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Une entreprise socialement intégrée

Le fondateur de Moulinex incarnait les fonctions du ’père’ de l’entreprise qu’il a fondée. La gestion "à la Jean Mantelet" rassemble bien les traits du paternalisme d’entreprise, tout en se distinguant par rapport à d’autres formes de gouvernance puisqu’elle interférait, somme toute, relativement peu dans la sphère privée de son personnel. Toutefois, comme toute grande organisation, Moulinex avait développé une politique sociale auprès de ses salariés. La présentation des avantages sociaux mis en place par l’entreprise et la politique protectrice envers l’emploi développée par Jean Mantelet vont terminer ce chapitre sur le paternalisme. Les implications d’une telle politique sur le personnel et sur son rapport à l’entreprise seront interrogées.

Dans les années 70, l’entreprise aux lettres rouges avait permis à ses salariés de devenir propriétaires d’actions de la Société Moulinex grâce d’abord à la participa- tion "aux fruits de l’expansion"60. En 1981, 341 409 actions avaient été distribuées

gratuitement à l’ensemble du personnel de Moulinex. En février 1988, Jean Mantelet avait décidé de céder son entreprise et ses actions à ses employés au travers du plan

58. Allocution de Jean Mantelet lors de l’inauguration de l’usine de Saint-Lô, vendredi 14 mars 1975, PdR, 1975, n◦ 2, p. 7.

59. André Gueslin (dir), Michelin, les hommes du pneu, op. cit. 60. PdR, avril 1975, n◦2, p. 3.

Le paternalisme d’entreprise 107 de reprise par les salariés (RES)61. Comme le souligne Frederic Lordon, ce terme a

"un parfum de coopérative ouvrière capitaliste"62. Lordon souligne en outre que la

participation des salariés était soutenue par une propagande "l’avenir c’est d’être propriétaire de son usine"63. Cette initiative était relayée par les dirigeants qui "ont

fait campagne et battu le tambour pour que les salariés s’investissent dans ce mon- tage"64. Cette politique a été reçue positivement par les salariés qui y voyaient une

marque d’attention et de considération à leur encontre.

Moulinex pratiquait beaucoup "l’intégration par le sport"65. Lors de la grande

rencontre annuelle de Moulinex, rebaptisée le "Challenge Jean Mantelet", les dif- férentes villes, où était implantée la société d’électroménager, accueillaient la ma- nifestation et les 1000 personnes (sportifs et accompagnateurs) participantes66. A

l’occasion de ce challenge éponyme, Jean Mantelet remettait une enveloppe (5000 Francs67) aux associations sportives de la ville68. Le sport crée un engouement dont

Moulinex retirait tous les bénéfices en termes d’implication de ses salariés. Il permet également de développer et d’entretenir un esprit d’entreprise et de diffuser une cer- taine morale. Les valeurs prônées dans le sport entrent en résonance avec celles de l’entreprise : esprit de compétition, investissement personnel, loyauté... En somme, par le truchement d’une activité désintéressée, telle que les activités sportives ou de loisir, Moulinex cultivait chez ses salariés les conditions d’un attachement à l’en- treprise. M. M. explique comment la pratique du sport constituait un prérequis à l’embauche chez le fabricant d’électroménager :

"Il y a eu une époque, quand on rentrait, pour avoir une petite place, il fallait jouer au foot. Moi, je jouais au foot alors ça allait. Nous, on jouait au foot c’était pour. . . Parce qu’il y avait une équipe d’ouvriers qui jouait au foot et en face c’était une équipe de chefs. C’était un petit peu virulent. Si on pouvait en savater un ou deux : "Tiens, ça va t’apprendre !". Mais bon, c’est

61. En février 1988, Jean Mantelet avait signé une promesse de vente de 67% de sa banque, la Finap aux salariés de Moulinex. Un an plus tard, il en décide la vente de son vivant. Le personnel est alors invité à racheter pour 240 millions de francs les actions de la Finap (dont Mantelet conservera le contrôle sa vie durant). La cession des actions se fait à un prix d’ami : 40 francs (6 euros).

62. Frédéric Lordon (2004), "Comment la finance a tué Moulinex", Le Monde diplomatique, mars. 63. Ibid.

64. Libération, 22 décembre 1993.

65. Nicolas Marty (2005), Perrier, c’est nous ! Histoire de la source Perrier et de son personnel, Les éditions de l’atelier, coll. mouvement social, p. 84.

66. PdR, 1976, n◦ 9, pp. 22-23.

67. 762 euros

68. 14 disciplines étaient représentées : Ball-trap, Handball, Chasse sous-marine, Cross, Cyclisme, Equitation, Football, Pétanque, Pêche, Tennis, Tennis de table, Tir cible, Voile, Volley-ball. Moins connu, se déroulait également le challenge Roger Georges, challenge d’équitation. Le modélisme est apparu en 1981. Il fera de nombreux adeptes rassemblés les dimanches matin sur les parkings des usines.

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vrai, Moulinex a fait un tas de chose, c’est inimaginable."

(M. M., homme, 49 ans, seul, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, inscrit à l’ANPE.)

L’actionnariat et le sport d’entreprise sont des activités qui paraissent bien diffé- rentes puisque l’une se réalise dans la sphère personnelle et privée, tandis que l’autre est une pratique publique qui fait appel au sens du collectif, à l’esprit de groupe. Par le temps et l’argent engagés, celles-ci impliquent et rattachent l’employé à son organisation employante. Ces deux formes d’investissement (financier et sportif) ont développé une forte adhésion de la part du personnel. Elles permettent de dépasser la condition présente, d’échapper aux pesanteurs du présent et de se projeter hors des temps du travail.

Il faut inclure dans les œuvres sociales de Moulinex, l’offre d’activités culturelles et de loisir dispensée par les comités d’établissement qui était relativement étendue. Le CCE gérait le fonctionnement de différents centres de vacances69, organisait aussi

des séjours à la montagne pour les enfants du personnel70, proposait des places en

gîtes familiaux ou à l’hôtel pour les vacances d’été et faisait bénéficier les salariés de voyages en France ou à l’étranger à des tarifs réservés aux comités d’entreprise. Les visites des autres sites de production, comme celui de Solingen en Allemagne, étaient par exemple proposées.

"Mais j’allais avec mes enfants à Astérix, dans tous les parcs qu’il y a dans le coin et puis les gamins étaient contents et puis c’était pas cher. Non, non, c’était bien."

(M. M., homme, 49 ans, seul, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, inscrit à l’ANPE.)

Moulinex était doté d’un service social et médical propre71. "Les services de

la médecine du travail ont un double but : protéger la santé et les aptitudes des travailleurs d’une part, améliorer les conditions de travail d’autre part"72. En cela,

le médecin du travail pouvait intervenir à deux niveaux. Il pouvait proposer des mesures individuelles d’aménagement du poste de travail, de changement d’atelier, mais aussi collectives concernant les ambiances (le bruit), le rythme, l’hygiène, les horaires et l’ergonomie de travail.

En 1986, le service médico-social de Moulinex comptait 18 infirmières. Des soins

69. Moulinex mettait à la disposition de ses salariés, une colonie de vacances à Villers-Canivet dont la capacité d’accueil était de 300 personnes avec un bungalow pouvant accueillir deux familles et un camping à Genêts dans la Manche.

70. Une soixantaine d’enfants étaient accueillis en avril 1978.

71. En 1975, l’usine comptait quatre médecins du travail et en 1986, le service médico-social de Moulinex comptait 18 infirmières.

Le paternalisme d’entreprise 109 quotidiens à la prévention des maladies, les fonctions de l’infirmière étaient essen- tiellement tournées vers le dialogue et le soutien psychologique. "Les personnes que je reçois attendent parfois d’être rassurées sur un résultat médical qui les inquiète ou sur des problèmes rencontrés dans leur vie personnelle"73. L’une d’elles, membre

du service médico-social avait déclaré devoir souvent élargir son champ d’action : "Il m’arrive d’assister certaines personnes dans des démarches administratives comme la rédaction d’une fiche de paye de nourrice ou d’une déclaration d’impôts"74. Un autre

rôle dévolu aux infirmières était celui d’interface entre l’ouvrier et son responsable hiérarchique afin de préconiser des aménagements dans certains postes de travail. L’infirmerie était aussi très souvent le théâtre de crises de nerfs et de larmes suite à des conflits ou altercations sur le lieu de travail. En 1977, quatre assistantes so- ciales se partageaient l’ensemble des sites de production75. Ces dernières avaient une

fonction de soutien aux tâches administratives. L’aide conférée par les assistantes sociales mais aussi certaines fonctions des représentants du personnel ont souvent été dénoncées pour avoir conduit à une infantilisation des salariés. De l’ensemble des motifs de satisfaction dans l’emploi, les avantages sociaux remportent la plus forte adhésion (92% de l’ensemble des répondants se déclarent satisfaits de ceux-ci). Si pour les agents de production, les salaires directs avoisinaient le salaire minimum, en revanche le salaire indirect dispensé chez Moulinex, lui, était nettement plus pro- fitable. Les primes d’ancienneté et le 13ème mois constituaient des "petits plus" qui faisaient la différence en termes de revenus. Egalement les salariés bénéficiaient d’une prime d’équipe, d’une prime de transport, de panier. Cette prime d’équipe (15% du salaire) est une reconnaissance du travail "posté" du matin et d’après-midi : 6-14h et 14-22h. La part de l’employeur représentait plus de la moitié du prix du repas. Des congés supplémentaires d’ancienneté étaient prévus. Deux ponts étaient accordés et les salariés pouvaient profiter d’un Service Après Vente de leurs appareils (SAV) gra- tuit. La mutuelle de Moulinex était perçue comme "avantageuse" bien que celle-ci n’était pas totalement prise en charge par l’entreprise.

"L’avantage, c’était surtout que c’était la mutuelle de l’entreprise, c’était pas une mutuelle qu’on ne connaît pas, on a un bureau, l’assistance sociale est en relation avec la mutuelle, quand on a un problème, il y avait le service "plus" qu’on avait pas dans une autre mutuelle. Quand on se fait embaucher sur la feuille où on indique son nom, sa qualification, on signe à la fin : j’accepte d’adhérer à la mutuelle, y compris quand vous sortiez de la mutuelle, c’était suspect. (. . . ) j’avais été stupéfait, tous les syndicalistes étaient au courant

73. PdR, mars 1986, n◦ 48, p. 17.

74. Ibid., p. 17.

75. L’une d’elle avait la charge de 5 usines : Mamers, Villaine-la-Juhel, Fresnay-sur-Sarthe, Mayenne et Domfront. Une seule était affectée à Caen.

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que j’avais quitté la mutuelle de l’entreprise, donc forcément il devait y avoir quelque chose, j’y suis revenu quelques mois après parce que j’étais contraint à longueur de temps de me justifier sur le pourquoi j’ai quitté la mutuelle. . . "76

Pourtant, au regard d’autres grandes entreprises, Moulinex proposait de faibles avantages sociaux. L’importance portée à ses avantages n’était pas estimée à l’aune de ses bénéfices financiers mais au niveau de leur portée symbolique. Ils étaient le fruit de luttes gagnées contre le patronat (les ponts concernant les jours de congé) et l’expression d’une reconnaissance par l’entreprise de l’effort consenti par ses sa- lariés (la prime d’équipe). Plus que l’intérêt économique qu’ils représentaient, ces avantages sociaux avaient une fonction identitaire très forte. Mais connus du grand public, ils ont aussi servi à alimenter les représentations négatives qui rejaillissent sur l’image des salariés dans la période de l’après-Moulinex.

"Où leur image est ternie, c’est de se dire : moi petite entreprise si je recrute quelqu’un de Moulinex, c’est une personne qui vivait dans un cocon, qui avait des avantages que moi je n’offre pas, un rythme de travail qui n’est pas celui de chez moi, une culture qui n’est pas la mienne. S’ils viennent chez moi, ils ne pourront pas s’adapter !"77

Pour compléter ce tableau sur les œuvres Moulinex, attardons nous plus parti- culièrement sur le mot d’ordre lancé par Jean Mantelet : "la lutte pour l’emploi". A priori et sortie de tout contexte, cette expression renvoie spontanément à une invective politicienne, un message délivré en période pré-électorale. Jean Mantelet avait, en effet, fait de la perpétuation de son entreprise une affaire personnelle. "Je voudrais d’abord que l’on comprenne que le souci de la pérennité de cette entreprise que j’ai créée est quotidiennement présent dans mon esprit et me préoccupe en per- manence"78. Pour appuyer ses propos, il énonce un certain nombre d’"exigences" :

le "maintien des milliers d’employés de l’entreprise" et la "poursuite des efforts sur les marchés extérieurs"79. Sur ces deux points, Jean Mantelet ne transigera jamais.

"Nous exerçons une profession de main-d’œuvre et nous sommes de ce fait particuliè- rement vulnérables. Notre chance, c’est d’appartenir à une entreprise dynamique qui avait compris très tôt la nécessité de l’exportation"80. Le facteur humain sera pré-

servé tandis que l’expansion de l’entreprise se fera par l’exportation et la conquête de nouveaux marchés. Deux appareils Moulinex sur trois étaient fabriqués pour l’étran- ger. Dans la pensée ’Manteléenne’, la recherche, le renouvellement de la gamme de

76. Entretien avec Thierry Lepaon, ancien syndicaliste à Moulinex Cormelles-le-Royal, mars 2005. 77. Entretien avec le responsable de la cellule-emploi de Saint-Lô, décembre 2002.

78. PdR, février 1982, n◦ 32, p. 8.

79. Ibid, p. 8.

Le paternalisme d’entreprise 111 produits sont ses seuls saluts. Il croit infiniment à la capacité d’innovation de ses équipes d’ingénieurs. Le schéma explicatif est bien huilé, cohérent et ne laisse filtrer aucune faille : il faut donc produire et produire toujours plus afin d’accroître la pro- ductivité. Ces gains se font par augmentation de la production générale permise par l’accroissement de la demande et ceci sans toucher, ou le moins possible, au facteur humain. Le recours au chômage doit être selon lui, "limité" ou exceptionnel. Il n’est nullement perçu comme une variable d’ajustement, le plus souvent d’ailleurs, le sujet est rapidement évacué.

"C’est pourquoi je n’hésite pas à répéter que tout a été fait et continuera d’être fait pour la survie, puis l’expansion de cette entreprise, constituant ainsi un atout majeur pour atteindre l’objectif."81

Pourtant le directeur historique de Moulinex ne cachera pas ses inquiétudes à ses employés. Il est question dans chacun des discours qu’il prononce d’une "conjoncture incertaine"82, des grondements de la récession internationale. Lors d’une allocution

en 1984, Jean Mantelet dépeint un portrait du contexte économique des plus alar- mants où il ne s’économisera pas de mots forts. Il parle en effet de "compétition sauvage", de "sauve-qui-peut économique"83. Dans ce jeu économique, explique-t-il,

"certaines connaîtront la récession alors que d’autres progresseront. Je puis vous af- firmer que nous serons parmi ces dernières"84. Le danger est appréhendé, parfois de

façon très alarmante, mais l’issue est immédiatement fournie : la sortie des nouveaux produits85. Dans le discours de Jean Mantelet, la situation même dramatique est

maîtrisée, elle est sous contrôle et l’incertitude reste contenue. "Cette crise de civi- lisation que nous traversons actuellement a pour effet de nous mettre pratiquement en état de guerre économique au niveau mondial.". Deux phrases après, Mantelet exprime la solution :

"C’est en effet seulement en pratiquant une politique d’innovation qu’une expansion des fabrications devient possible à l’étranger tout en assurant la sauvegarde de l’emploi en France dans l’immédiat et plus encore dans le fu- tur."86

Il est intéressant de voir comment les difficultés sont interprétées comme autant de défis à relever. Elles jouent comme un stimulant pour le patron de Moulinex.

81. PdR, février 1982, n◦ 32, p. 8.

82. PdR, avril 1975, n◦2, p. 1.

83. Ibid, p. 2. 84. Ibid, p. 2.

85. " (...) il est probable qu’à moyen terme l’importance de notre catalogue devrait nous permettre la création de nombreux emplois, et amener ainsi nos effectifs à progresser de nouveau et diminuer les importations étrangères" in PdR, janvier 1983, n◦ 36, p. 2.

Le paternalisme d’entreprise 112 Tout se passe comme si l’affrontement de l’adversité avait pour objectif d’en atténuer l’acuité. L’esprit du patron de Moulinex face à la concurrence est volontaire, "il ne fait pas croiser les bras". L’entreprise ne doit pas subir mais c’est à elle de mener l’offensive.

Après l’ère Manteléenne, un second credo viendra se substituer à la fameuse "lutte pour l’emploi", il sera alors question de "l’effritement du personnel". Cette expression, qui renvoie à l’idée de délitement, se veut toutefois rassurante. Pendant toute cette période, la gestion du personnel s’est réalisée par un écrémage "naturel" de la masse salariale. Les embauches sont stoppées et les départs en retraite ne sont pas remplacés. Le but affiché est la préservation coûte que coûte de l’emploi. Lors d’une communication au comité central d’entreprise, le 28 avril 1978, M. Georges, membre du Directoire avait tenu les propos suivants :

"Nous aurions pu, comme certains de nos concurrents avoir recours à des licenciements ou ramener nos horaires à 32 heures pendant de longs mois. Mais, vous le savez, notre souci constant est de préserver l’emploi, nous continuions de supporter l’effritement naturel des effectifs"87

Le chômage partiel était alors présenté comme une mesure passagère, conjonc- turelle mais nullement comme un instrument de gestion de la main-d’œuvre.

"Une semaine de chômage partiel a cependant été nécessaire fin 1977 pour assainir la situation, mais dès février 1978, nous avons pu continuer à produire pendant 40 h par semaine. Nous espérons bien que la situation continuera à s’améliorer, et ne nous contraindra pas à de nouvelles mesures. En effet, nous avons des raisons d’être optimistes, car les moyens mis en œuvre dans le do- maine des investissements, de la recherche et de l’organisation commerciale, devraient nous permettre d’améliorer notre situation sur le marché. Nos inves- tissements poursuivis régulièrement depuis plusieurs années nous permettent de demeurer compétitifs"88

Le discours, lui, est en continuité avec celle du fondateur : "Mais nous ferons tout notre possible pour maintenir l’emploi. Nous avons pris le risque d’arrêter le chômage partiel, et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour persister dans cette voie"89. Cette politique patronale peut s’interpréter comme un véritable droit

à l’emploi pour les salariés.

Le premier à s’attaquer à la forme et à l’image de l’emploi à vie chez Moulinex est Pierre Blayau. Quand le nouveau PDG arrive à la tête de l’entreprise, il souhaite à sa manière, libérer le groupe de ses carcans et lui donner les traits d’une usine moderne. Il l’engage vers la voie de la flexibilité et cherche à imposer des mesures de

87. PdR, avril 1978, n◦18, p. 2.

88. Ibid, p. 2. 89. Ibid, p. 4.

Le paternalisme d’entreprise 113 modulation du temps de travail afin de s’adapter à la saisonnalité de ses ventes. Son rôle n’est plus de protéger la force de travail mais l’outil de production, l’entreprise et la marque. Pour cela, il cherche à casser les représentations, le mythe de l’entreprise toujours pourvoyeuse d’emplois. Pierre Blayau fustige les "marchands d’illusions" qui empêchent le mouvement d’adaptation de Moulinex au nouveau contexte éco- nomique. Le PDG n’aura cesse de le répéter dans la presse : "l’emploi n’est pas ma responsabilité. . . Ma responsabilité à moi à Moulinex c’est de faire en sorte que l’en- treprise puisse se développer, que les marques existent"90. Alors que Jean Mantelet

exprimait son souci de lutter pour le maintien des emplois, Pierre Blayau parlait de ratio, de rentabilité, de productivité.

"Je voudrais dire à ceux qui travaillent à Moulinex, à leurs familles, à ceux qui les connaissent qu’il y a danger à écouter les marchands d’illusions. Moulinex est je crois une entreprise qui a vocation à réduire l’emploi parce qu’il faut s’adapter à une concurrence mondiale terrible."91.

Cette acharnement de Pierre Blayau à combattre l’idée d’un emploi pérenne est aussi le constat que cette idéologie était très ancrée dans les mentalités des salariés. "Tout fondateur marque les premiers temps de l’entreprise par quelques principes, souvent proches de ses convictions personnelles"92. Ce sont justement ces

empreintes laissées par un paternalisme particulièrement protecteur de l’emploi que l’on a tenté de mettre en perspective ici. Quelles sont alors les retombées d’une telle politique pour le personnel salarié de l’entreprise ? Une des fonctions de la culture d’entreprise, selon Maurice Thévenet, est de fournir une ligne directrice qui rassure face à l’instabilité du présent et de l’avenir. "On ne peut manquer de penser que la culture intervient dans des périodes troublées comme un réconfort face aux menaces de l’extérieur et autres sauts dans l’inconnu"93. Maurice Thévenet précise que la