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L'image satirique, l'humour graphique et la presse : un état des lieux brésilien

III. La presse indépendante opposée au régime militaire

a) Restrictions successives et censure imposées à la liberté d'expression

La publication d'une caricature, la récurrence d'un strip139 ou le détournement humoristique d'une photographie par un périodique indépendant sous le régime militaire résultaient de la créativité des dessinateurs et du projet politique porté par les rédactions

136 Rodrigo Patto Sá MOTTA, Jango e o golpe de 1964 na caricatura, Rio de Janeiro, Zahar, 2006, p. 46.

137 Rodrigo Patto Sá MOTTA, « A ditadura nas representações verbais e visuais da grande imprensa : 1964-1969 » in Topoi, vol. 14, n°26, janv.-juil. 2013, p. 67.

138 Rodrigo Patto Sá MOTTA, op. cit., p. 62-85.

139 Le nom masculin « strip » intégré au dictionnaire de langue française vient de l'anglo-saxon et désigne une bande dessinée courte, composée de quelques cases disposées à l'horizontale et publiée dans un périodique. Au Brésil, le terme employé est tira (ou tirinha).

souhaitant repousser les limites imposées à la liberté d'expression. Ils profitèrent des possibilités offertes par divers procédés graphiques tels que l'inversion, la satire ou la métaphore afin de questionner certains interdits et de s'attaquer aux symboles – et donc aux détenteurs – du pouvoir. Les images analysées dans cette thèse témoignent ainsi de l’étroit rapport entre d'une part l’amplitude de la répression et d'autre part la pratique de l'humour politique par les dessinateurs de presse.

« Le régime militaire n'a pas non plus inventé la censure, mais il l'a amplifiée140 », nous rappelle Napolitano dans son ouvrage 1964. História do Regime Militar Brasileiro. Le Département de presse et de propagande (DIP) créé le 27 décembre 1939 au Brésil par le gouvernement de Getúlio Vargas fut en effet remplacé en 1946 par la Division de la censure des divertissements publics (DCDP) dépendante de la police fédérale, siégeant à Rio de Janeiro et disposant de succursales dans les différents États. Jusqu'en 1964, cette forme de décentralisation de la pratique censoriale préserva de fait une toute relative liberté d'expression. Le premier Acte institutionnel (AI) promulgué par le régime militaire le 9 avril 1964 inaugura un ensemble de décrets et de mesures d'exception voués à dicter les grandes lignes de la politique des gouvernements successifs, établissant les bases d'un strict contrôle psychologique et social. La Loi de presse n°5.250 datée du 9 février 1967 imposa à l'activité journalistique une série de limitations significatives notamment fondées sur les dispositions du chapitre III, « Des abus dans l'exercice de la liberté de manifestation de la pensée et d'information » :

« Art.12 : Ceux qui, par le biais des moyens d'information et de divulgation, commettraient des abus dans l'exercice de la liberté de manifestation de la pensée et de l'information, s'exposeront aux peines définies par la présente loi et répondront des préjudices commis. Paragraphe unique : Les moyens d'information et de divulgation concernés par les effets de cet article sont les journaux et autres publications périodiques, les services de radiodiffusion et les services de nouvelles141. »

140Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 129.

Le texte signé par le général Humberto de Alencar Castelo Branco, premier président du régime militaire de 1964 à 1967, détailla les peines encourues en fonction des « abus » commis dont voici quelques exemples parmi les plus significatifs :

« Art.14 : Faire de la propagande de guerre, de procédés de subversion de l'ordre politique et social ou de préjugés de race ou de classe : peine – de un à quatre ans de détention. […]

Art.16 : Publier ou divulguer de fausses nouvelles, ou des faits avérés tronqués ou pervertis susceptibles de provoquer :

I – une perturbation de l'ordre public ou une alarme sociale ;

II – une méfiance à l'égard du système bancaire ou des secousses du crédit d'institutions financières ou de n'importe quelle entreprise, personne physique ou juridique ;

III – un préjudice porté au crédit de l'Union, de l’État, du District fédéral ou de la municipalité ;

IV – une perturbation sensible dans la cotation des marchandises et des titres immobiliers dans le marché financier : peine – de un à six mois de détention, s'il s'agit de l'auteur d'un écrit ou d'une transmission incriminée, et une amende d'une valeur de cinq à dix fois le salaire minimal en vigueur dans la région. […]

Art. 17 : Offenser la morale publique et les bonnes mœurs : peine – détention, de trois mois à un an, et une amende d'une valeur de une à vingt fois le salaire minimal en vigueur dans la région. […]

Art. 20 : Calomnier quelqu'un, en lui imputant faussement un acte défini comme un crime : peine – détention de six mois à trois ans, et une amende d'une valeur de une à vingt fois le salaire minimal en vigueur dans la région. […]142 »

La loi de 1967 prévoyait même un alourdissement des peines encourues en cas de diffamation ou de calomnie des plus hauts représentants de l’État : le président de la République, les présidents de la Chambre des députés et du Sénat ou les dirigeants de gouvernements étrangers. Ce nouveau cadre législatif expliqua en partie, nous le verrons, la relative rareté des caricatures visant directement les personnalités politiques à partir de la fin des années 1960. L'un des derniers articles prévoyait la saisie des périodiques imprimés contenant « de la propagande de guerre ou des préjugés de race ou de classe, et qui feraient la

promotion de l'incitation à la subversion de l'ordre politique et social » et des titres qui « porteraient atteinte à la morale publique et aux bonnes mœurs143 ». L'imprécision de la définition des mœurs jugées adéquates permit l'interdiction de très nombreux dessins satiriques brésiliens.

Jusqu'alors prérogative des différents États, la censure fut centralisée en décembre 1968 par le gouvernement fédéral qui publia l'Acte institutionnel n°5 (AI-5) et fut largement épaulé par le Département d'ordre politique et social144 (DOPS). Signé le 13 décembre 1968, l'AI-5 est considéré à de nombreux égards comme une étape fondamentale de l'institutionnalisation de la « grande machine répressive qui retomba sur la société, fondée sur le trépied : surveillance – censure - répression145 ». Il permit la fermeture du Congrès National, des assemblées législatives et des conseils municipaux ; il autorisa également la suppression des droits civiques de tous les citoyens ainsi que la cassation de n'importe quel mandat électif. En suspendant les protections garanties par l'habeas corpus, il permit finalement les emprisonnements sans jugement en cas de « crimes politiques, contre la sécurité nationale, l'ordre économique et social, et l'économie populaire146 ». Dans son ouvrage consacré aux rapports des divers courants artistiques brésiliens nés entre les décennies 1950 et 1970 avec l'engagement militant, politique et révolutionnaire, Marcelo Ridenti évoqua un « perfectionnement » de l'appareil répressif dans la phase immédiatement postérieure à la promulgation de l'AI-5 :

« […] en plus des Départements étatiques d'ordre politique et social (Deops) déjà existants, [la dictature] créa en juin 1969, de manière extra-officielle, l'Opération Bandeirante (Oban), un organisme spécialisé dans le 'combat contre la subversion' par tous les moyens y compris la torture systématique. En septembre 1970, la Oban a été intégrée à l'organisme officiel,

143 Loi de presse, loi n°5.250, 09/02/1967, Brasília, Chambre des députés – Coordination de publications, 2000. 144 Les origines du Département d'ordre politique et social (DOPS) remontent à la décennie de 1920 : la

première section régionale créée en 1924 à São Paulo (DOPS-SP) occupait le rôle d'une police politique, chargée de la surveillance, du contrôle et de la répression des organisations ouvrières, des groupes anarchistes et des communistes. D'autres sections régionales furent créées dans les années 1930 afin de constituer un système répressif et de contrôle social sur l'ensemble du pays. Sous les gouvernements de Getúlio Vargas de 1930 à 1945, les sections régionales du DOPS remplirent des fonctions de surveillance des manifestations politiques et de contrôle de la société civile. À partir du coup d'État de 1964, elles occupèrent une place majeure dans l'organisation de la persécution des opposants au régime, de la répression et de la torture. Les archives publiques des différents États brésiliens permettent aujourd'hui la consultation de l'importante documentation produite à l'issue de plus de quarante années de fonctionnement de cet organe majeur de la surveillance et de la répression politiques au Brésil.

145 Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 128.

146 Acte institutionnel n°5, 13/12/1968, Brasília, Présidence de la République, Secrétariat général, sous-direction aux thèmes juridiques.

récemment créé par l'Armée de terre, connu comme le DOI-Codi (Département d'opérations d'information / Centre d'opérations de défense interne). La Marine avait son propre organe d' « intelligence » et de répression politique, le Centre d'information de la Marine (Cenimar), qui correspondait au Centre d'information et de sécurité de l'Aéronautique (Cisa), ainsi qu'au Centre d'information de l'Armée de terre (CIE)147. »

De nombreuses rédactions furent envahies manu militari le jour suivant la promulgation de l'AI-5. Les journalistes optèrent pour la presse clandestine ou indépendante, contraints d'assumer les risques d'un tel choix, ou restèrent en acceptant les conditions de travail imposées. Certains furent renvoyés par les directions ou les propriétaires des périodiques, d'autres placés sous surveillance, arrêtés, torturés. Dans « Calar é consentir ! Jornalistas Colaboradores e Censores no Pós-1964148 », Beatriz Kushnir cite l'exemple de Jorge Miranda Jordão, renvoyé de la Folha da Tarde au début de l'année 1969 au motif officiel de chute des ventes du périodique. La ligne du journal changea radicalement, à l’image de celle de nombreux périodiques soumis aux exigences gouvernementales. L'historienne analyse les relations entre une partie de la presse et le pouvoir autoritaire, entre censeurs et journalistes, ainsi que l'aide apportée par ces derniers à l’État autoritaire pour exercer son pouvoir dans un contexte de concentration des grands groupes de presse. Elle se penche également sur l'arrivée de policiers au sein des rédactions dès 1969 et sur les choix partiaux effectués par les directions dans le but de valoriser certains discours, certains récits des événements. Il est important de garder à l'esprit la participation de nombreux titres de la presse brésilienne majoritaire à la construction de l'imaginaire autoritaire et leur contribution à « la mise en place du notable soutien civil attribué au coup d’État de 1964149 ». À l'instar de Sérgio Caparelli150, il nous paraît également nécessaire d'envisager la réintroduction et le renforcement des techniques de contrôle à la lumière de la croissance d'un véritable marché de biens culturels, à une période d'augmentation du public lecteur de la presse écrite. Depuis l'arrivée au pouvoir de Castelo Branco en 1964 jusqu'à la présidence de João Baptista de Oliveira Figueiredo de

147 Marcelo RIDENTI, Em busca do povo brasileiro. Artistas da Revolução do CPC à era da TV (2nde édition), São Paulo, Editora UNESP, 2014, p. 26.

148 Beatriz KUSHNIR, « Calar é consentir ! Jornalistas Colaboradores e Censores no Pós-1964 », Revista Contemporânea, n°1, 2011, p. 170-182.

149 Rodrigo Patto Sá MOTTA, op. cit., p. 63.

150 Sergio CAPARELLI, Ditaduras e Industrias Culturais no Brasil, na Argentina, no Chile e no Uruguai, Porto Alegre, Editora da Universidade/UFRGS, 1989.

1979 à 1985, de très nombreuses publications considérées comme des entraves au projet de sécurité nationale porté par le régime furent surveillées, contrôlées, censurées ou fermées.

Dans son article programmatique paru dans la revue Sociétés & Représentations en 2006, l’historien Laurent Martin invitait à « Penser les censures dans l’histoire151 » en insistant sur la complexité d’un tel champ d’étude. Parmi les aspects soulignés, la typologie de la censure proposée nous semble particulièrement pertinente dans le cadre de notre étude : les censures préventive et répressive étaient justifiées par des préoccupations d'ordre politique, religieux, économique et social. À ces deux formes de contrôle s'ajoutaient les pressions économiques, mais également l'autocensure, l'ensemble de ces « mécanismes intérieurs, psychiques, qui président à l'élaboration ici d'une œuvre littéraire, là de toute manifestation de la pensée152 », qu'il ne nous fut possible d'appréhender que grâce à une fine étude des trajectoires personnelles des auteurs et dessinateurs couplée à celle du contexte politique et social de l'époque. En effet, « la censure personnelle de pensées ou d'actes jugés répréhensibles est directement liée à la surveillance qu'exercent les diverses instances de la société sur chacun des individus153 ». Martin incitait finalement les chercheurs à s'interroger sur l'évolution des sociétés dessinée par l'étude de la censure, sur le laboratoire que cette dernière propose au sujet des représentations mentales et sociales en vigueur dans un contexte donné :

« Penser les censures dans l'histoire, c'est […] s'interroger sur les refus, les tabous, les interdits, les peurs d'une société, sur les représentations et les imaginaires sociaux liés au partage entre le licite et l'illicite, le visible et l'invisible, le dicible et l'indicible, etc., en somme proposer des éléments d'histoire sur les usages de la morale tels qu'ils apparaissent dans les textes législatifs et juridiques, les interventions des leaders d'opinion, les débats, les manifestations qui marquent l'adhésion à, ou le refus des mesures apparentées à la censure154. »

Nous proposons d'apporter notre modeste pierre à cet ambitieux édifice en analysant quelques uns des acteurs de la presse indépendante, foyers privilégiés de la critique des politiques mises en œuvre par le régime et de la lutte contre la censure gouvernementale.

151 Laurent MARTIN, « Penser les censures dans l'histoire » dans Sociétés & Représentations, n°21, 2006/1, p. 331-345.

152 Laurent MARTIN, op. cit., p. 340. 153 Laurent MARTIN, op. cit., p. 341. 154 Laurent MARTIN, op. cit., p. 341-342.

b) Les listes du Service national d'informations : presse indépendante, presse alternative, presse subversive ?

Le Service national d'informations (SNI), organe instauré par la loi n°4.341 du 13 juin 1964 et chargé de « superviser et coordonner, sur l'ensemble du territoire national, les activités d'information et de contre-information, tout particulièrement celles liées à la Sécurité nationale »155, établit en 1980 deux listes attestant les préoccupations du gouvernement concernant les titres de la presse indépendante156. Les deux inventaires dactylographiés différencièrent 22 « journaux alternatifs » d'une part, complétés par sept titres inscrits à la main ; et 22 « journaux alternatifs d'organisations subversives » d'autre part, dont la liste fut également renforcée par trois titres manuscrits157. Ayant obéi à des critères de sélection incertains, les listes lacunaires attestent cependant de l'attention toute particulière accordée à la presse indépendante par les services de renseignements. La typologie employée retient l'attention en ce qu'elle distingue les titres selon leur affiliation ou non à une organisation considérée comme « subversive ». Parmi les publications associées à de tels groupes figurent Voz da Unidade, Correio Sindical de Unidade, Voz Operária, Vanguarda et Novos Rumos, toutes les cinq liées au Parti communiste brésilien (PCB) caractérisé selon Ridenti par « un historique idéologique de jonction du marxisme-léninisme(-stalinisme) avec un tenentismo de gauche, d'inspiration positiviste158 ».

Le premier document citait également le Parti communiste du Brésil (PCdoB), dissidence du PCB à tendance maoïste rendue célèbre par sa lutte contre les forces armées de 1972 à 1974 au sein d'un mouvement de guérilla rurale situé entre les rives des fleuves Araguaia et Tocantins, dans le nord du pays. Il était associé à la Tribuna da Luta Operária lancée en novembre 1979 et au titre Classe Operária, né en 1925, publié dans la clandestinité

155 Loi n°4.341, 13/06/1964, Brasília, Présidence de la République, Secrétariat général, sous-direction aux thèmes juridiques. Le SNI était directement lié au Président de la République, la nomination de son directeur devait être approuvée par le Sénat fédéral brésilien. Créé en 1964, il s'inscrivit dans la continuité du Service fédéral d'informations et de contre-informations (SFICI) et fut caractérisé en 1967 par l'instauration d'une agence centrale et de douze agences régionales réparties sur le territoire.

156 Ces deux listes sont reproduites en annexes de cette thèse.

157 La graphie des noms de publications rajoutés aux deux listes du SNI est très proche de celle des indications complémentaires figurant en haut des documents, il s'agit donc très probablement d'informations produites par les fonctionnaires des archives consultées par le journaliste Aluízio Palmar, créateur du site internet

http://www.documentosrevelados.com.br (consulté le 26/04/2019) qui publia en ligne les deux inventaires. L'ancien militant et exilé politique parcourut de très nombreux centres d'archives brésiliens et réunit une importante documentation émise par les services de renseignements et d'informations durant le régime militaire, qu'il met à disposition des chercheurs et du grand public sur son site internet.

sous Getúlio Vargas puis de nouveau à partir du coup d’État de 1964. L'Organisation socialiste internationale (OSI), née en 1976 de la fusion de deux groupes dissidents du Parti ouvrier révolutionnaire trotskiste (PORT) – la Fraction bolchevique trotskiste et le groupe 1er Mai – fonda les publications O Trabalho et Luta de Classe dans la clandestinité : toutes deux figurent sur la liste des « journaux alternatifs d'organisations subversives » à l'instar du titre Frente Operária, publié par le PORT lui-même. Etaient également mentionnés, entre autres, le titre Convergência Socialista publié par le groupe trotskiste Convergence socialiste (CS), deux publications du Mouvement pour l'émancipation du prolétariat (MEP), Companheiro et A nova Luta, trois périodiques émanant du Mouvement révolutionnaire du 8 Octobre (MR-8) – dissidence du Parti Communiste Brésilien baptisée à la mémoire de la capture de Ernesto Che Guevara en Bolivie le 8 octobre 1967 – Hora do Povo, Brasil Hoje et Cadernos do Terceiro Mundo.

La majorité des 22 publications citées, motifs de l’inquiétude et objets de la surveillance du SNI, était donc issue d'organisations politiques interdites après le coup d’État de 1964, valorisant l'action de guérilla et convaincues du rôle prépondérant d'une avant-garde intellectualisée et armée dans la conduite du processus révolutionnaire. Certaines furent éditées et publiées dans la clandestinité, circulant au sein de réseaux informels, de main en main ou par courrier. La liste de ces périodiques « subversifs » fournie par le SNI est loin d'être exhaustive : parmi les absents, signalons par exemple Libertação, publié par le groupe Action populaire (AP) et O Guerrilheiro de l'Action libératrice nationale (ALN), le groupe dissident du PCB dirigé par Carlos Marighella.

A contrario, les listes recensèrent également certains titres qui n'étaient pas à proprement parler affiliés à une organisation politique clandestine : Coojornal, Movimento et Versus. Ce dernier était inscrit à la main, son insertion dans la liste n'ayant sans doute pas été le fruit du travail d'un fonctionnaire du SNI, mais celui d'un responsable des archives en charge du traitement du document. Lancé en octobre 1975 à São Paulo, à la périodicité oscillant entre mensuelle et bimestrielle, Versus était dirigé par le journaliste Marcos Faerman et animé par la volonté de penser le politique au-delà des sphères partisanes. Influencée par les convictions de ses membres, certes, mais pluraliste de 1975 à 1977, la rédaction changea de ton à la fin de l'année 1977 au moment de l'arrivée dans ses rangs d'un nombre important de militants du groupe Convergence socialiste159. D'après Maria Paula Nascimento Araújo :

« Versus est devenu un journal politique, pratiquement l'organe de divulgation des positions de la Convergence. Avant cette transformation plus radicale, survenue en 1977, des militants politiques et des journalistes de gauche étaient déjà présents dans le journal, beaucoup d'entre eux étaient influencés par le trotskisme. Il s'agissait, cependant, d'une influence théorique et pas d'un lien organique. Versus représentait, dans son projet initial, un point de vue de gauche qui critiquait le stalinisme et le modèle soviétique. Mais sa transformation en organe de la Convergence Socialiste l'inséra dans le cadre d'un discours plus doctrinaire et dogmatique160. »

Cette absence de « lien organique » avec une organisation politique signalée à propos des deux premières années de Versus est l’une des caractéristiques fondamentales, à nos yeux, de la presse indépendante. Le mensuel Coojornal parut entre octobre 1976 et mars 1983, à l'initiative de la Coopérative de journalistes de la ville de Porto Alegre, fondée en août 1975. Assimilé par le SNI à une « organisation subversive », il n'était pourtant directement lié à aucun groupe politique, mais plutôt animé par un collectif de professionnels soucieux d’élaborer un contenu critique et indépendant, au sein duquel les reportages d'investigation occupèrent une place prépondérante. Le titre fut pourtant associé dans la liste à l'ensemble des