• Aucun résultat trouvé

Le salarié de la stabilité

Malgré une dégradation des conditions et des relations de travail particulièrement ressentie dans les dernières années de travail chez Moulinex, des éléments "exogènes" de satisfaction existaient et contribuaient à renforcer le lien à l’entreprise. Quels bénéfices sur un plan personnel et privé peut-on tirer du salariat dans une grande entreprise ? Cette question va être traitée au travers du niveau de vie atteint par les salariés, de l’accès à la propriété résidentielle et de la fierté d’avoir appartenu à un grand groupe industriel. Il s’agit de voir ici comment les gains matériels et symboliques obtenus au travers de l’emploi chez Moulinex participent également de la formation du sentiment d’attachement à l’entreprise.

Le premier avantage du salariat dans une grande entreprise est d’ouvrir la voie à une mobilité sociale ascendante pour le personnel issu des couches populaires. L’ou- vrier de Moulinex a beaucoup de points communs avec L’ouvrier de l’abondance décrit par les sociologues anglais dans les années 1960 : c’est un travailleur de l’in-

33. Les autres motifs d’absence au travail sont : "les congés sans solde ou service militaire (2,4%), la maternité (1,3%) et les congés d’ancienneté (1,1%)", Extrait du Bilan social de 1984 publié dans le PdR, novembre 1985, n◦ 47, p. 16.

34. Melvin Seeman (1959), "On the Meaning of Alienation", American Sociological Review, vol. 24, n 6, pp. 113-133.

L’attachement à Moulinex 166 dustrie35, ayant bénéficié d’une élévation du niveau de vie attachée à des aspirations

de mobilité sociale et qui a pu développer un pouvoir de consommation. Dans leur ouvrage L’ouvrier de l’abondance, John H. Goldthorpe, David Lockwood, Frank Be- chhofer et Jennifer Platt examinent la thèse d’un embourgeoisement de la classe ouvrière, selon laquelle les travailleurs, en accédant à un revenu et à un niveau de vie relativement élevé, adoptent un style de vie proche de la classe moyenne36.

Si le terme d’embourgeoisement paraît un peu fort, l’idée d’une "moyennisation de la force ouvrière" élaborée par Michel Verret37 semble assez juste pour qualifier

le niveau de vie atteint par les salariés de Moulinex. A plusieurs reprises, des enquê- teurs ont fait part, dans leurs observations, des conditions d’existence des anciens salariés jugées bonnes voire même très bonnes38. Les sociologues anglais démontrent

tout particulièrement que ce sont les conditions économiques, l’aisance matérielle de l’ouvrier de l’abondance qui concourent à son attachement à l’entreprise.

"A l’inverse, un travail qui par nature entraîne de sévères privations peut néanmoins offrir des satisfactions extérieures - c’est-à-dire économiques - ca- pables de lier solidement le travailleur à l’employeur qui lui procure ce tra- vail"39

Intéressons-nous à présent au rapport entre statut d’occupation du logement et attachement à l’entreprise. Pour une majorité des individus et pour le personnel moins qualifié, le salariat dans l’entreprise est favorable à l’accès à la propriété. Au moment de l’enquête, 60% de la population totale ont déclaré être propriétaires de leur lieu de résidence et 12% être en passe de le devenir. Ce mouvement n’était pour- tant pas supporté par une politique patronale de stabilisation de la main-d’œuvre au travers de la construction de logements destinés aux employés40. L’achat d’un

bien immobilier est un véritablement investissement sur le long terme qui nécessite

35. Notons que dans les trois entreprises choisies par John H. Goldthorpe, David Lockwood, Franck Bechhofer et Jennifer Platt, l’une d’entre elles est une entreprise de métallurgie.

36. Le terme de classe moyenne renvoie à une réalité très lâche puisque "le même mot tend en effet à définir des groupes sociaux dont le niveau de revenu peut varier du simple au quadruple" in Louis Chauvel (2006), Les classes moyennes à la dérive, Seuil, coll. La République des idées, p. 17.

37. Michel Verret (1995b.), Chevilles ouvrières, Paris, Editions de l’Atelier.

38. Observations de l’enquêteur du questionnaire n849 : "Il m’accueille dans un petit pavillon

qui ne paie pas de mine vu de l’extérieur. Surprise, après un long couloir, on s’installe dans une pièce immense avec ordi, baby-foot, coin TV, cuisine américaine et un plafond haut de plus de deux mètres !!!! Sa maison, il a fini de la construire juste après le licenciement."

39. John H. Goldthorpe et al., L’ouvrier de l’abondance, op. cit., p. 77.

40. On peut relever toutefois l’exception des "résidences Moulinex" situées à Alençon et à Cormelles-le-Royal. Celles-ci étaient conçues au départ pour y accueillir exclusivement un per- sonnel d’encadrement et pour promouvoir leur installation dans la région. Ces logements d’entre- prise ont été désertés et le personnel d’encadrement ainsi que les ingénieurs ont vite privilégié une villégiature en bordure de mer.

L’attachement à Moulinex 167 l’assurance au présent de pourvoir aux obligations financières qu’il exige (rembour- sement mensuel des traites). Pour le personnel ouvrier, un tel choix est commandé par la stabilité et la sécurité de l’emploi. Le statut de salarié Moulinex était accrédité positivement auprès des institutions bancaires.

"Elle avait quand même 70 ans l’usine quand même. 70 ans ! Même le banquier, il me l’avait dit, le banquier de la Société générale : "Moulinex ne fermera jamais !" "

(Mme R., femme, 49 ans, seule, agent de production chez Moulinex, Cor- melles, inscrite à l’ANPE.)

Il existe toutefois une légère disparité entre les agents de production et les autres catégories professionnelles. Ces derniers ont moins de chances que les ouvriers quali- fiés de posséder leur propre logement. Parmi les agents de production qui sont loca- taires, les personnes vivant seules41 ainsi que les personnes divorcées et célibataires

sont surreprésentées. Les personnes non-propriétaires de leur logement rassemblent les caractéristiques des salariés ayant opéré un transfert d’usine à l’intérieur de Mou- linex. La mobilité géographique, qui est plus souvent le fait des agents de production et des personnes seules, va à l’encontre d’une stabilité résidentielle. En dehors de ce groupe "nomade", l’accès à la propriété est également partagé par toutes les catégo- ries professionnelles. Le couple permet de mutualiser les efforts financiers. L’accès à la propriété se retrouve mieux représenté parmi les personnes en ménage (79% des personnes en couple sont propriétaires ou accédant à la propriété contre 34% des personnes seules).

"L’acquisition du pavillon engage en effet la vie des 2 conjoints sur le long terme, par la durée notamment du plan de financement et du remboursement mensualisé des emprunts ; de plus elle a mobilisé une représentation du futur en des temps du cycle de vie où le couple se formait à peine (plan épargne logement ou économies amassées pour l’apport personnel"42

La stabilité résidentielle fait donc écho à une stabilité familiale. La part des per- sonnes mariées parmi les enquêtés est importante (près des trois quarts des répon- dants). Toutefois, parmi les répondants célibataires, plus de la moitié dit cohabiter dans le cadre d’une union libre. Le modèle dominant de ménage est celui de la famille de deux enfants (47%). Notons que deux tiers des personnes vivant seules ont au moins un enfant. L’habitat pavillonnaire est le mode résidentiel le plus ré- pandu parmi les répondants (pour 82% des personnes interrogées, 76% des agents

41. Les agents de production locataire de leur logement sont 41% à vivre seuls, alors que ce n’est le cas que pour 23% de la population totale des agents de production.

42. Thierry Blöss et al. (1986), "Histoires familiales et modèles d’installation. Emplois - enfants

- propriétés. Des familles de femmes OS à Renault (Dreux), des familles de techniciens à la Somer (Fos-sur-Mer), Rapport pour le Ministère de la recherche, mars, p. 11.

L’attachement à Moulinex 168 de production et 89% des ouvriers qualifiés de métier). Il concerne la quasi-totalité des personnes en couple. L’emploi chez Moulinex permet d’être propriétaire de ses moyens d’existence et favorise aussi une privatisation de son cadre de vie ainsi que la mise en couple. Peu de Moulinex réside dans des immeubles collectifs ou des Ha- bitats à Loyers Modérés. Ceci s’explique aussi par le fait, qu’à l’exception de Bayeux et de Cormelles-le-Royal situés en périphérie de Caen, les autres villes d’accueil des usines Moulinex offrent peu de parcs immobiliers de ce type. L’accès à la propriété est l’une des conséquences les plus manifestes des bénéfices à rattacher au salariat chez Moulinex. Le temps passé dans une grande entreprise bénéficie aux individus les moins dotés en capital scolaire. Il offre une stabilité qui permet le déploiement de projets conjugaux, familiaux et mobiliers et rend l’avenir plus maîtrisable. La vie de couple conjuguée à un travail stable permet aux moins diplômés d’investir à la fois dans un capital foncier mais aussi dans le capital scolaire de leurs enfants. L’accession à la propriété et à un certain niveau de vie est dépendant de la sécu- rité professionnelle fournie par le statut de salarié Moulinex. Egalement l’emploi dans l’entreprise d’électroménager permettait d’éloigner le spectre du chômage, de la paupérisation et de la déchéance matérielle. 20% de l’ensemble des enquêtés ont fait l’expérience du chômage avant leur entrée chez le fabricant d’électroménager. Ce n’est le cas que de 15% des agents de production. La population des Moulinex est typiquement une population d’"insiders". La majeure partie d’entre elle appartient à la génération du plein emploi, à la génération rebaptisée par Louis Chauvel "la décade dorée"43. Pourtant, le chômage pouvait atteindre l’entourage familial de ces

salariés. Comme l’explique Franck Magloire en porte-voix de sa mère : "tout comme nous avons eu chacun un paysan ou un ouvrier dans nos familles, nous avons aussi un chômeur, un mari, le mien à traversé dix bonnes années de désert social"44.

Dans le cas de Moulinex, les dimensions symboliques et identitaires semblent jouer un rôle très important pour comprendre le lien qui unit les salariés à l’entre- prise et les bénéfices que ces derniers recueillaient des fruits de leur travail. Pour les plus attachés à l’entreprise, il y avait la fierté d’appartenir à un groupe de renommée mondiale car l’image de Moulinex était aussi celle d’une entreprise ambitieuse. En 1990, le groupe français d’électroménager devint numéro 1 en Europe et totalisait 25 usines sur 4 continents. Ce mouvement d’expansion géo-industrielle n’était pas dénué d’un sentiment de puissance, de fierté nationale et de grandeur. La marque Moulinex était considérée parmi les plus appréciées par les français45. Ce "fleu-

43. Louis Chauvel, Le destin des générations, op. cit. 44. Franck Magloire,Ouvrière, op. cit., p. 114

L’attachement à Moulinex 169 ron" de l’industrie française avait reçu la visite de nombreux dirigeants politiques. "Symbole d’un certain savoir-faire français, Moulinex reçoit la visite des plus hautes autorités de l’Etat, à l’image de celle qu’effectue, le 5 juillet 1960, le général de Gaulle à Alençon"46. Il y avait chez Moulinex une fierté qui émanait de la qualité

même des produits : "Chez Moulinex, on faisait de bons produits". Qui dit bons pro- duits, dit bons producteurs. L’image publique de l’organisation se trouvait déplacée sur la personne du travailleur47. Les notions faisant référence au progrès technique

abondaient : "Vive la cuisine presse-bouton", "Moulinex révolutionne la cuisson", "Le Moulin-Légume : le chevalier servant de la ménagère". Il y a un véritable effet de miroir entre l’individu et son organisation.

Il se dégage des personnes interviewées, la fierté d’avoir appartenu à une célèbre entreprise, à un groupe industriel connu à travers le monde, à une entreprise dans l’air du temps48. L’appareil électroménager est un objet d’achat personnel et un

objet à offrir. L’entreprise réalisait ses plus gros chiffres d’affaire lors de grands évé- nements commerciaux : Noël et la fête des mères. Pour ces occasions, des femmes venues de la production et rebaptisées alors "ambassadrices" étaient mobilisées pour les opérations "têtes de gondole" ou "aides à la vente" dans différents hypermarchés de Paris et de province. Egalement Moulinex était toujours présent aux foires expo- sitions de Paris et de Cologne (la Domotechnica) avec dans ses stands des "hôtesses venues des usines"49 afin de réaliser les démonstrations des dernières nouveautés

sorties sous la marque Moulinex. Une ouvrière raconte à un journaliste son expé- rience :

"Dans le cadre du travail, on m’a proposé de participer à des animations commerciales. J’ai fait la Foire de Paris, j’allais dans toute la France vendre des produits de la marque, présenter des prototypes que j’avais parfois testés moi-même. Je me souviens : quand on disait, dans les magasins, qu’on venait des usines, qu’on fabriquait les produits qu’on leur proposait, les gens avaient confiance."50

Des employées, une cinquantaine environ, quittaient leur poste pour se faire promotrices des produits qu’elles fabriquaient elles-mêmes pour se faire porte-parole

46. Au Salon des arts ménagers de 1963, Jean Mantelet avait rencontré Valéry Giscar d’Estaing, alors ministre des Finances. Pierre Bérégovoy, premier ministre se déplacera lui aussi dans l’une des usines du groupe d’électroménager.

47. Harry Levinson, "Reciprocation : the relationship between man and organization", op. cit., p. 385.

48. Dans sa publicité, l’entreprise emprunte beaucoup à la rhétorique de la libération. L’affiche au célèbre slogan "Moulinex libère la femme" n’est pas sans rappeler le sigle du mouvement MLF (Mouvement de Libération des Femmes).

49. PdR, mars 1986, n◦ 48, p. 15.

L’attachement à Moulinex 170 de leur marque : "j’avais envie de vendre ce que je fabrique", "chaque vente est une petite victoire personnelle"51. Mme R. explique comment les salariés étaient

parfois invités à donner leur avis à propos du design d’un produit prévu pour un lancement prochain. Leur opinion de consommateur et non pas de producteur était alors sollicitée. On voit ici comment la fierté, qui se dégageait de la réalisation des objets, constituait aussi un important facteur d’attachement à l’entreprise.

On peut voir comment les producteurs pouvaient se trouver tour à tour en posi- tion de vendeurs et de consommateurs. On peut aussi comprendre la terrible aigreur ressentie par les salariés licenciés, de voir dans les rayonnages des appareils encore vendus sous la marque Moulinex mais désormais produits par son concurrent et re- preneur. Il y avait une vraie satisfaction de voir dans les rayons et les vitrines des grandes surfaces, des appareils ayant été conçus, montés, assemblés ou emballés par leur propre ouvrage. L’espace privé et la cuisine principalement, se trouvaient alors équipés du "tout Moulinex". La famille des salariés, le voisinage étaient eux aussi convertis à la mode Moulinex. On ne connaît pas le taux moyen d’équipement des salariés en appareils électroménagers de la marque aux lettres rouges. Toutefois on sait qu’en 1990, le personnel du siège situé à l’époque à Bagnolet s’était fait ache- miner en prévision des fêtes de fin d’année, sept objets en moyenne et par personne (ce qui représente un chiffre d’affaires de plus de près de 14 000 euros52. "J’achetais

toujours Moulinex". Le personnel était un bon client de Moulinex grâce notamment au magasin d’entreprise qui fournissait des appareils à des prix de 20 à 25% moins cher que ceux pratiqués dans les canaux de distribution habituels.

"C’était un volume terrible. Le chiffre d’affaires des magasins d’appareils était colossal, à tel point qu’à un moment donné, les grandes surfaces, Conti- nent, Carrefour ont été en guerre contre Moulinex pour restreindre le nombre de produits qu’il était possible de vendre à chaque salarié parce qu’au moment de Noël, tous les jours, ça sortait par camion entier du magasin, avec le beau- frère, la belle-sœur, son voisin du dessus ou d’en dessous qui voulait acheter un aspirateur ou un sèche-cheveux et au moment de la fête des mères c’est pareil."53.

Pour se développer, l’attachement à l’entreprise nécessite un certain nombre de conditions qui tiennent à des considérations matérielles (l’accès à un niveau de vie "moyen") et immatérielles (le temps qui passe), sociales (les liens familiaux et ami- caux) et symboliques (la fierté d’être Moulinex). La satisfaction dans l’emploi ainsi que la trajectoire à l’intérieur de celui-ci participent également à l’entretien d’un tel

51. PdR, février 1982, n◦ 32, p. 4-5.

52. 900 000 francs, PdR, novembre 1991, n◦ 61, p. 23.

53. Entretien avec un ancien syndicaliste CGT de Moulinex Cormelles-le-Royal, Thierry Lepaon, mars 2005

L’attachement à Moulinex 171 lien tout au long d’une carrière professionnelle. Mais la relation à l’entreprise n’est pas une donnée immuable. Il va être question des changements qui l’ont affecté et des retombées sur les travailleurs et leur bien-être dans les dernières années d’exis- tence de Moulinex. Le prochain chapitre sert de prélude à la fermeture définitive de l’entreprise et à l’expérience vécue de la perte d’emploi par les salariés.

173

Chapitre 4

De cadences en décadence

L’attachement à l’entreprise est un sentiment évolutif qui se déploie tout le long d’une carrière. Si cette relation se nourrit du temps passé au sein de cette organi- sation, des liens qu’elle contribue à former, de la satisfaction dans l’emploi et de l’identité positive qui en dérive, elle est aussi amenée à changer sous le poids des influences qui en menaçait l’existence. Le lien que les salariés avaient tissé avec leur entreprise se trouvait déjà compromis par les restructurations qui avaient touché son organisation productive. Le numéro 1 en Europe de l’électroménager souffrait d’une gestion mal maîtrisée et subissait une concurrence qui s’était mondialisée et profon- dément durcie. Le propos ici n’est pas de rechercher les raisons qui ont conduit à la disparition de Moulinex mais il s’agit de démontrer que le dépôt de bilan du cé- lèbre groupe industriel est intervenu dans un contexte de profondes turbulences pour l’entreprise, ses salariés et le territoire qui les accueillaient. Les anciens Moulinex interrogés lors notre enquête de 2003 sont les survivants des précédentes restructu- rations qu’a connues le groupe industriel et cet état de tension a eu un effet certain sur le moral de ces travailleurs demeurés au sein de l’entreprise.

L’analyse se situe à la croisée de trois entités : le territoire bas-normand en tant que réalité géographique, politique et surtout humaine, la société Moulinex compo- sée de ses différentes entités industrielles et les travailleurs qui sont à la fois salariés de cette entreprise et habitants de la région. Au cœur de cette triangulation, les influences réciproques et la relation de dépendance qui s’exercent entre ces trois pôles vont être interrogées dans le contexte de restructurations industrielles et éco- nomiques des années qui ont précédé la fermeture définitive de Moulinex.

De cadences en décadence 174

4.1

Le poumon économique et le cœur politique d’une

région

L’expression de "village au chômage"1 montre bien que les études de type mo-

nographique ne peuvent faire l’économie de la dimension socio-géographique.

"Comme d’autres endroits naissent autour d’un marché, d’une église, d’un château, Marienthal est né autour d’une usine. L’histoire de cette usine, c’est l’histoire du village"2.

Dans le cas de Marienthal, le terme "company-town" se justifie totalement puisque le développement de ce bourg industriel se trouvait totalement lié à celui de la fa- brique de lin. Dans le cas de Moulinex, les villes d’implantation des usines préexis- taient à l’entreprise. Ceci ne veut pas dire que celles-ci soient restées insensibles et fermées aux mutations socio-économiques insufflées par le groupe industriel. Elles se sont bien sûr transformées et adaptées pour pouvoir accueillir l’entreprise d’élec- troménager et son personnel en nombre croissant. Dans son étude sur la ville d’Ar- gentan, Michel Chesnais avait relevé que cette agglomération de l’Orne avait mis en place toute une politique de construction de logements3. Si Moulinex ne peut

être attaché à une ville comme Michelin l’est à Clermont-Ferrand, en revanche, de par son implantation, l’entreprise d’électroménager est associée à un territoire. La carte industrielle de Moulinex est concentrée sur quelques régions administratives françaises proches les unes des autres, contrairement à son concurrent bourguignon.