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Rire sous la dictature : contournement et affrontement des limitations imposées à la liberté d'expression

I. Les caractéristiques d'un combat politique collectif

1. Un front de résistance des dessinateurs d'humour et de satire politiques ?

L'historienne brésilienne Miriam Hermeto, qui consacra sa thèse doctorale à l'étude de l’œuvre Gota D’Água – texte rédigé par Chico Buarque et Paulo Pontes en 1975 et envisagé

comme un « événement dans le champ artistico-intellectuel brésilien324» – s'employa en 2013 à définir l'identité politique et les objectifs du groupe « Casa Grande » dans l'ouvrage collectif Comunistas brasileiros. Cultura política e produção cultural325. Elle y formulait certaines hypothèses expliquant la naissance d'un tel ensemble fondée sur la convergence d'intérêts politiques et de projets artistiques très divers au début de la période d'ouverture politique amorcée par le gouvernement Geisel. Certains problèmes soulevés par Hermeto nous semblent fondamentaux, comme lorsqu'elle s'interrogea sur l'identité des membres du groupe, sur les lieux de friction et surtout de rencontre entre leurs diverses tendances idéologiques et projets de création ou sur le chemin emprunté par le collectif afin de transformer une activité culturelle en action militante. Elle évoqua une structuration autour d'un noyau de membres permanents engagés dans l'organisation de débats récurrents, mais également construite avec la collaboration occasionnelle d'un ensemble d'intellectuels, artistes, producteurs. L’enjeu de cette analyse réside dans la définition des conditions de structuration et de maintien d'un groupe contestataire organisé autour de projets et de valeurs, qu'elle qualifie de « front politique et culturel de résistance » contre le régime militaire et dont l'hétérogénéité fut l'une des caractéristiques cardinales.

Cette notion pourrait-elle fournir l’une des clés de lecture essentielles à l'examen de l'ensemble hybride formé par les dessinateurs de presse et caricaturistes insérés dans l’opposition au régime militaire brésilien sous les années de plomb ? Serait-elle transposable à cet autre groupe formé d'individus aux origines sociales et parcours divers, mus par des convictions et parfois des affiliations idéologiques disparates, mais orientés par des objectifs communs ? Malgré les deux principales dissemblances – dans le cas qui nous occupe, la période est antérieure à l'ouverture politique et les individus ne sont pas nécessairement reliés par leur sympathie envers le PCB – les deux réseaux d'artistes et d'intellectuels rassemblés par des pratiques, des valeurs et des comportements sont-ils comparables ? Toute ressemblance ne semble en effet pas être fortuite, principalement lorsque Hermeto insiste sur la fonction du « front politique et culturel de résistance » d’accommodation des différences et d'adaptation de points de vue afin de créer une identité et un combat communs. La perspective d'identification

324 Miriam HERMETO, « 'Olha a Gota que falta'. Gota d'Água, um evento no campo artístico-intelectual brasileiro (1975-1980) », Thèse de doctorat en Histoire, sous la direction de Rodrigo Patto Sá Motta, Belo Horizonte, Université Fédérale du Minas Gerais, 2010.

325 Miriam HERMETO, « Grupo Casa Grande (1974-1979). Uma frente político-cultural de resistência » in Marcos NAPOLITANO, Rodrigo CZAJKA, Rodrigo Patto Sá MOTTA (dir.), Comunistas brasileiros. Cultura política e produção cultural, Belo Horizonte, Editora da UFMG, 2013, p. 293-315.

des tensions au sein d'un même groupe, minorées au plus fort de la répression, mais ayant acquis une ampleur croissante au fur et à mesure de l'ouverture politique, éclaire dès lors l'histoire des mouvements de gauche et de l'opposition démocratique au régime militaire à laquelle les dessinateurs et journalistes participèrent. Outre l'identité constituée par l'appartenance à un parti ou un mouvement idéologique institutionnalisé, exista-t-il d'autres formes de liens unissant des individus engagés dans l'opposition, par exemple rassemblés autour de leur conception de la profession ? Pourrait-on envisager l'existence d'une communauté dépassant le cadre restreint des rédactions ? Sur la base de quelles pratiques et techniques propres aux dessinateurs et caricaturistes s’établit ce « front de résistance » ?

L'historiographie de la résistance dépasse largement le cadre conceptuel de notre analyse, qui ne prétend pas son renouvellement. Cela dit, la discussion épistémologique tendant à en définir les contours nous concerne et nous interroge : peut-on parler de résistance politique dans le cas de l'humour graphique et des images satiriques publiés dans la presse indépendante ? La notion subtile et versatile, fonction du contexte historique, géographique et politique, dépend également des systèmes de représentation culturelle en vigueur. Plus encore lorsque que le travail de recherche historique s'alimente en partie de sources orales concédées par d'anciens acteurs des phénomènes analysés :

« Affirmer les droits de l’histoire, c’est-à-dire d’une démarche scientifique distanciée et argumentée en vue d’une construction raisonnée, n’aboutit nullement à récuser l’expérience vécue, mais à la situer à sa place – qui est grande, mais qui ne doit en aucun cas occuper le fauteuil d’honneur, tandis que l’historien se verrait réduit au strapontin326. »

Au cours des entretiens réalisés, les dessinateurs et journalistes que nous avons rencontrés revendiquèrent l’appartenance aux mouvements de résistance au régime militaire. Ces témoignages entrèrent en résonance avec le terme de presse « alternative » largement employé pour désigner les périodiques indépendants et qui évoque l'affrontement avec un premier modèle, refusé et décrié. Bernardo Kucinski, on l’a vu, attribua à cette posture d'opposition une double nature, organisée contre les canons de la production journalistique et contre le gouvernement. Le refus assumé de la collaboration avec le régime, militaire, ou dans

326 François BÉDARIDA, « Sur le concept de Résistance » in Jean-Marie GUILLON, Pierre LABORIE, Mémoire et Histoire : la Résistance, Toulouse, Éditions Privat, 1995, p. 50.

une moindre mesure de tolérance et d’accommodation, tend à coïncider avec le premier élément décrit par François Bédarida dans sa tentative d'application du modèle wébérien d' « idéal-type » à l'analyse de la Résistance française sous l'occupation allemande. Sans nier les limites d'une telle construction conceptuelle, le parallèle est intéressant : « Au point de départ, on trouve un geste de base : dire non. Un non symbolique à la soumission et à l'asservissement. Un non qui témoigne d'une volonté de principe. Là est l'essence de la résistance327 ». Ou du moins celle de la construction a posteriori de souvenirs individuels et de la mémoire collective des mouvements d'opposition. L’historienne brésilienne Denise Rollemberg se pencha justement sur le rôle de la mémoire dans l’élaboration de rituels et de mythes de la résistance dans son ouvrage Resistência: memória da ocupação nazista na França e na Itália328. Le début de sa réflexion cherchait à définir le concept de résistance depuis une perspective critique, refusant l’essentialisation et la sacralisation. Il s’agissait plutôt d’en percevoir les complexités et ambiguïtés, ainsi que la nature profondément relative du degré, de la nature et de l’intensité de l’autoritarisme, du totalitarisme ou de la répression. Rollemberg insistait également sur la grande diversité des formes de la résistance, dont la narration et la reconstruction a posteriori contribuèrent aux récits nationaux français et italien. Marcos Napolitano s’interrogea quant à lui à propos du rôle de la culture dans l’opposition à la dictature militaire et de la possible définition d’une résistance culturelle brésilienne dans Coração civil: a vida cultural brasileira sob o regime militar (1964-1985) – ensaio histórico329. L’historien cherchait à définir les mécanismes communs d’acteurs et de pratiques culturelles divers mus par des sympathies idéologiques souvent divergentes et entretenant avec les autorités des rapports parfois ambivalents, entre répression et soutien de certains secteurs à partir de 1975.

L'historien britannique Harry Roderick Kedward, célèbre auteur de Resistance in Vichy France330 en 1978, proposa dans l'ouvrage dirigé par Jean-Marie Guillon et Pierre Laborie Mémoire et Histoire : la Résistance, un modèle d'analyse fondé sur l'étude comparée de sociétés aux antipodes de la culture européenne occidentale. A partir des recherches de Ranajit

327 François BÉDARIDA, op. cit., p. 47.

328 Denise ROLLEMBERG, Resistência: memória da ocupação nazista na França e na Itália. Uma perspectiva comparativa acerca do uso da memória, São Paulo, Alameda, 2016.

329 Marcos NAPOLITANO, Coração civil: a vida cultural brasileira sob o regime militar (1964-1985) – ensaio histórico, São Paulo, Intermeios, 2017.

Guha331 ou de James Scott332, Kedward identifia quatre conditions indispensables à la qualification d'un phénomène de résistance. La première était l'existence avérée d'une « conscience de résistance, […] à la fois une conséquence et une condition préalable des actes de résistance333 ». Le chercheur cherchait à mesurer la conscience de l’action de la part des propres militants et ses manifestations concrètes. A cet égard, le dessinateur Nani, collaborateur de Pasquim à partir de 1972, nous apportait en 2013 un témoignage éclairant en insistant sur la revendication consciente de l’opposition, seule option possible pour l'humour graphique :

« Il n'existe pas d'humour « en faveur de ». L'humour doit toujours être « contre ». Freud lui-même disait quelque chose du genre « l'humour ne se résigne pas, il affronte ». Il défie. L'humour graphique doit toujours défier, il ne se résigne pas. […] Le dessinateur naît avec un peu de cette verve et cet esprit de dénonciation et d'opposition. C'est dur de trouver un dessinateur de droite. Ça existe, mais c'est rare. Par exemple, durant la dictature, on a beaucoup lutté pour les partis en faisant des dessins. C'était une plate-forme contre la dictature, pour les mouvements ouvriers. Quand le PT est arrivé au pouvoir, dès le premier jour on faisait déjà des dessins contre Lula. Être un dessinateur partisan, c'est à moitié abject. Un dessin « en faveur de » perd son caractère résistant, devient un dépliant institutionnel334. »

Cette nécessaire et fondamentale distinction entre propagande et combat politiques, dans le cas précis du périodique Pasquim, émanait de dessinateurs et journalistes qui avaient accumulé des expériences antérieures formatrices, parfois des échecs, et pour qui la création d'une nouvelle publication vouée à l'humour graphique politisé devenait indispensable. La mise en pratique de ce discours par les dessinateurs de presse se manifesta notamment contre le gouvernement de Goulart au cours de la phase antérieure au coup d’État puis d’autre part,

331 Figure tutélaire des Subaltern Studies, l'historien bengali Ranajit Guha formula au début des années 1980 une critique majeure de l'historiographie dominante au sein des études de l'Inde coloniale. Refusant la prépondérance des historiographies dites « colonialiste » et « bourgeoise-nationaliste », Guha souhaitait mettre en avant les classes populaires, protagonistes de leur histoire. Il fut notamment l'auteur de l'ouvrage phrase Elementary Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India, publié en 1983.

332 L'anthropologue et politiste nord-américain James Scott, professeur de Sciences politiques à l'Université de Yale et directeur du programme Agrarian Studies à partir de 1991, est un spécialiste de l'étude des sociétés paysannes du sud-est asiatique et de leurs formes de résistance à la domination.

333 Harry Roderick KEDWARD, « La résistance, l'histoire et l'anthropologie : quelques domaines de la théorie » in Jean-Marie GUILLON, Pierre LABORIE, Mémoire et Histoire : la Résistance, Toulouse, Éditions Privat, 1995, p. 113.

comme le disait lui-même Nani, contre la figure emblématique du Parti des travailleurs, Luiz Inácio Lula da Silva. Conscients, donc, de leur rôle dans l’opposition, les dessinateurs formulèrent un type singulier de critique du pouvoir militaire s’ajoutant aux manifestations répandues au sein d’autres secteurs de la résistance culturelle, telles que la dénonciation de la censure et de la répression instaurées par l’État. Nous le verrons dans le chapitre suivant, les charges graphiques, les caricatures et les bandes dessinées répercutèrent ainsi – et construisirent dans une certaine mesure – un ensemble de représentations critiques partagées par différents groupes de l’opposition démocratique.

Les « noyaux durs » à l'origine des rédactions indépendantes partageaient des convictions, des projets et un « héritage de valeurs335 », la deuxième condition définie par Kedward. Nous nous garderons bien de minimiser les divergences politiques, l'importance des caractères et des styles personnels, les conflits internes souvent liés à la gestion et l'administration des périodiques. Mais l'existence d'un ensemble de représentations et de références partagées fut l’une des caractéristiques majeures des journaux indépendants. Kucinski insistait sur ce point dans Jornalistas e Revolucionários :

« Ils partageaient en grande partie un même imaginaire social, autrement dit un même ensemble de croyances, de significations et de désirs, certains conscients et même exprimés sous la forme d'une idéologie, d'autres cachés, sous la forme de l'inconscient collectif. Au fur et à mesure que l'imaginaire social se modifiait, et avec lui le type d'articulation entre journalistes, intellectuels et activistes politiques, de nouvelles modalités de journaux alternatifs s'instituaient336. »

L’auteur mentionnait également un héritage historique commun à la presse indépendante pouvant être considérée « dans son ensemble, comme successeur de la presse pamphlétaire des pasquins et de la presse anarchiste, dans la fonction sociale de création d'un espace public en reflet, contre-hégémonique337. » Ricky Goodwin, ancien rédacteur de la rubrique des entretiens de Pasquim, nous confirmait en 2011 cette filiation naturelle du

335 Harry Roderick KEDWARD, op. cit., p. 114.

336 Bernardo KUCINSKI, Jornalistas e Revolucionários : nos tempos da imprensa alternativa, São Paulo, Scritta Editorial, 1991, p. 7.

périodique dans le lignage d’une tradition graphique à la brésilienne338 impliquant la continuité de certaines représentations :

« Donc il y a ces deux caractéristiques très fortes dans la presse de l'époque : l'aspect de l'humour et l'aspect du dessin. Le Brésil a toujours eu de bons caricaturistes, de bons dessinateurs de presse, Agostini fut le premier – Isabel [Lustosa] adore Agostini. Donc Pasquim n'est pas une chose isolée. Il arrive avec d'autres choses dans ses valises, il y a toujours eu d'autres temps, d'autre époques, d'autres types de publications. […]

Pasquim, d'une certaine manière, se présentait en héritier. Cette tradition fut très forte dans le Brésil des années 1960, le pays vivait une époque de grande effervescence339. »

Les valeurs héritées et partagées par les dessinateurs de la presse indépendante furent, d'après ces derniers, autant d'éléments constitutifs de l’identité et facteurs de cohésion au sein des rédactions. C'est en ce sens que l'artiste Rubem Grilo, interrogé en 2013 au sujet des gravures sur bois satiriques publiées dans la presse indépendante et notamment dans les pages de Opinião, identifiait un point de convergence des membres de la rédaction : « J'y ai travaillé à partir de la fin de l'année 1972, début 1973, je collaborais avec l'hebdomadaire Opinião. Qui était un front démocratique, qui réunissait des personnes de nombreuses tendances politiques, mais qui avaient un point commun commun : lutter pour les libertés civiles340. »

La nécessité de « transmission341 », troisième condition identifiée par Kedward apporta un nouvel éclairage sur les ambitions professionnelles et la conception du métier de dessinateur de presse ou de journaliste. Griló insistait sur ce point, décrivant l'une des motivations qui le poussèrent à se diriger vers la presse indépendante et à exploiter toutes les spécificités de la technique employée, la xylogravure, très ancrée dans la culture populaire brésilienne :

« […] là je suis parti dans la presse pour m'éloigner un peu de cette crise naissante au sein du marché de l'art. Et pour occuper cet espace de liaison, dans ce cas il

338 Nous dressons les contours et analysons les permanences de cette tradition graphique brésilienne dans le premier chapitre de cette thèse.

339 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro. 340 Rubem GRILO, entretien réalisé le 17/10/2013, Cantagalo, Rio de Janeiro. 341 Harry Roderick KEDWARD, op. cit., p. 114.

s'agissait d'hebdomadaires, Opinião et les autres, qui me permettait de donner du sens à ce que je faisais puisque dans la mesure où le travail était publié, il entrait en contact avec les personnes, avec l'idée qu'il avait une raison d'être, parce qu'il servait à défendre de bonnes idées, de bonnes causes. […] Même si elle n'arrivait pas à transmettre un contenu critique, l'image avec sa force serait déjà suffisamment critique. Quand on se trouve dans un moment où le pays est réduit au silence, cela peut être une image de fou qui hurle, l'impression est qu'il commet quelque chose d'interdit. J'avais un peu cette sensation que si j'intensifiais la communication de l'image, la communication elle-même était critique, même si je faisais quelque chose qui restait supposément en marge de la critique342. »

L'autre versant de la transmission identifiée par Kedward fut largement développé par Ricky Goodwin au sujet de l'hebdomadaire Pasquim auquel il conférait une visée pédagogique de formation de jeunes dessinateurs, une nouvelle génération de caricaturistes ayant fait leurs armes dans les pages du périodique aux côtés d'artistes déjà renommés :

« Une génération entière de dessinateurs est apparue avec Pasquim, parce que la rédaction avait cette préoccupation de publier, de former, ça a toujours été un journal avec de la place pour les jeunes, ils ont toujours pris de jeunes dessinateurs, il y avait un espace pour les nouvelles contributions, il y a réellement eu un aspect éducatif très fort343. »

La duplicité de la courroie de transmission, à la fois orientée vers la circulation de messages à destination du public lecteur et vers le passage de témoin professionnel en vue de la formation de jeunes dessinateurs, était fondée sur le fort pouvoir de communication des images. L'humour graphique produit en vue de contribuer au combat mené par la rédaction fut décliné en diverses formes spécifiques au fort potentiel discursif344. Nous le verrons, les styles graphiques et esthétiques caractéristiques varièrent en fonction, mais également au sein des groupes, des rédactions et des générations. A titre d’exemple, au sein de Pasquim se côtoyèrent Henfil, Jaguar et Millôr Fernandes, aux traits synthétiques et à l’économie communicative

342 Rubem GRILO, entretien réalisé le 17/10/2013, Cantagalo, Rio de Janeiro. 343 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.

344 Voir : Paulo PETRINI, Gêneros discursivos iconográficos de humor no jornal O Pasquim : uma janela para a liberdade de expressão, Mémoire de master en Communication, sous la direction de Rozinaldo Antonio Miani, Londrina, Université d'état de Londrina, 2012, p. 44.

exemplaire, et Ziraldo, davantage ancré dans la tradition graphique de la charge détaillée et de la bande dessinée. Originaires de São Paulo, les frères Chico et Paulo Caruso s’illustrèrent au cours des années 1970 et 1980 grâce à leur technique graphique développée permettant de véritables mises en scène visuelles alliant récits étoffés et fin esprit de synthèse humoristique ou satirique.

L'une des techniques largement employées par l’humour graphique et l’image satirique correspond à la quatrième et dernière condition définie par Kedward dans son modèle d'analyse de la résistance, l' « inversion345 ». En décrivant la nécessité d'inversion et de renversement du pouvoir, des valeurs morales et esthétiques, l'historien insistait sur l'intérêt majeur de ce processus à long terme :

« Ce n'est pas forcément dans l'immédiat que cette sorte de transgression renversera les structures du pouvoir ; mais elle 'brise le contrôle hégémonique qui rend les gens esclaves au niveau des idées', ce qui était précisément l'objectif de la presse clandestine (et donc illégale) des deux premières années de l'occupation. […] La lutte pour la Résistance en 1940-1942 fut, elle aussi, un combat de position, et notamment un combat pour les 'mots qui font vivre'. Vichy s'était approprié les mots - 'des mots innocents (Eluard)' – qu'il fallait récupérer par une série d'actes symboliques d'inversion. Le processus de recherche des actes de résistance quotidiens et journaliers met nettement en relief les ressources culturelles qui furent déployées en 1940-1942 pour permettre cette récupération346. »

À travers cette définition des piliers d'une forme culturelle de résistance à l'autoritarisme, Kedward confère à la récupération des symboles un statut crucial au sein des mouvements qu'il analyse. Le parallèle nous apparaît flagrant avec les propos de Pierre Rimbert publiés dans l'article « Éloge du rire sardonique. De l'exutoire à la résistance347 » déjà évoqué précédemment. Dans le cas de Pasquim, ou « pasquin », le nom du périodique constituait un premier élément de ce rapport de renversement : la rédaction opéra une