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2.1 Facteurs explicatifs

Dans le document Essai sur les territoires du judo en France (Page 92-96)

Les bilans annuels de toutes les fédérations sportives, constituent des indicateurs de l'évolution du taux de sportivisation en France :

- trois millions de licences en 1960, - treize millions en 1990,

- quatorze millions en 2000,

- quinze millions en 2009 (site du Ministère chargé des Sports, 2010).

Cette croissance atténuée de la progression des licences depuis les années 1990-2000 correspond au ralentissement du nombre de judokas.

2.1.1 - La sportivisation de la société française

La progression de la pratique fédérale marque donc un pas. Soulignons toutefois que ces bilans sont sujets aux variations des stratégies de recrutement des fédérations (comptabilisation de la carte neige à la Fédération française de ski, création de licences pour les très jeunes et les vétérans au judo...). Cependant, cette stagnation globale masque des variations plus importantes d'une discipline sportive à l'autre.

L’enquête, menée par les sociologues de l'INSEP (1987) montre, à partir d'une définition large du sport, que les trois quarts des Français (âgés de 14 à 65 ans) se livrent à leur activité sportive favorite selon les motivations suivantes :

- 20 % de licenciés dont 12 % de licenciés compétiteurs. Ces licenciés sont accueillis dans les 170 000 clubs que compte le territoire français,

- 55 % de non licenciés recherchant la santé, la forme, la détente, l'hygiène, le plaisir...

L'enquête de l'INSEE (1987), à partir d'une définition plus restreinte du sport, montre qu'un français sur deux peut être considéré comme un pratiquant sportif. En effet, surtout à partir des années 1980, la pratique sportive se développe en dehors des structures fédérales. Plus de

vingt ans après, une autre enquête de l’INSEE26 (2010) révèle que la pratique physique et sportive des personnes âgées de 15 à 75 ans a progressé entre 2000 et 2010, passant de 83 % à 88 %. L’affiliation à une association sportive ou à une structure privée a légèrement augmenté pour s’établir à 27 %.

Cette sportivisation de la société française est également attestée par la progression des taux de pratique sportive dans l'ensemble des catégories socio-professionnelles (CSP) : de 1967 à 1985 le pourcentage de pratiquants a augmenté dans toutes les CSP. Cependant, on constate une variation des taux de pratique selon le statut social des pratiquants. Ainsi, si toutes les catégories socio-professionnelles voient leur pratique sportive augmenter, la hiérarchie des taux de pratique reste stable : plus la catégorie socioprofessionnelle est élevée, plus le taux de pratique l'est également (et inversement). En France, ce sont les agriculteurs qui présentent les taux de pratique les plus faibles (environ 50 %) et les cadres supérieurs et professions libérales les taux les plus élevés (près de 90 %) ; en 2010, leurs taux s’élèvent même à 97 %.

Autrement dit la massification n'est pas synonyme d'une véritable démocratisation des pratiques sportives qui signifierait l'égalité des chances d'accès à la pratique sportive mais plutôt d’une certaine « vulgarisation ». Ce terme employé n’est pas péjoratif mais signale au contraire la propagation du sport dans les mœurs et cultures des Français. Pour le judo cela se révèle aussi dans la multiplication du nombre de dojos et l’augmentation du nombre de licences. Mais, surtout à partir des années 1990, la pratique sportive se développe en dehors des structures fédérales, ce qui freine la progression des licences affiliées aux fédérations sportives.

2.1.2 - Nouvelles pratiques et nouvelles formes de pratique : des tendances paradoxales

L'évolution du sport déjà évoqué dans le chapitre 1 se traduit aussi par la présence de tendances antagonistes au sein même des nouvelles formes de pratique. Ces ambivalences se repèrent sur plusieurs dimensions des pratiques sportives : le rapport au corps, à l'autre, au temps et à l'espace, mais également à la nature, à l'aventure et à la liberté.

- le rapport au corps : les nouvelles formes de la pratique sportive se fondent sur l'informationnel, c'est-à-dire la maîtrise des gestuelles sportives à partir des sensations corporelles dans un environnement incertain. Mais ces pratiques informationnelles ne signifient pas pour autant un accès plus aisé à la pratique. La maîtrise de ses pratiques (surf,

26 Stat-info N°10-01 Décembre 2010. Les premiers résultats de l’enquête 2010 sur les pratiques physiques et

parapente...) nécessite un niveau d'expertise suffisant qui ne s'acquiert qu'à travers un investissement important.

- le rapport à l'autre : le développement des nouvelles pratiques en dehors des espaces sportifs traditionnels (les équipements normés spécialisés) s'accompagne d'une transformation des modes de sociabilité des sportifs. Il ne s'agit plus d'une sociabilité "forcée" (celle du club), mais d'une sociabilité reposant sur des affinités électives. Les groupes de sportifs auto- organisés s'élisent mutuellement et librement. Mais cette auto-élection ou auto-sélection ne signifie pas systématiquement un rejet ou une absence de l'autre. Globalement, on peut repérer trois grandes formes de sociabilité au sein de ces pratiques. La première peut être dite "fermée". Elle correspond au modèle de fonctionnement du surf de mer et se fonde sur l'appropriation d'un territoire éphémère (le spot, variable en fonction des conditions météorologiques) que le groupe de surfeurs va défendre et protéger de toute intrusion.

La seconde, au contraire, est "ouverte". Elle correspond au modèle du "street-ball". Ici, l'autre n'est plus forcément l'intrus, il est un partenaire potentiel, voire un membre de l'équipe constituée pour telle ou telle occasion. Ainsi l'espace du street-ball est un espace commun et non un espace approprié par telle ou telle équipe.

La dernière forme de sociabilité est "intermédiaire" et correspond au modèle du snow-board. Les stations de ski sont en effet le théâtre de la coexistence entre skieurs traditionnels et snow-boarders. Ceux-ci se partagent l'espace en établissant des compromis qui passent par une segmentation des usages dans le temps d'un même espace de glisse.

- le rapport à l'espace : les nouvelles pratiques sportives se diffusent dans l'espace selon un mouvement de délocalisation/relocalisation. Alors que le sport naît à la fin du XIXe siècle au sein des grandes villes, le sport d'aujourd'hui se délocalise en direction des espaces "naturels". Ainsi, chaque portion du territoire (la mer, la montagne, les airs...) a pour vocation de devenir un espace sportif. Mais cette délocalisation va de pair avec un mouvement de relocalisation de la pratique, c'est-à-dire un certain retour du sport dans la ville. Pourtant, ce retour à la ville ne passe plus seulement par la fréquentation des équipements sportifs privés et spécialisés, mais s'effectue au sein même de l'espace public (rollers, skaters, joggers...). Il s'agit donc de pratiques sportives de la ville et de sport dans la ville. D'autre part, cette sportivisation de l'espace urbain n'est pas un phénomène limité à une classe d'âge : elle concerne à la fois les adolescents et les adultes.

Enfin, cette publicisation de la pratique sportive va de pair avec une certaine privatisation du sport dans le sens où un ensemble de pratiques orientées vers la forme, l'hygiène et la santé se déroulent de plus en plus au sein de la sphère privée (gymnastique, musculation... à domicile).

- le rapport au temps : au temps linéaire de la pratique compétitive (progrès, calendriers...) s'ajoute aujourd'hui un temps discontinu qui permet à l'individu de gérer autrement sa pratique sportive. La recherche du plaisir, de la détente relève de l'instant, du temps présent et non d'une projection dans un futur plus ou moins lointain.

- le rapport à la nature : les nouveautés sportives s'inscrivent très largement dans la recherche d'un nouveau rapport à la nature, d'une rupture avec les équipements sportifs artificiels, codifiés, standardisés, normalisés. Cependant, le développement de ces pratiques écologiques se réalise à travers l'utilisation d'instruments ou d'engins sportifs incorporant un fort degré d'innovation technologique.

- le rapport à l'aventure : depuis le début des années 1980, est apparue toute une série d'aventures sportives collectives ou individuelles (Paris-Dakar, Raid Gauloises, enchaînement des sommets de l'Himalaya, tour du monde en solitaire à la voile, la traversée de l'Atlantique à la nage...) fondées sur la recherche d'exploits dans des espaces incertains et hostiles. Mais cette soif d'aventure n'a pas grand-chose de commun avec l'affrontement de l'absolument inconnu. En effet, chaque "expédition sportive" se construit à partir du risque calculé, de la minimisation de l'incertitude et du hasard. Tout ou presque est prévu. La présence de sponsors ne fait que confirmer cette caractéristique.

- le rapport à la liberté : les nouvelles pratiques sportives rejettent très largement toute idée de contraintes institutionnelles et d'encadrement collectif. Elles revendiquent au contraire la liberté de s'auto-organiser sans référence à un modèle sportif qui les surplomberait. Mais cette liberté reste largement une illusion car l'autonomie de l'individu ne supprime pas toute idée de contrôle. On passe en effet d'un contrôle extérieur (celui des institutions sportives) à un auto- contrôle individuel : c'est l'individu qui fixe ses propres règles, ses propres normes, ses propres contraintes. On assiste donc plus à une auto-limitation de la liberté qu'à une véritable libération. Cet engouement autour des pratiques autorégulées participe à la baisse des statistiques des fédérations sportives, mais concernant la FFJDA, est-ce annonciateur d’atteinte du seuil de saturation ?

Dans le document Essai sur les territoires du judo en France (Page 92-96)