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La satisfaction dans l’emploi

L’appréciation sur l’emploi et le travail chez Moulinex subit certainement une déformation subjective du fait de la situation retrouvée depuis le licenciement. On ne peut négliger le fait que le regard porté sur le rapport à l’emploi passé puisse être influencé par le présent. Malgré l’effet certain de reconstruction, on va tâcher de connaître les facteurs qui jouent sur le jugement envers l’emploi occupé chez Moulinex. Contrairement à l’attachement à l’entreprise, la satisfaction dans l’emploi n’est pas un sentiment homogène. Il se décline sous des formes très variées comme le montre le tableau 3.10.

Concernant le jugement tenu sur l’emploi passé chez Moulinex, la plus grande opposition se situe au niveau des positions professionnelles. A propos de la forme du travail, les catégories les plus élevées se déclarent plus souvent satisfaites des conditions et de l’ambiance de travail ainsi que des relations avec le supérieur hié- rarchique (voir tableau 3.11). Les réorganisations et l’intensification du travail, qui se sont principalement concentrées sur le travail des employés de la production, avaient

14. Dominique Jonquet, 47 ans, usine de Falaise, déléguée syndicale, interrogée par Didier Dou- riez, Moulinex, op. cit., p. 92.

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Tab. 3.10: Les formes de la satisfaction à l’emploi chez Moulinex

Population totale Oui Non NR Effectif

% % %

’Satisfait du salaire brut’ 36,1 63,8 0,1 830

’Satisfait des horaires’ 78,8 20,8 0,4 830

’Satisfait des avantages sociaux (13eme mois)’ 92,6 7,4 0,0 830

’Satisfait de la garantie à cette époque d’un travail assuré’ 73,8 25,0 1,2 830

’Satisfait de la proximité de votre lieu d’habitation’ 89,0 10,7 0,3 830

’Satisfait des conditions de travail’ 71,3 28,6 0,1 830

’Satisfait de l’ambiance dans l’atelier’ 78,9 20,7 0,4 830

’Satisfait des relations avec votre supérieur direct’ 74,8 24,8 0,4 830

Source : Enquête Moulinex 2003

eu pour effet de rendre plus grande la charge de travail à accomplir et plus tendues les relations de travail et hiérarchiques. En effet, Moulinex avait évolué dans la re- cherche d’une plus grande rationalisation de son organisation de travail. En 1996, son PdG, Pierre Blayau, avait engagé un cabinet privé chargé d’augmenter de 40% la productivité des salariés. Le personnel de la production était le premier visé par des changements intervenus dans l’appareil productif. Moulinex est passé ainsi d’un système en flux poussé à une conception en flux tiré. "On ne produit que ce qui est effectivement demandé, en juste à temps : c’est le client qui tire la production !"15.

Les nouveaux dispositifs ont une efficacité bien réelle sur le niveau de rendement. La Méthode Kanban16, par un système de signes visuels (étiquettes ou cartes de

couleurs), a rendu la transmission des ordres de fabrication plus simple et plus effi- cace. La technique du SMED17 a permis de changer rapidement une fabrication, un

coloris ou un moule, afin d’accélérer le rythme de production, tout en recherchant la meilleure qualité possible. Pour M. A., régleur à Cormelles, les améliorations dans le rendement étaient visibles :

"SMED, ça veut dire, in english, Single Minute Exchange of Die. Ca veut dire un changement de système en 10 minutes donc irréalisable. Disons que l’on

15. "En flux poussé, il s’agissait de prévoir ce que client allait demander. En flux tiré, c’est la consommation qui déclenche la fabrication. Le raisonnement se fait alors en termes de flux et non plus de stock. C’est le parcours du produit qui doit être anticipé. C’est aux hommes et aux machines de s’adapter au process du produit et non plus l’inverse" in Document interne non publié intitulé, "Principe de base de la politique industrielle Moulinex", Groupe Moulinex, p. 40.

16. Le Kanban consiste à réguler la production de composants au rythme des besoins des ateliers d’assemblage. Il précise la nature des pièces, leur origine (dernière machine à les avoir usinées) et leur destination (prochaine usine où elles devront être utilisées). Lorsqu’une quantité de pièces (unité de conditionnement) est consommée, cela déclenche un ordre de fabrication.

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mettait une heure et demie pour faire le changement d’outil et de l’autre côté ils nous demandaient entre 10 et 20 minutes donc on a trouvé un compromis, bon 30-35 minutes donc on a gagné vachement de minutes sans forcer plus pour autant"

(M. A., homme, 53 ans, en couple, ouvrier qualifié chez Moulinex, Cor- melles, inscrit à l’ANPE.)

Quelles sont les implications de ces nouvelles méthodes d’intensification du tra- vail? Si les conditions et l’environnement de travail se sont matériellement améliorés, la pression placée sur le travail a eu des conséquences sur le bien-être moral et phy- sique du personnel de production concerné par ces nouveaux dispositifs de travail. La pénibilité et les difficultés ressenties par les salariés envers leur travail demeu- raient18. Par exemple, le but de la méthode Hoshin du "juste à temps", est de ne

fabriquer que le juste nécessaire. Mais la chasse aux stocks fut très mal vécue par le personnel d’exécution qui ne pouvait plus constituer sur la production "un peu d’avance". Ces nouvelles contraintes de temps sont venues contrarier certaines stra- tégies d’économie d’efforts servant à récupérer ses forces et à préserver sa santé. La fabrication sur ligne de production (ou sur convoyeur) est remplacée par une configuration en forme d’îlots c’est-à-dire par petites unités plus autonomes et donc plus réactives face aux interruptions dans le processus de production. Une salariée de Saint-Lô explique l’efficacité d’un tel système mais aussi la plus grande fatigue provoquée en raison du faible effectif d’opérateurs mobilisé.

"La chaîne de l’ouvre-boîte, ce sont trois personnes sur les îlots pour 500 produits au lieu de 10 personnes qui en produisaient 1200. On s’est fait avoir. Une personne prenait la coquille pour l’assemblage. Une deuxième fermait et contrôlait. Une troisième l’emballait."

(N 859, femme, 48 ans, en couple, agent de production chez Moulinex,

Saint-Lô, en CDD de plus de 6 moins.).

Michel Gollac et Serge Volkoff rappellent que l’intensification du travail n’est pas réductible à une dégradation du travail19. Le système par îlotage s’est traduit par

un enrichissement des tâches, une meilleure ergonomie et une plus grande autono- mie de travail. L’adaptation à ces contraintes temporelles, couplées aux impératifs industriels, est rendue plus problématique pour un personnel vieillissant. Les consé- quences directes de ces nouvelles dispositions se lisent dans les tensions de plus en plus vives avec les salariés et le personnel d’encadrement. L’accroissement des ca- dences a amené au développement de "troubles musculo-squelettiques" (TMS) qui

18. Michel Gollac et Serge Volkoff (1996), "Citius, altius, fortius, l’intensification du travail",

Actes de la recherche en sciences sociales, n◦ 114, n 1, pp. 54-67.

19. Michel Gollac et Serge Volkoff (2000), Les conditions de travail, Paris, La Découverte, coll. Repères ; Michel Gollac et Serge Volkoff (2001), "Intensité et fragilité" in Jeannot, G., Veltz P. Le

L’attachement à Moulinex 159 atteignent les muscles, les tendons et les nerfs. Le syndrome du canal carpien20ou les

tendinites sont les expressions les plus courantes de ces pathologies professionnelles. Les changements dans le mode d’organisation du travail ont été supportés en très grande partie par les salariés de la fabrication. Si les conditions et les relations de travail étaient plus souvent vues comme insatisfaisantes par les agents de produc- tion (voir tableau 3.11), la garantie d’un emploi assuré constituait en revanche plus souvent une source de satisfaction pour 77% d’entre eux (contre 52% des cadres).

"Étiez-vous satisfaite de la garantie à cette époque d’un travail assuré?

C’est vrai que quand on rentrait chez Moulinex, on disait : on est sûr d’y rester très longtemps, à l’époque. Forcément, on n’aurait jamais cru que ça allait fermer, la maison mère, Alençon. On se croyait toujours protégé (. . . ) Oui, quand même, parce que quelqu’un qui était chez Moulinex, pour se faire licencier, il fallait déjà qu’il en fasse. Je le dis : il fallait vraiment qu’il en fasse. Il fallait vraiment arriver bourré au boulot, et encore! Au bout de trois fois, pas la première fois. On donnait un avertissement (. . . )"

(N 267, femme, 50 ans, en couple, agent de production chez Moulinex,

Alençon, en CDI.).

Tab. 3.11: La satisfaction des conditions de travail et des relations avec le supérieur direct chez Moulinex selon la dernière catégorie professionnelle

Satisfait Satisfait

des conditions des relations

Population totale de travail avec son supérieur Effectif

Oui Non NR Oui Non NR

% % % % % % Catégorie professionnelle Agent de Production 57,9 42,1 0,0 68,6 30,5 0,9 346 AP-Ouvrier Qualifié 69,1 30,9 0,0 78,7 21,3 0,0 175 Ouvrier Qualifié 69,7 28,6 1,7 64,9 35,1 0,0 67 Employé et Maîtrise 94,1 5,9 0,0 86,2 12,2 1,6 69

Agent de M., Techn. et Cadre 91,4 8,6 0,0 82,0 18,0 0,0 173

Total 71,3 28,6 0,1 74,8 24,7 0,5 830

Source : Enquête Moulinex 2003 χ2 ≤ .0001

La satisfaction de profiter de certains avantages sociaux (cantine, comité d’entre- prise. . . ) est la mieux partagée entre les catégories professionnelles. Les deux tiers des répondants se disent insatisfaits de leur salaire brut (et les trois quarts des

20. Le syndrome du canal carpien est lié à la compression du nerf médian au poignet. Voir Michel Gollac et Serge Volkoff, Les conditions de travail, op. cit.

L’attachement à Moulinex 160 agents de production). Depuis la mise en place des lois de Robien en octobre 1996, qui avait réduit le temps de travail hebdomadaire à 33,15 heures, les salaires avaient été bloqués21.

Malgré les disparités entre les groupes professionnels, l’appréciation générale de l’emploi fournie par les répondants est largement positive. Les personnes déclarant être satisfaites de leur emploi chez Moulinex sont très majoritaires (87%). Com- ment expliquer qu’un emploi peu rémunéré, exercé dans des conditions éprouvantes physiquement et psychologiquement et souvent mal considéré, soit malgré tout jugé par les salariés de manière positive ? Serge Paugam avait déjà relevé un tel pa- radoxe notamment parmi les travailleurs de la sidérurgie : "... les pénibilités que les ouvriers doivent supporter quotidiennement ne les empêchent pas d’aimer leur travail"22. L’auteur explique qu’il faut rechercher dans les "compensations (...) sym-

boliques" et les "formes (...) de valorisation de soi" les sources de la satisfaction que les travailleurs tirent de leur métier de sidérurgiste. Ceci s’applique bien pour les professions exigeant de posséder des connaissances particulières et de mobiliser un savoir-faire et des techniques spécifiques. Mais dans le cas des emplois déqualifiés de la fabrication ou du montage d’appareils où les travailleurs sont interchangeables entre eux, quels sont les leviers identitaires ou symboliques que les salariés peuvent actionner pour tirer matière à valorisation ? Les tâches d’exécution chez Moulinex reposaient sur des mouvements répétés à longueur de journée, qui paraissent dénuées d’intérêt et qui ne nécessitent pas de qualification précise en dehors d’une certaine agilité manuelle. Outre la monotonie du travail, celui-ci pouvait s’exercer dans des conditions des plus éprouvantes.

"Je suis allée dans ce qu’ils appelaient le nicklage, l’horreur en plus il faisait une chaleur horrible, c’était en rentrant de vacances, août septembre, là-bas y avait des fours, horrible, et puis j’en ai bavé, j’en ai bavé, fallait que je soulève des tubes, les mettre dans un panier et que je les mette sur une palette et tout ça pour me faire entendre dire par le chef (...) : "je vous félicite madame, parce que ce que vous avez fait toute la journée, les hommes refusent de le faire !" " (Mme H., femme, 56 ans, en couple, agent de production chez Moulinex, Cormelles, pré-retraitée.)

Si l’on prête l’oreille à la subjectivité des salarié(e)s, très peu de plaintes, d’ex- pressions de révolte ou de remises en cause de l’ordre hiérarchique, social ou sexuels se font entendre. Ceci ne signifie pas que le travail chez Moulinex était perçu par

21. Au travers de l’exemple des salariés de l’usine Beaufour, Tania Angeloff montre que les pre- mières victimes de cette réduction du temps de travail sont les travailleur(se)s à temps partiel in Tania Angeloff (2000), Le temps partiel : un marché de dupes?, Paris, Syros.

L’attachement à Moulinex 161 l’ensemble des salariés comme épanouissant et dépourvu de souffrance. Mais il y a bien dans les propos tenus par les agents de production les marques d’une fierté, d’un amour et d’un attachement profond à son travail. Les quelques courts extraits suivants en sont la mise en mot :

"Ah j’adorais mon transfo"

(Mme R., femme, 49 ans, seule, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, inscrite à l’ANPE.)

"J’aimais bien mon travail, on avait beau dire, c’était l’usine, c’était Mou- linex, moi j’aimais bien !"

(Mme J., femme, 47 ans, seule, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, en CDD à temps plein.)

Le sentiment de maîtrise de son travail occupait une bonne place dans les motifs de satisfaction exprimés par les agents de production. Egalement, 82% de ces der- niers (contre 63% des employés et maîtrise) ont déclaré être en mesure de suivre les cadences et/ou d’atteindre les objectifs. Cette phrase souvent exprimée par les inter- viewés : "On faisait notre rendement" est la traduction de cet attachement viscéral au travail accompli jusqu’au bout, même au-delà de l’épuisement. Les trois quarts des agents de production déclarent avoir occupé un emploi varié dans leur dernier emploi chez Moulinex et les deux tiers ont déclaré être autonomes sur leur poste de travail. Un point de satisfaction souvent mis en avant par les agents de production est la possibilité de pouvoir organiser son travail à sa convenance.

"Dans votre dernier poste de travail chez Moulinex, aviez-vous de l’autonomie dans votre travail ? Le fait d’être libre d’organiser votre travail comme vous le vouliez?

De prendre mon travail à ma mode à moi, oui. De ce côté-là, oui. Moi, comme j’étais en tête de chaîne, je m’arrangeais de façon à perdre le moins de temps possible déjà, et moi j’aimais bien avoir mon poste bien aménagé, je n’aimais pas avoir des pièces qui traînent ni rien. Je travaillais à ma mode, comment je pourrais vous dire ça moi, je ne sais pas. Disons que, quand on était contrôlé, même la monitrice, elle aurait voulu qu’on travaille de telle et telle façon peut-être, mais moi, je travaillais à ma mode. Je sais qu’une fois, on m’a fait changer mes boîtes de place parce qu’on pensait que c’était mieux comme ça, mais moi, je les remettais parce que, au moins, je savais où étaient mes pièces, c’était plus accessible pour moi, et moi je m’organisais à ma mode." (Mme P., femme, 48 ans, en couple, agent de production chez Moulinex, Saint-Lô, en CDD à temps partiel.)

Lors des rencontres avec des anciennes opératrices, beaucoup font part de leurs compétences "multi-produits" et d’une grande adaptabilité dans le travail. Le terme de mono-expérience, dans le sens de l’assignation à des tâches ou à des postes de

L’attachement à Moulinex 162 travail identiques, n’est pas justifié pour les femmes de la production. La fonction de "rotatrice" est tout à fait emblématique de cette polyvalence car elle nécessite de faire preuve d’une grande souplesse et de posséder des connaissances professionnelles diverses.

"Le cuit-tout, j’ai fait beaucoup d’appareils : l’ouvre-boîte, j’ai fait les rô- tissoires, dans le temps, quand je suis rentrée, c’était les rôtissoires. J’ai fait le cuit-tout, l’ouvre-boîte, la centrifugeuse, le couteau électrique, le chauffe-plats. J’en ai fait. Le gril-viandes. On faisait tous les ateliers, quand on avait pas de boulot dans un, on repartait dans l’autre."

(Mme R., femme, 49 ans, seule, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, inscrite à l’ANPE.)

"Plus tard, j’ai été affectée au montage des moulins à légumes et, d’ou- vrière, je suis devenue "rotatrice". C’était la fonction de la remplaçante qui savait effectuer toutes les opérations des employés des chaînes de montage"23

Avec l’application des nouvelles méthodes de travail, l’autonomie s’était progres- sivement développée dans les îlots de production. La transition d’une organisation du travail sur chaîne vers les groupes autonomes de production était quasi atteinte sur certains sites comme Saint-Lô ou Bayeux. De même, les interventions en cas de panne étaient souvent assurées par des personnes opératrices, sans intervention d’un ouvrier qualifié.

"On savait les arrêter (en parlant des machines). . . Quand il y avait une panne, on savait ce qu’il fallait faire. Ce n’était pas notre travail pourtant mais bon, le gars n’avait pas quatre mains. . . Quand une personne est assise, je veux bien, mais quand t’es débordé et débordé, il y a des choses qu’on peut savoir sans être qualifié."

(M. M., homme, 49 ans, seul, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, inscrit à l’ANPE.)

Tout se passe comme si, les trajectoires professionnelles horizontales à l’intérieur de l’entreprise venaient en compensation à des évolutions verticales plafonnées. Loin d’être subie, la mobilité inter-atelier constituait pour beaucoup des agents de produc- tion un élément de motivation au travail, une fierté même. La possibilité de pouvoir changer de poste de travail permettait de rompre avec la monotonie du travail.

"On changeait, j’ai vu des fois la chef dire : "Ah stop stop arrêtez, il me faut ces fils-là ou la chaîne va arrêter". Et on changeait on se dépêchait, on rechangeait et hop on fournissait, oh la la, j’aimais ça, oh la la, j’adorais ça, j’étais pas la seule d’ailleurs !"

(Mme H., femme, 56 ans, en couple, agent de production chez Moulinex, Cormelles, pré-retraitée.)

23. Solange Séchet, 79 ans, ancienne ouvrière, Moulinex Alençon interrogé par Didier Douriez,

L’attachement à Moulinex 163 Le verbe "bouger" revient très souvent dans le discours des travailleurs de la production : "il fallait que je bouge". Cette circulation entre les différents postes de travail, ateliers, services ou secteurs d’activité permettait aussi à ces travailleuses "parcellaires"24 de posséder une connaissance globale de leur entreprise.

"Ben, j’ai été sur chaîne, j’ai été au ménage. J’ai été un peu partout moi, j’ai fait tout le tour."

(Mme C., femme, 52 ans, en couple, agent de production chez Moulinex, Cormelles, inscrite à l’ANPE.)

Les employés de la production rattachent également cette satisfaction à l’am- biance de l’atelier, au collectif de travail et à l’esprit de camaraderie. La bonne humeur, la solidarité sur les chaînes de production donnaient du cœur à l’ouvrage.

"Que pensiez-vous du dernier emploi que vous avez occupé à Moulinex ? Etiez-vous très satisfaite ? Plutôt satisfaite ? Plutôt pas satisfaite? Pas du tout satisfaite?

Comme on a dit tout de suite : le groupe qu’on était, on avait demandé à rester à travailler ensemble, on était un petit groupe, sept ou huit, on s’en- tendait très bien. Le travail, on arrivait à s’entraider, à s’aider. C’était la vie d’usine, mais c’était quand même satisfaisant."

(N 650, femme, 49 ans, en couple, agent de production chez Moulinex, Bayeux, inscrite à l’ANPE.)

Les références affectives au climat familial et chaleureux des relations humaines de travail abondent dans le discours des interviewés. Franck Magloire parle de cette "sorte de bonheur familial", de "sève humaine"25 pour évoquer les bons moments

chez Moulinex. Selon l’auteur, dans ce monde de la matière, des machines, tout se passe comme si les individus se mettent à nu, les tabous tombent pour dévoiler une réalité crue et cynique. " (...) ces blagues grossières uniquement pour ne pas oublier la chair, pour laisser les mots transpirer de l’épiderme, cacher parfois une misère conjugale, une misère tout court..."26.

Bien que la communication dans l’usine soit bridée par les conditions de travail27,

les discussions fortuites jouaient un rôle important pour l’ambiance dans l’atelier. Selon Michel Verret, le monde ouvrier est un monde de l’oralité. Il s’agit d’une parole utile, précise, circonspecte, émise sur le ton de l’injonction, qui en somme s’adapte très bien à des situations de travail bruyantes et distrayantes. L’univers de l’usine