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Les chemins qui menaient à Moulinex

Qui étaient les nouveaux embauchés de Moulinex? Quels motifs les ont conduits à rentrer dans l’entreprise de petit électroménager ? Ce portrait en pointillé des salariés originels de Moulinex vise à esquisser les premiers traits sociaux du groupe des licenciés de 2001. En substance, les traits d’une psychologie collective1 vont être

recherchés, c’est-à-dire les valeurs sociales et les normes culturelles que les individus ont reçues de leur milieu social d’origine. La description des différents modes d’entrée chez Moulinex permettra de révéler les circonstances d’apparition des premières formes d’inégalité qui traversent la population à l’étude.

Dans son étude parue dans la revue Etudes Normandes en 1968, Michel Chesnais rappelle que le recrutement des salariés de Moulinex dans les années 60 et 70 est celui d’un personnel jeune, en majorité féminin, sans formation et reconnu pour sa grande flexibilité et malléabilité. "(. . . ) les jeunes filles et les jeunes femmes composent en moyenne plus de 80% du personnel (. . . ) l’âge moyen de cette main-d’œuvre s’établit vers 18-19 ans"2. Parmi la population interrogée en 2003, deux tiers des femmes

n’avaient pas 20 ans quand elles sont rentrées chez Moulinex (voir tableau 2.1).

"A cette époque-là c’était (...) le chef du personnel, parce qu’à cette époque- là, on rentrait par wagon, donc il me dit : "vous voulez travailler quand?", je dis : "le plus tôt possible", "demain" qu’il me dit."

(Mme D., femme, 46 ans, en couple, ouvrier qualifié chez Moulinex, Cor- melles, en CDI.)

On rentrait à Moulinex, selon l’expression consacrée, "par wagon" à la sortie de l’école ou après sa période d’apprentissage. "A cette époque, il y avait des embauches de 15 à 20 personnes par jour"3. Les embauches sont décrites par les personnes

interrogées comme rapides, massives et impersonnelles. Le témoignage que Franck

1. Maurice Halbwachs (1939), "Conscience individuelle et esprit collectif", American Journal of

Sociology, n◦44, pp. 812-822.

2. Michel Chesnais, "La société Moulinex. Intégration et expansion", op. cit., p. 6.

3. Thérèse L’Equilbecq, 60 ans, ancienne ouvrière Moulinex, Cormelles-le-Royal, interrogée par Didier Douriez, Moulinex, op. cit., p. 91.

Une intégration différenciée 117

Tab. 2.1: L’âge d’entrée chez Moulinex selon le sexe Age à l’entrée chez Moulinex

Population totale 13 à 19 ans 20 à 48 ans Effectif

% %

Sexe

Homme 32,2 67,8 368

Femme 66,2 33,8 462

Total 50,4 49,6 830

Source : Enquête Moulinex 2003 χ2 ≤ .0001

Fig. 2.1: Histogramme : L’âge d’entrée chez Moulinex

0 20 40 60 80 100 120 140 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48

Magloire a recueilli en interviewant sa propre mère est tout à fait parlant. " ... mais on n’avait rien exigé sauf un nom, mon âge, mon adresse... cinq minutes... C’est bon, venez dès demain... trente ans... une heure en tout... la mémoire ironise, elle soustrait les heures..."4. Une femme agent de production interrogée par un

journaliste du quotidien Ouest-France raconte son arrivée chez Moulinex. "Je me souviens de ces trains d’embauches incroyables. En 1971, quand je suis entrée ici, nous étions soixante-dix à être recrutées le même jour. Le lendemain, une deuxième fournée aussi importante avait suivi"5. C’est tout "naturellement" qu’on rentrait

chez Moulinex. Les personnes interviewées parlent de leur arrivée chez Moulinex avec un fatalisme certain. 77% des agents de production déclarent que l’emploi dans

4. Franck Magloire, Ouvrière, op. cit., p. 19. 5. Ouest-France, 26 janvier 2000.

Une intégration différenciée 118 l’entreprise d’électroménager correspondait au seul trouvé (voir tableau 2.2).

"J’étais contente de travailler moi, gagner de l’argent. Ma mère était toute seule, blessée de guerre, elle n’a jamais travaillé, elle nous a élevées toutes les six, on savait qu’elle allait pas pouvoir nous payer de grosses études et puis c’était pas notre truc, je regrette bien maintenant, je leur dis (à mes enfants) allez, apprenez !"

(Mme B., femme, 51 ans, en couple, agent de production chez Moulinex, Falaise, en CDD de plus de 6 mois.)

Tab. 2.2: Adhésion à la proposition : "L’emploi chez Moulinex correspondait au seul trouvé" selon la dernière catégorie professionnelle occupée chez Moulinex

L’emploi chez Moulinex était le seul trouvé Population totale

Oui Non NR Effectif

% % % Catégorie professionnelle Agent de production 77,1 22,9 0,0 346 AP-Ouvrier qualifié 63,1 36,4 0,5 175 Ouvrier qualifié 53,6 46,4 0,0 67 Employé, maîtrise 50,7 49,3 0,0 69 Agent de m., tech. 34,5 65,5 0,0 142 Cadre, ingénieur 14,8 85,2 0,0 31 Total 60,4 39,5 0,1 830

Source : Enquête Moulinex 2003 χ2 ≤ .0001

En raison de la pénibilité du travail, l’emploi chez Moulinex est le plus souvent dépeint comme provisoire, passager. Michel Chesnais fait état de l’instabilité des nouveaux arrivants en notant que pour l’usine d’Argentan : "la durée moyenne de passage dans l’usine oscille entre douze et dix-huit mois"6. Les cadences de travail

rendent le travail difficilement supportable : "(...) une employée sur cinq est absente chaque matin"7. Les premiers temps sont décrits comme très rudes en raison du

rythme effréné des cadences et des humiliations de la part des chefs.

"Au début, quand on arrive, on est jeune, on dit : "on va y rester que deux ans" !"

(Mme R., femme, 49 ans, seule, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, inscrite à l’ANPE.)

"Quand je suis arrivée? Le premier jour? Atroce ! J’ai dit : "je ne reviens pas demain" (rire)"

6. Michel Chesnais, "La société Moulinex. Intégration et expansion", op. cit., p. 7. 7. L’Humanité, 20 février 1996.

Une intégration différenciée 119

(Mme J., femme, 47 ans, seule, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, en CDD à temps plein.)

Michel Chesnais met en lumière la double dépendance de ces nouvelles recrues, à la fois envers l’usine et leur famille. Les jeunes ouvrières versent à leurs parents une partie ou l’ensemble de leur salaire. Elles sont fréquemment issues de familles nombreuses et de milieux populaires. "Il fallait ramener de l’argent à la maison". Très souvent, la mère n’avait pas d’emploi (pour 40% des personnes interrogées). L’entrée dans l’entreprise représente la voie pour l’autonomie financière et l’indépendance vis- à-vis de son milieu familial.

"(...) je voulais juste une mobylette neuve et ma paie à la fin du mois pour sortir, aller au bal, toujours me dégourdir les jambes mais en bonne com- pagnie cette fois... simplement vivre... me payer ces petits bouts de liberté, il fallait aller vite, comme les autres de quatorze ans, et à l’image de leurs aînés qui avaient donné l’exemple... dans le coin, hormis aller jusqu’au cer- tificat d’études, apprendre davantage ne payait pas de toute façon... long et fastidieux... on n’en voyait pas l’utilité à venir, on ne s’y projetait pas... et les livres étaient inexistants à la maison ou alors ils survivaient rarement... "8

Jusqu’au milieu des années 70, le climat social est bon, apaisé et les relations de type paternaliste s’appliquent parfaitement. Les méthodes sont scolaires, la discipline et la surveillance sont de mise.

"Vis-à-vis du chef d’atelier qui contrôle les chaînes, les ouvrières ont même une attitude assez enfantine craignant la réprimande ou la sanction. Chaque ouvrière est en effet dotée d’un numéro qui accompagne ensuite les pièces sur lesquelles elle a travaillé"9.

A Cormelles-le-Royal, beaucoup d’ouvrières étaient filles de travailleurs de la SMN. Selon la politique de la Société Métallurgique de Normandie, les femmes de- vaient être éduquées à devenir femmes au foyer ou bien couturières. L’entrée chez Moulinex représentait alors le moyen de ne pas reproduire le modèle maternel. Le travail en usine permettait aussi d’échapper au destin dessiné par le monde rural. Franck Magloire, en relayant les propos de sa mère, explique les raisons qui ont conduit celle-ci à s’embaucher chez Moulinex. "(...) le travail laborieux de la terre et les pieds crottés de l’aube au crépuscule, la plupart des jeunes de ma génération et des villages avoisinants n’en voulaient plus"10. Le travail dans une grande entre-

prise comme Moulinex apportait un certain nombre d’"avantages" : la proximité de l’entreprise par rapport à son domicile, un niveau de salaire relativement plus élevé que dans d’autres entreprises de la région mais aussi le "confort" des horaires de

8. Franck Magloire, Ouvrière, op. cit., p. 37.

9. Michel Chesnais, "La société Moulinex. Intégration et expansion", op. cit., p. 8. 10. Franck Magloire, Ouvrière, op. cit., p. 16.

Une intégration différenciée 120 travail. " ... la grande usine, je n’en savais rien si ce n’est "Tu fais tes huit heures, t’as tes week-ends, t’es tranquille..." "11.

La politique de Jean Mantelet consistait à ouvrir une usine à chaque nouveau produit. Quand on connaît la fertilité de l’esprit de cet inventeur infatigable, les be- soins humains à chaque ouverture de site étaient importants et Moulinex avait même atteint le rythme d’une ouverture d’usine par année. L’entreprise se trouvait alors placée en état de "disette constante" de main-d’œuvre12. Contre la "versatilité ou-

vrière", les cadres d’entreprises devaient avoir recours de nombreuses fois à des mises à pied13. Afin de faire face au besoin perpétuel de travailleurs, un ramassage par car

était organisé pour chercher le personnel à l’aube. Mais Moulinex s’accommodera assez bien de cette mobilité ouvrière.

"A l’usine de Caen, il arrive à cette même période que des ouvrières prennent deux mois de congés sans solde pour travailler l’été dans les res- taurants de la Côte normande. Comme elles sont très compétentes, elles sont reprises sans problème à l’usine en septembre"14

Cette instabilité ouvrière s’explique aussi par l’offre de travail disponible dans la région. Caen et son agglomération rassemblait un vivier important d’emplois (biscuiterie Jeannette, Citroën, RVI, Saviem, Jaeger, Blaupunkt...). En raison de la dureté des conditions de travail et de la prégnance des activités agricoles, le turn- over était fréquent. Pour faire face à la pénurie et au renouvellement du personnel, Moulinex a eu recours à des stratégies de recrutement très local, direct devrait-on dire. Les chasseurs de tête se déplaçaient dans le lieu de vie des personnes, tels des démarcheurs allant de porte à porte.

"Les premières années, le chef du personnel a pour principale mission de recruter. Des anciens collaborateurs de l’entreprise racontent qu’il se rend le soir dans les fermes après la fermeture des ateliers à la recherche de nouvelles recrues. Très souvent, le personnel accomplit des journées de travail doubles : neuf heures dans l’usine et le reste dans une petite exploitation agricole"15

Surtout, la persistance d’activités agricoles a constitué un important frein au pro- cessus d’ "ouvriérisation" en Basse-Normandie. La "souche rurale"16des ouvriers et

ouvrières de Moulinex a distillé un rapport particulier au travail, fruit d’une sym- biose entre le monde agricole et le monde industriel. Le métier d’ouvriers-paysans

11. Ibid., p. 16.

12. Bernard Gille cité par Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, op. cit., p. 22. 13. Jean Péneff (1993), "Le recrutement et l’observation des ouvriers par le patronat", Revue

française de sociologie, n◦ 34, pp. 557-596.

14. Didier Douriez, Moulinex, op. cit., p. 79. 15. Idid., p. 79.

Une intégration différenciée 121 n’est pas réductible à l’alternance entre travail des champs et travail à l’usine. Il cor- respond aussi à la coexistence de deux styles de vie17marqués simultanément par le

salariat et le travail d’indépendant, la ruralité et l’industrie, l’exploitation agricole et la concentration ouvrière. Les villes, où Moulinex s’était implanté, s’apparentent typiquement à ce que Patrick Pélata dénomme les "villes-campagnes"18. Toutefois,

il existait des différences entre les sites de production qui relèvent de données so- ciales et démographiques propres à la localisation géographique. Cormelles-le-Royal se situe dans la périphérie d’une grande agglomération, capitale de région et ville universitaire. Alençon, en revanche, est localisé dans une zone à dominante rurale. La culture ouvrière y est peu développée et y prédomine la logique "lopin de terre". Cette expression, empruntée à un syndicaliste d’Alençon, sert à désigner la situa- tion des travailleurs paysans qui bien qu’employés dans les manufactures ou usines environnantes conservent l’exploitation d’une parcelle de terre pour accroître leurs revenus. Le maintien d’un espace de vie et d’une mentalité rurale a aussi fait obs- tacle à l’émergence d’une identité proprement ouvrière. Saint-Lô et Granville sont également des usines "à la campagne". Jean Mantelet n’aura de cesse de rappeler que l’environnement dans lequel ont été bâties ces usines est celui de la nature ver- doyante, loin des influences néfastes des espaces urbains, industrialisés et syndiqués. L’attitude de docilité et de flexibilité des travailleurs issus des zones rurales était particulièrement apprécié pour faire face aux pics de production. A Falaise, il existait le phénomène dit des "filles bus".

"Moulinex Falaise, à 30 kms de Caen, quand il y avait des besoins d’acti- vité, le patron disait : j’ai mes filles bus. Les filles bus c’était des filles capables de monter dans un bus pour monter à Cormelles-le-Royal, il disait : "(. . . ) j’ai trente filles disponibles ici qui acceptent tout". Il les appelait ses "filles bus". "Je vais faire venir trente "filles bus". Et il faisait un convoyeur avec des filles qui venaient de Falaise, elles prenaient le bus à 5h et demie, elles arrivaient à 6 heures, elles faisaient leur journée et à 14h, elles repartaient jusqu’à Falaise à 14h30."19

Cette soumission aux directives de l’entreprise traduit aussi un attachement fort à la valeur travail. De leurs origines sociales ouvrières ou agricoles, les personnes tirent une forte valorisation du travail physique, de l’effort et du dévouement à la tâche. Cette culture du labeur, de la besogne, du travail bien fait est tout à fait carac- téristique du milieu social d’où est issue une bonne partie de la population à l’étude.

17. Yves Le Balle (1958), L’ouvrier paysan en Lorraine mosellane (Etudes sur l’alternance d’ac-

tivités), Paris, Montchrestien.

18. Patrick Pélata (1982), L’industrie fordienne et l’espace français : le cas de la région de Caen

(1950-1980), Paris, Doctorat soutenu à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, p. 9.

Une intégration différenciée 122 En parallèle, il faut rappeler l’indépendance dont jouissaient les salariés par rapport à Moulinex. Le domaine privé des travailleurs était délié du monde de l’entreprise puisqu’il n’existait pas de cités ouvrières fondées par le groupe d’électroménager. L’éparpillement de l’espace de vie des salariés a certainement freiné l’émergence d’un mouvement d’ouvriérisation de masse parmi la population des Moulinex et a contribué au maintien d’une certaine mentalité ouvrière-paysanne.

"J’ai travaillé à la campagne, on travaillait à la dure"

(Mme V., femme, 47 ans, en couple, agent de production chez Moulinex, Falaise, inscrite à l’ANPE.)

Michel Chesnais précise que la main-d’œuvre féminine était recrutée plus sou- vent dans des activités tertiaires, "dans la domesticité, dans les commerces, dans les petites entreprises"20. Les principales expériences professionnelles qui ont précédé

l’arrivée à Moulinex étaient des emplois dans les manufactures locales, dans les ser- vices (femmes de chambre) mais aussi dans l’agriculture. Les petites exploitations familiales avaient souvent recours au travail des enfants à peine majeurs. La durée moyenne des expériences professionnelles antérieures à l’arrivée chez Moulinex at- teignent quatre années pour les femmes. Beaucoup d’anciens salariés de Moulinex dont les parents possédaient une petite exploitation agricole, se trouvaient embau- chés à la sortie de l’école21. Pour près de la moitié des femmes interrogées (44%

exactement), Moulinex représente le seul emploi occupé durant leur carrière profes- sionnelle (voir tableau 2.3). La grande majorité des salariés licenciés n’a pas connu en effet de période de chômage (80%)22 ou de licenciement pour motif économique

avant d’entrer à Moulinex (92%)23.

L’entrée chez Moulinex n’était pas seulement le produit du hasard ou de la fatalité. On peut discerner certains modes spécifiques d’allocation de l’emploi en fonction des types de salariés. La moitié des personnes interrogées déclare avoir au moins un frère, une sœur, un beau-frère ou une belle-sœur ayant travaillé chez Moulinex. Ce chiffre s’élève à 60% parmi les agents de production et tombe à 8% pour les cadres (voir tableau 2.4). L’entrée chez Moulinex du personnel moins qualifié

20. Michel Chesnais, "La société Moulinex. Intégration et expansion", op. cit., p. 3.

21. Notons au passage la difficulté pour ces salariés de faire reconnaître auprès des caisses de retraite ces années d’activité afin de faire valoir leur droit à l’Allocation Chômeur Agé, entre autres.

22. Notons que n’ont pas été enregistrées comme périodes de chômage les épisodes de non-activité professionnelle de deux mois et moins.

23. La part des personnes qui ont connu un licenciement pour motif économique est assez faible (8%). Elle représente 69 personnes dans l’échantillon, ce qui nous oblige à beaucoup de prudence quant aux résultats énoncés à propos de ce groupe d’individus.

Une intégration différenciée 123

Tab. 2.3: Adhésion à la proposition : "A connu d’autres expériences professionnelles avant d’entrer chez Moulinex" selon le sexe

Expériences professionnelles

Population totale avant Moulinex Effectif

Oui Non % % Sexe Homme 73,3 26,7 368 Femme 56,1 43,9 462 Total 64,0 36,0 830

Source : Enquête Moulinex 2003 χ2 ≤ .0001

se réalisait donc plus fréquemment par le biais du réseau familial ou amical.

"J’avais déjà deux sœurs, et puis mon père, parce qu’il était maçon avant, et comme il avait eu un grave accident à la maçonnerie, il était rentré ici en 70. Donc il y avait déjà trois membres de ma famille, donc moi j’y suis rentrée, et après, on a refait rentrer encore une sœur. On était quatre sœurs quand on a été licencié, quatre sœurs, quatre. On est quatre sœurs. . . "

(Mme R., femme, 49 ans, seule, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, inscrite à l’ANPE.)

Tab. 2.4: Le nombre de collatéraux ayant travaillé chez Moulinex selon la dernière catégorie professionnelle occupée dans l’entreprise d’électroménager

Travail de collatéraux

Population concernée chez Moulinex Effectif

Aucun 1 à 4 5 à 20 % % % Catégorie profession- nelle Agent de Production 39,3 55,0 5,7 332 AP-Ouvrier Qualifié 45,2 49,9 4,9 172 Ouvrier Qualifié 63,3 36,7 0,0 65 Employé et Maîtrise 56,9 36,8 6,3 63

Agent de Maîtrise et Tech. 74,1 23,1 2,8 137

Cadres 92,4 7,6 0,0 27

Total 51,8 43,8 4,4 796

Source : Enquête Moulinex 2003 χ2 ≤ .0001

Les hommes, les ouvriers qualifiés, les agents de maîtrise et les techniciens dé- clarent moins souvent avoir dans leur famille des anciens salariés de Moulinex (voir tableau 2.4). Le personnel masculin et qualifié a très majoritairement connu d’autres expériences professionnelles avant leur entrée chez Moulinex, qui sont généralement

Une intégration différenciée 124 liées à leur qualification et d’une durée assez longue pour beaucoup (7 années en moyenne pour les hommes contre 4 pour les femmes)24. La forte demande en qualifi-

cation autorisait les ouvriers professionnels à une grande mobilité entre les différentes entreprises. Plus les emplois occupés chez Moulinex sont élevés dans la hiérarchie professionnelle, moins le choix de Moulinex est décrit comme non-alternatif. 77% des agents de production considèrent que leur emploi chez le fabricant d’électromé- nager était le seul trouvé contre un tiers des agents de maîtrise et des techniciens (voir tableau 2.5). Pour ces derniers, la politique salariale pratiquée par Moulinex et les perspectives de progression professionnelle constituaient les principaux motifs de l’entrée dans l’entreprise d’électroménager.

"C’est que depuis longtemps, le marché du travail des professionnels, au moins dans les métaux, s’étend au-delà de la région, vers la Haute-Normandie et vers Paris. Les contremaîtres et O.P. sont plus enclins à émigrer depuis la Basse-Normandie(. . . ) ou depuis Caen (. . . ) que les O.S. et les manœuvres. Surtout parmi les jeunes avec un diplôme en poche, on n’hésite pas à mettre en concurrence les entreprises de Caen avec celles de la Seine ou la Basse Seine, pour choisir sa place. Ce qui complique les choses pour nos grandes entreprises. C’est sans soute ce qui explique qu’elles aient réservé à leurs professionnels un traitement spécial et des salaires particulièrement élevés."25

Les différents chemins qui menaient à Moulinex s’expliquent beaucoup par l’ori- gine sociale, la qualification et le sexe des salariés. L’entreprise d’électroménager a recruté une grande partie de son personnel parmi une population issue d’un milieu populaire et rural. Les raisons qui sous-tendent l’arrivée dans l’entreprise d’élec- troménager ne sont pas les mêmes selon les caractéristiques sociales des individus. D’une certaine manière, il existait deux modalités de recrutement : une voie formelle reposant sur le capital scolaire des candidats qui répondait à un besoin permanent de personnel qualifié et une voie informelle s’appuyant sur les relations de proche en proche au niveau des emplois d’exécution de la production. Le mode de recrutement des hommes et des travailleurs qualifiés se réalisait par le niveau de diplôme tan-