sociales et sociétales (Jeu, 1998). À titre d’exemple, la démocratisation du tennis dans les années 1980, malgré une présence affirmée dans les classes sociales aisées, vient concurrencer les possibilités de recrutement du judo.
En s’appuyant sur ces concepts de la géographie, nous allons vérifier si les étapes de diffusion du judo en France respectent ce processus et comprendre comment le judo s’est implanté sur le territoire.