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Pif-Paf ou l'éphémère mise en scène satirique du pouvoir

II. Une satire de la société brésilienne

a) Quelles assignations de la femme ?

Interrogé en 1989 par le journaliste Ruy Castro dans l'émission « Roda Viva » de la chaîne TV Cultura de São Paulo, Millôr Fernandes manifesta ouvertement son mépris envers les féministes :

« Je ne sais pas, mais ça peut même être une coïncidence. Toutes les femmes que j'ai connu étaient des femmes avec une capacité de survie supérieure à la mienne. Si demain une bombe atomique explose, ou une catastrophe, ou une crise, n'importe quoi qui te fait revenir à la réalité fondamentale, toutes les femmes de mon entourage étaient bien supérieures à moi, définitivement. Et je ne suis pas en train de faire l'éloge des femmes présentes ici. Regardez, parmi les femmes puissantes intellectuellement, les femmes puissantes du point de vue de la survie, les femmes avec une capacité de personnalité propre, je ne me souviens d'aucune qui ait été féministe229. »

229 TV CULTURA, « Roda Viva », São Paulo, 03/04/1989, 1'11''08 [en ligne : https://www.youtube.com/watch? v=A7tNSWjN0H8] (consulté le 27/07/2018).

Ces propos témoignaient de l’un des traits majeurs de l’œuvre et de l’humour d’un intellectuel dont les propos, les écrits et les dessins contribuèrent à leur mesure à la perpétuation au sein de la société brésilienne de diverses formes de la domination masculine analysée par Bourdieu230. Ainsi, Millôr Fernandes alimentait un discours verbal et visuel de légitimation de la supériorité des hommes en essentialisant les femmes, prisonnières d'attitudes, d'activités et d'images censément féminines. Sa misogynie imprégna maintes réflexions, principalement lorsqu’il tentait d’analyser les évolutions des comportements caractéristiques des années 1960 et 1970. En ce sens, une continuité de ce type d'humour se dessina entre les rédactions de Pif-Paf et de l’hebdomadaire satirique Pasquim né en 1969. Parallèlement à un profond dédain ressenti pour les personnes engagées en faveur de l'émancipation des femmes, les travaux de Millôr Fernandes attestaient paradoxalement une critique, toute relative, du sexisme attribué à la religion catholique. En parodiant la parole divine dans « La véritable histoire du paradis231 », il avait déjà mis en lumière l'hypocrisie des péchés attribués au genre féminin :

« Les dieux, mes descendants ; les prophètes, mes relations publiques ; les législateurs, mes avocats, t'interdiront sous prétexte de luxure, d'adultère, de crime et d'attentat à la pudeur ! Mais eux-mêmes ne résisteront pas et pleureront comme des saints après avoir péché avec toi ; comme des hérétiques après avoir, dans tes bras, renié leurs propres croyances ; comme des traîtres après avoir modifié la Loi pour te servir232. »

À cette occasion, l’écrivain poussa le blasphème jusqu'à insinuer que Dieu lui-même avait succombé aux charmes de sa création féminine :

« Donne-moi un baiser et vas-y. Hmmmm, je ne pensais pas que ça serait aussi bon. Hmmmm, formidable ! Vas-y, vas-y. Ce n'est pas moi que tu dois tenter, jeune fille. […] (Note importante : ce discours du Tout-Puissant est révélé pour la première fois de tous les temps ici dans cette revue. Il n'a jamais été divulgué avant. Pas même par son organe officiel, LA BIBLE.) »

230 Pierre BOURDIEU, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.

231 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année, 05/10/1963, p. 64-73.

232 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année, 05/10/1963, p. 71.

Au fil des pages de Pif-Paf, il apparut clairement que Millôr Fernandes et ses collaborateurs critiquaient les interdits et la morale prohibant la nudité et le charme, sans jamais remettre en question le statut d'infériorité des femmes dans la société. En ce sens, les dessins et montages photographiques publiés contribuèrent à la diffusion de représentations stéréotypées consolidant la domination masculine dans la société brésilienne et constituant d'importants véhicules de l'anti-féminisme au sein d'un lectorat principalement masculin, de gauche, blanc et intellectualisé.

La vie conjugale devint sous le crayon de Millôr Fernandes une « guerre éternelle entre mari et femme233 », chacun redoublant de créativité afin d'irriter l'autre le plus possible, dans une bande dessinée renforçant largement les stéréotypes de genre. Pour énerver sa compagne, l'homme faisait écouter à ses comparses une conversation entre sa femme et les amies de celle-ci, perdait l'argent du foyer au jeu, forçait son épouse à laver la lessive à la main, posait un portrait de sa secrétaire sur la table de nuit ou détruisait le corset permettant à sa conjointe de paraître plus mince. En d'autres termes, il cherchait à l'humilier, à porter atteinte à l'estime qu'elle aurait pu nourrir d'elle-même. De son côté, la femme cachait le dentier de son mari, découpait son journal, invitait sa mère à la maison, brûlait les habits masculins au fer à repasser et finissait par empoisonner son mari au cyanure. Elle utilisait des armes vicieuses ou lâches typiquement attribuées au genre féminin. Dans le numéro précédent, le dessinateur Jaguar avait déjà caricaturé la femme adultère, prise en flagrant délit avec son amant dans le lit conjugal234. La charge à l’intensité narrative caractéristique du dessinateur semblait justifier le crime imminent bientôt commis à la hache par le mari trompé :

233 Millôr FERNANDES, « A eterna guerra Marido X Mulher » in Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 18-19. 234 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15.

FIG 10 – Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15

Déclinant la même thématique, Millôr Fernandes publia la série de dessins légendés « Les mille symptômes qui indiquent que les femmes nous trahissent235 » qui instaura avec l’emploi de la première personne du pluriel une relation d'amère complicité entre lui et le lectorat masculin. Il s'agissait d'aider à décrypter dans les comportements féminins les signes indiquant une relation extra-conjugale : à de nombreuses reprises, la femme était dessinée menteuse, intéressée, manipulatrice. Une double page publiée dans le troisième numéro de Pif-Paf renforça également cette vision fondée sur la traîtrise et le mensonge en figurant littéralement et graphiquement l’idée reçue de la femme pleine de promesses charnelles, mais simple illusion se dérobant face aux volontés masculines. La silhouette féminine, allongée et sensuelle, était représentée par de gros points noirs et blancs rendant la vision impossible de près. Le titre « Toi qui n'a jamais vu une femme de près » interpellait le lecteur et la légende inscrite en toutes petites lettres prenait le relais afin d’expliquer les raisons d'une telle disparition : « tu veux justement une exception à cette situation ? Regarde-la de loin, à au

235 Millôr FERNANDES, « Os mil sintomas das mulheres nos traírem » in Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 18 ; Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 13 ; Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 13.

moins six mètres de distance. Oui, parce que quand tu te rapproches d'une femme elle disparaît236. »

Épouse acariâtre ou beauté inaccessible, la figure féminine était également hyper sexualisée, exposée, voire prostituée237. Elle se confondait avec la représentation iconique de la ville de Rio de Janeiro dans une double page de Santiago238, sa poitrine et son bassin formant les deux collines du Pain de sucre. Ce dessin reprenait à son compte une représentation classique très répandue de la femme brésilienne à l'étranger, lascive, dénudée et offerte, prête à être conquise.

FIG 11 : Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 18-19

La section « Cara e Coroa » du quatrième numéro239 opposa par ailleurs délibérément, telles deux faces de la même pièce de monnaie, la femme autoritaire aux cheveux attachés, lunettes sur le nez et vêtue d'un tailleur à carreaux et la femme séduisante et dévêtue. La légende des deux photographies insistait sur l'importance capitale de l'apparence physique féminine : « Une femme dépend beaucoup... /… de comment elle se présente240 ». La rubrique

236 Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 4-5. 237 Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 15. 238 Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 18-19. 239 Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 15-16. 240 Idem.

« Stripif/tease » assemblait des clichés érotiques à la manière d'un roman photo et contribua dans cinq numéros de Pif-Paf à diffuser la vision d'une femme réifiée sous le regard du lecteur, censé choisir la gagnante du concours de strip-tease : « la fille la plus Paf de l'année ». Dans le même registre, cette fois dessinées par Eugênio Hirsch, les « alphabètes » Anabela et Baby étaient deux créatures féminines très pulpeuses progressivement dénudées en quatre images. L’enfouissement des visages sous des cascades de cheveux accentuait la déshumanisation entamée. Ici, le lien à l'alphabet n'était ni l'érudition ni la pratique de l'écriture, mais simplement la première lettre du prénom de chaque créature féminine. Dans le cinquième numéro, le corps d'une femme photographiée en monokini devint même un espace d'annonce publicitaire, sa poitrine étant affublée de deux cercles blancs libres pour y afficher la réclame d’un produit241.

FIG 12 : Femme monokini in Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 4

Le pifini, une amélioration du monokini inventée par la rédaction, servit de prétexte à la publication de la photographie d'une femme nue de dos, assise sur ses talons aiguilles, sur laquelle était inséré le dessin d'une sorte d'énorme soutien-gorge recouvrant ses fesses.

La sexualisation assumée des corps féminins prit une connotation raciste lorsque Pif-Paf publia la photographie d'une jeune femme noire portant une robe blanche aux fines

bretelles qui découvrait sa poitrine accompagnée du commentaire : « Flagrant délit qui prouve définitivement que le nouveau type de maillot révolutionnaire n'est le privilège d'aucune classe. On voit ici, par exemple, notre spécialiste en cuisine exhibant son splendide 'topless' sur le sable de la praia do Pinto242 ». Le terme « pinto » désigne à la fois un petit poussin et l'organe sexuel masculin dans le langage informel. On peut donc traduire la fin de la phrase par « la plage du pénis ». Cela dit, la Praia do Pinto était également une favela située dans les très riches quartiers de Leblon et Ipanema, incendiée en 1969 et détruite par le gouvernement militaire243. L'association de la jeune femme noire à une catégorie sociale inférieure et un statut d'employée domestique ainsi que les connotations sexuelles du texte et de l'image traduisaient le sexisme et le racisme de la rédaction. Un dessin publicitaire faisant la promotion de la Banque Nationale du Minas Gerais publié dans le septième numéro de Pif-Paf confirma par ailleurs une grande tolérance envers les représentations extrêmement stéréotypées du sauvage noir, responsable de la capture d'un aventurier blanc sauvé de justesse par un fonctionnaire de la banque venu payer une rançon et indiquant à quel point il se préoccupait du bien être de ses clients.

FIG 13 : Dessin publicitaire in Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 8

242 Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 23.

243 La destruction de la Praia do Pinto eut lieu dans le cadre du programme d'élimination des favelas organisé entre 1968 et 1973 par la Coordination d'habitat d'intérêt social de la zone métropolitaine (Coordenação de Habitação de Interesse Social da Área Metropolitana CHISAM) dépendant du gouvernement fédéral. Le projet avait pour objectif l'éloignement des zones de pauvreté et le relogement des populations vers les zones nord et ouest de la ville de Rio de Janeiro, dans de nouveaux ensembles urbains tels que la Cidade de Deus ou la Cidade Alta. Voir : Mario Sergio BRUM, « Memórias da remoção : o incêndio da praia do pinto e a 'culpa' do governo » in I Encontro Nacional de História Oral - Memória, Democracia e Justiça, Rio de

Janeiro, ABHO, 2012 [en ligne :

http://www.encontro2012.historiaoral.org.br/resources/anais/3/1339790201_ARQUIVO_MemoriasdaRemoc aoABHO2012.pdf] (consulté le 19/08/2018).

Parallèlement à ces représentations de la femme vue à travers la focale érotisante du désir et du plaisir masculins, Pif-Paf tournait en dérision le conservatisme et le puritanisme d'origine religieuse. A cet égard, la couverture du quatrième numéro fut significative : le dessin signé par Jaguar représentait une scène de psychanalyse vue de profil : un homme en costume allongé sur un divan à côté d'un second personnage masculin assis dans un fauteuil, un carnet de notes à la main. Le contenu de l'inconscient déposé lors de cette séance, représenté graphiquement dans une bulle rose immense occupant presque l'intégralité de la page, comprenait des corps féminins nus enchevêtrés et entassés dans diverses positions. Le dessin traduit l'assimilation d'interdits ressurgissant massivement dans le cadre de la thérapie. Dans le même registre, Millôr Fernandes publia un article intitulé « Le sexe que nous avons raté244 » dans lequel il regrettait la représentation du péché originel dans les textes religieux : « pourquoi la pomme, probablement le plus insipide des fruits insipides, fut utilisée comme symbole d'une chose tellement plus savoureuse et succulente ?245 ». Au lecteur avisé capable de percevoir les différents niveaux de significations, Millôr Fernandes expliquait son refus d'une sexualité conformiste, simple et sans saveur imposée par la religion catholique, au détriment d'une multitude d'expériences considérées d'emblée comme impossibles :

« Et en pensant à cela, nous pleurons de frustration en imaginant le sexe que nous avons raté. Oui, puisque si la pomme si insipide correspond au sexe que nous avons, vous avez déjà imaginé le sexe que nous aurions si la première dame nous avait tenté avec un tamarin bien mûr, de ceux qui donnent l'eau à la bouche ?246 »

À travers une série de dessins consacrée aux « grands thèmes bibliques », le dessinateur Jaguar revisita également à sa manière certains épisodes religieux marquants : la « justice de Salomon247 », « le péché originel248 », « la tour de Babel249 » et « la pluie de feu de Sodome250 ». Le deuxième tournait en dérision l'hétéronormalité du couple créé par Dieu en mettant en scène Adam embrassant langoureusement le serpent enroulé autour de sa taille

244 Millôr FERNANDES, « O sexo que nós perdemos » in Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 7. 245 Idem. 246 Idem. 247 Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 16. 248 Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 15. 249 Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 16. 250 Pif-Paf, n°8, 27/08/1964, p. 18.

devant une Ève imposante et révoltée, sous-entendant l'existence d'une tentation originelle déviante.

FIG 14 : « Le péché originel » in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 15

Le style extrêmement détaillé et minutieux des grands formats réalisés par Jaguar trouva au sein du septième numéro de Pif-Paf un terrain privilégié dans la représentation d'une gigantesque tour de Babel en construction inspirée de l’œuvre de Pieter Brueghel l'Ancien datée du XVIème siècle. Au premier plan du dessin de Jaguar, un personnage masculin tentait d'étouffer une femme se débattant et criant le mot « non » en six langues différentes. L'épisode de la construction de la tour relaté dans la Genèse, origine mythique de la dispersion des peuples et de la création des différentes langues, permit à Jaguar de mettre en lumière avec ironie l'universalité et l'atemporalité des violences faites aux femmes. Symbole de la corruption et de l'orgueil humains, l'épisode de la tour de Babel suivi du châtiment divin sembla renforcer l'idée d'une double peine incombant aux femmes. Le dernier thème biblique

revisité par le caricaturiste dans Pif-Paf fut la destruction de la ville de Sodome par une pluie de feu et de soufre, autre punition infligée par Dieu et citée dans la Genèse. Les interprétations diffèrent au sujet des crimes commis par les habitants de Sodome, des relations sexuelles entre hommes à l'inhospitalité et l'agressivité envers les visiteurs. Le récit mythique servit cependant largement de prétexte à la punition de l'homosexualité par l’Église Catholique. Dans le dessin, un personnage masculin faisait du chantage sexuel à une jeune fille, souhaitant profiter de la situation alors que la pluie de boules de feu rouges s'apprêtait à détruire la ville. La lecture de la scène renvoie également à la critique de l'hypocrisie des textes religieux, dans lesquels les relations entre hommes sont vivement condamnées, mais au sein desquels le viol et les relations sexuelles forcées en échange de faveurs sont monnaie courante251.

Ces exemples de productions graphiques humoristiques attestent d'un scepticisme accru envers les interdits et dogmes religieux de la part des membres de la rédaction qui s'insurgèrent contre le puritanisme et les tabous sexuels. Mais le cri de liberté et le rejet de la morale semblaient toujours privilégier les hommes par rapport aux femmes, cantonnées au rôle d'objets de désir érotisés ou, a contrario, d’arides mégères. Cette mise au point semble fondamentale dans le cadre d'une analyse critique du combat politique et libertaire mené par la rédaction de Pif-Paf, ayant largement privilégié certains fronts aux dépens d'autres.

b) La liberté selon Pif-Paf

Malgré les contradictions précédemment évoquées et le caractère sélectif du combat mené par les dessinateurs du périodique, le thème de la liberté semblait très cher à Millôr Fernandes. Dans le deuxième numéro, il posa pour la première fois une question par la suite récurrente : « Mais, en fin de compte, qu'est-ce que la liberté252 ? ». La demi-page comportait une parodie graphique de la statue de la Liberté new-yorkaise, une ampoule électrique peinte en noir brandie dans la main droite à la place de la torche enflammée et tenant contre elle en guise de Table des lois le livre Mein Kampf.

251 Dans la Genèse, Dieu envoie des anges à Sodome afin d'attester de la véracité des crimes dont sont soupçonnés les habitants. Les anges sont accueillis par le neveu d'Abraham, Loth, qui les héberge et les protège des avances des hommes de la ville. En échange, Loth propose à ces derniers ses deux filles vierges pour calmer leurs ardeurs.

FIG 15 : Millôr FERNANDES, « Mas, afinal o que é a liberdade ? » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15

L'ampoule électrique était branchée à une prise située sur le piédestal, le dessin insinuant de fait que cette brillante liberté ne pouvait tenter d’irradier qu’une fois surélevée, survalorisée. L'ironie résidant souvent dans les détails chez Millôr Fernandes, notons qu'un chien urinait sur un angle du même piédestal et qu'en arrière-plan, un homme noir se faisait agresser à la matraque par un policier en uniforme. Le texte, sceptique, s'interrogeait sur le concept de liberté et annonçait la publication d'un article conséquent sur le sujet dans le numéro suivant:

« La Liberté est-elle française, belge ou croisée danoise ? La Liberté est-elle un fait ou une abstraction ?

La Liberté est-elle un produit de l'hallucination collective ? La Liberté vaut-elle de l'argent ?

L'argent, vaut-il la Liberté ?

Le prix de la Liberté est-il vraiment l'éternelle vigilance ? Existe-t-il, réellement, la Liberté au Brésil ?

La Statue de la Liberté est-elle un monument ou une blague de mauvais goût ? Mais, en fin de compte, qu'est-ce que la Liberté ?

Ne ratez pas les réponses à toutes ces émouvantes questions dans le prochain numéro de Pif-Paf dans l'article magistral253. »

Discrètement, entre diverses considérations philosophiques, Millôr Fernandes questionnait l'existence ou non de libertés individuelles et collectives au Brésil. Ce court texte servit de prélude à l’ouvrage Liberdade, Liberdade, une pièce de théâtre publiée par Flávio Rangel et Millôr Fernandes en 1965254 constituée de fragments de nombreux textes et chansons célèbres consacrés à la liberté. La première du spectacle alliant contestation politique, humour et musique eut lieu le 21 avril 1965 à Rio de Janeiro, coproduite par le groupe Opinião de Rio de Janeiro et le Teatro de Arena de São Paulo. Les acteurs qui interprétèrent la pièce étaient Paulo Autran, Nara Leão, Tereza Rachel et Oduvaldo Vianna Filho. La pièce eut un impact retentissant malgré les tentatives d’intimidations et de censure. En dépit de son interdiction sur l’ensemble du territoire en 1966, l’œuvre devint progressivement l’un des symboles de la culture contestataire sous le régime militaire, diffusant auprès d’un public bien plus large que le lectorat de Pif-Paf les velléités libertaires et contestataires de Millôr Fernandes.

Un an auparavant, certains indices graphiques disséminés dans Pif-Paf renseignaient