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L'image satirique, l'humour graphique et la presse : un état des lieux brésilien

I. Construction de la nation et essor de la presse imprimée au XIX e siècle

a) De la Imprensa Regia aux caricatures politiques

Dans l'article « Le versant brésilien de l'Atlantique-Sud : 1550 - 185066 », l'historien Luiz Felipe de Alencastro insistait sur la dimension transnationale des bouleversements politiques survenus en Europe à l'aube du XIXe siècle qui « modifièrent la cartographie de l’Atlantique-Sud67 ». Les troupes napoléoniennes chassèrent en 1808 la Cour de Lisbonne, accusant la monarchie portugaise de ne pas respecter le blocus continental décidé par Napoléon contre l'Angleterre. La Couronne décida le transfert du siège de son Empire vers l'Amérique et la famille royale accompagnée d'environ quinze mille personnes embarqua pour la colonie, sous la protection de la marine anglaise. Après l'arrivée à Salvador et en route pour Rio de Janeiro, le prince régent D. João VI décréta l'ouverture des ports de la colonie et donc du commerce brésilien, aux pays tiers amis de la couronne, satisfaisant ainsi la demande de l'Angleterre. Rio de Janeiro demeura capitale de la monarchie de 1808 à 1821 et le Brésil devint Royaume-Uni du Portugal, Brésil et Algarve en 1815. Cette nouvelle nomination administrative allait dans le sens d'une installation pérenne de la cour à Rio. Le transfert de la couronne portugaise au Brésil entraîna un remaniement important des institutions existantes et la création de nouvelles entités liées à cette influence européenne également présente dans les domaines culturel, artistique et intellectuel. Le début du XIXe siècle fut notamment caractérisé par la création du jardin botanique le 13 juin 1808, le transfert des livres et documents royaux pour progressivement constituer les fonds de la bibliothèque nationale à partir de 1810, la venue de la Mission artistique française68 en mars 1816 ainsi que la naissance et le développement de la presse.

Considéré comme le premier journal brésilien en langue portugaise non censuré, le Correio Braziliense fut lancé clandestinement le 1er juin 1808 à Londres par Hipólito José da Costa Pereira et y circula jusqu'en 1822. Les presses royales, ou Impressão Régia, furent instaurées par décret à Rio de Janeiro le 13 mai 1808 et devinrent dès lors le lieu de production

66 Luiz Felipe de ALENCASTRO, « Le versant brésilien de l'Atlantique-Sud : 1550 - 1850 » in Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2006/2, p. 339-382.

67 Luiz Felipe de ALENCASTRO, op. cit., p. 363.

68 Voir à ce sujet le numéro 10 de la revue Brésil(s) qui consacra un dossier spécial à la mission artistique française : Brésil(s), n°10, « Les artistes de D. João : des Français à Rio de Janeiro en 1816 », 2016 [en ligne : https://journals.openedition.org/bresils/1970] (consulté le 20/06/2018).

des périodiques imprimés avec l'autorisation de la monarchie, placés sous la surveillance et la censure royales. Auparavant, une telle production de documents était interdite dans la colonie. Premier périodique imprimé sur le territoire brésilien par la presse royale, la Gazeta do Rio de Janeiro née le 10 septembre 1808 faisait l'éloge de la monarchie et de la colonie portugaises, contrairement au Correio Braziliense qui remplissait le rôle de publication d'opposition depuis l'Angleterre. Sérgio Hamilton da Silva Barra associe l'installation de la presse royale au développement progressif de la bureaucratie de l'Empire portugais au Brésil :

« […] nous pouvons envisager l'important rôle politique qui lui était réservé au sein de la structure administrative de l’État portugais. Le nouvel organe était en charge de l'impression de toute la législation et des papiers diplomatiques émanant de n'importe quel secteur du service royal. Et, comme il n'y avait pas d'autre typographie dans la colonie, au moins officiellement, il devait également imprimer toutes les autres œuvres, mais seulement après avoir accompli la tâche de publier les actes du gouvernement, nécessaire et essentielle au bon fonctionnement de la bureaucratie.

En juin 1808, une junte administrative composée de trois membres fut nommée pour la Presse royale et parmi ses attributions figuraient l'examen de tout ce qui était envoyé à la publication ainsi que l'interdiction d'impression des documents et livres dont le contenu contrariait le gouvernement, la religion et les bonnes mœurs69. »

Cette censure préalable à l’impression fut abolie en 1821 avant de resurgir à diverses périodes au cours des XIXe et XXe siècles. Les changements politiques majeurs du XIXe siècle brésilien furent étroitement corrélés à la création de périodiques dans le pays. En avril 1821, Don João rentra au Portugal et laissa à Rio de Janeiro son fils, le prince héritier Don Pedro qui avait refusé de céder à l'appel des Cours de Lisbonne exigeant son retour. Face à la perte progressive de son autorité et épaulé par son conseiller José Bonifacio de Andrade e Silva, Don Pedro orienta le pays vers l'Indépendance, proclamée le 7 septembre 1822 sur les rives de la rivière Ipiranga au sud de l'actuelle São Paulo. À partir de l'instauration de l'Empire, la multiplication des lieux d'impression entraîna la diversification des périodiques brésiliens. Le début des années 1820 fut marqué par l'irruption des journaux dans les débats et les processus

69 Sérgio Hamilton da Silva BARRA, « A Impressão Régia do Rio de Janeiro e a criação no novo Império Português na América » in Revista de História (São Paulo), n°173, déc. 2015, p. 262-263.

politiques contemporains de l'Indépendance du pays70. Quelques années plus tard, Manuel de Araujo Porto-Alegre publiait la première image satirique d'auteur connu au Brésil. L'intellectuel et artiste, passé par l'Académie impériale des Beaux-Arts de Rio de Janeiro, voyagea en 1831 à Paris et y fit notamment la connaissance d'Honoré Daumier. Marqué durablement par la presse satirique française, il publia à son retour au Brésil en 1837 une série de lithogravures satiriques dont la première, « A Campainha e o Cujo », critiquait les accointances entre le directeur du Correio Oficial Justiniano José da Rocha et le gouvernement.

FIG 1 : Manuel de Araujo Porto-Alegre, « A Campainha e o Cujo », lithogravure 31 x 41,5 cm sur papier 37 x 48 cm, 1837

Porto-Alegre fonda en 1844 la revue pionnière Lanterna Mágica et publia de nombreux dessins satiriques au cours des années 1850. Entre 1860 et 1930, près de deux cents périodiques circulèrent dans la ville de Rio de Janeiro malgré un marché encore insuffisant et l’inexistence d'un large public alphabétisé. Le dynamisme de la presse durant la seconde moitié du XIXe siècle était intrinsèquement lié aux demandes issues d'une élite brésilienne

70 Voir à ce sujet : Isabel LUSTOSA, Insultos Impressos. A guerra dos jornalistas na Independência (1821-1823), São Paulo, Companhia das Letras, 2000.

minoritaire et à l'absence d'autres canaux de diffusion de la culture lettrée. Dans ce contexte, les périodiques imprimés occupèrent un rôle de premier plan dans la vie politique nationale.

Dans l'article « A Républica nos traços do Humor : A Imprensa Ilustrada e os Primeiros anos da Campanha Republicana no Brasil71 », l'historien brésilien Aristeu Elisandro Machado Lopes analysa en ce sens les représentations véhiculées par la presse à Rio de Janeiro au cours des années 1870, au début de la campagne en faveur de la République. Instauré en 1889, le changement de système politique signifiant l'avènement d'un ordre libéral inédit ainsi que l'arrivée au pouvoir de nouvelles forces sociales et politiques fut précédé de débats acharnés. L'auteur se pencha sur les liens tissés entre différents périodiques, leurs caricaturistes et la construction d'imaginaires parfois contradictoires autour des mécanismes du système républicain. Il s'intéressa à la récurrence de l'allégorie républicaine et à l'omniprésence de la satire, notamment visuelle, au fil des pages du périodique Vida Fluminense hostile au nouveau régime :

« Dans la production, l'allégorie féminine de la République, séductrice et fascinante, débarque dans un port brésilien et provoque une grande fureur, les hommes tombent à ses pieds et ne parviennent pas à résister à ses charmes (et ses idées). Cependant, ce qui semble être traité avec sympathie par le journal démontre de nouveau sa répulsion vis-à-vis des idées et des nouvelles propositions que cette « dame » amène au Brésil, puisqu’elle est présentée au public lecteur comme une « cocotte »72. »

Deuxième périodique analysé dans l'article, le Mosquito, fondé en 1869 par le journaliste Cândido Aragones de Faria, manifestait graphiquement son mépris des liens entre l’État brésilien et l'institution catholique « avec des caricatures ridiculisant les évêques et l’Église, ainsi que des articles critiquant férocement les relations entre le gouvernement et la religion73 ». L'auteur évoque également la circulation fréquente des caricaturistes entre les périodiques et la pratique courante de l'absorption d'un titre par un autre, insistant finalement sur le rôle croissant des dessinateurs dans la naissance du débat favorable au système républicain : « les productions artistiques et la production textuelle de ces périodiques

71 Aristeu Alisandro Machado LOPES, « A Républica nos traços do Humor : A Imprensa Ilustrada e os Primeiros anos da Campanha Republicana no Brasil » in Revista Virtú, n°8, 2009/1 [en ligne :

http://www.ufjf.br/virtu/files/2009/11/2-Republica-e-Humor-UFRGS.pdf ] (consulté le 16/06/2018). 72 Aristeu Alisandro Machado LOPES, op. cit., p. 6-7.

constituent une source abondante pour l'analyse de la participation des caricaturistes à un moment important de la vie politique brésilienne, qui accompagnèrent le développement des idées républicaines depuis le début de leurs activités74. » Lopes s'attarda également sur la vision du scénario politique impérial véhiculée par l'humour graphique issu de périodiques du sud du Brésil dans l'article « O Império do Brasil nos traços do humor: política e imprensa ilustrada em Pelotas no século XIX75 ». L'article fait le constat de l'immense pourcentage de périodiques cariocas dans la production totale et propose une focale sur les caricaturistes pelotenses76. L'historien posait dans son analyse la question des spécificités régionales des images humoristiques imprimées dans la presse au sujet de Don Pedro II, empereur du Brésil de 1840 à 1889, de la princesse Isabel et d'autres personnalités politiques de premier plan issus de la sphère politique impériale.

Entre le milieu du XIXe et le début du XXe siècle, les périodiques illustrés constituèrent donc un moyen de diffusion de l'humour graphique brésilien émergent qui cherchait à s’affirmer au sein des débats agitant la société brésilienne. Les sous-titres des publications s'avèrent particulièrement révélateurs des intentions émanant des rédactions ainsi que d'un certain mélange des genres, une oscillation des ambitions. Apparu au Pernambouc dans les années 1840, A Carranca se présentait comme « politico-moral-satirique-comique ». Le titre Borboleta Poetica publié à Rio de Janeiro à partir de mars 1849 assumait lui un caractère « périodique et satirique ». Quelques décennies plus tard, l'Alvorada publiée entre 1912 et 1913 à Rio Pardo dans le Rio Grande do Sul se considérait comme un « organe littéraire, humoristique et de nouvelles » alors que l'Alvorada de Rio de Janeiro affichait entre 1910 et 1929 les qualificatifs de « bimensuel de nouvelles, littéraire et humoristique », multipliant les chroniques, nouvelles, photographies, gravures, charades et calembours. Le caractère satirique ne fut pas l'apanage des périodiques illustrés, mais bien une caractéristique intrinsèque de certains titres de presse gagnés à la critique politique, l'analyse des mœurs et des coutumes brésiliennes, ainsi qu'aux questionnements fondamentaux agitant le Brésil récemment indépendant au cours de la seconde moitié du XIXe, comme le rapport du pays à l'esclavage et à la question raciale.

74 Aristeu Alisandro Machado LOPES, op. cit., p. 15.

75 Aristeu Alisandro Machado LOPES, « O Império do Brasil nos traços do humor: política e imprensa ilustrada em Pelotas no século XIX » in Almanack Braziliense, São Paulo, n°10, 2009, p. 98-114.

b) Abolition de l'esclavage et représentation des Noirs dans la caricature : subversion du pouvoir ou consolidation des hiérarchies ?

Tous les secteurs de l'économie du Brésil moderne et leurs dynamiques étaient organiquement reliés à la traite des Noirs, « chaque nouvelle période productive brésilienne [entraînant] une accélération des importations d’Africains77 ». Dès les années 1820, la perspective d'un arrêt de la traite provoqua de nombreuses craintes chez les responsables politiques et économiques brésiliens soucieux de ce qu'ils considéraient comme une potentielle atteinte à la souveraineté du pays récemment indépendant. Extrêmement diffusée dans la société brésilienne de la moitié du XIXe siècle, la possession d'esclaves constituait l'un des facteurs de cohésion de l’État et du territoire78. Dans le même temps, la première moitié du siècle fut caractérisée par l’essor du mouvement abolitionniste accompagné de grands soulèvements d'esclaves au retentissement fort et à l'impact majeur dans les imaginaires sociaux, à l'instar de la révolte des Malés survenue en 1835 dans l’État de Bahia. La loi Eusébio de Queiroz du 4 septembre 1850, précédée par un premier texte de 1831 non appliqué, représenta une rupture majeure lorsqu'elle établit la répression du trafic d'esclaves.

La production caricaturale contemporaine de l'époque dessina largement les contours de ce bouleversement économique, politique, social et culturel. La seconde moitié du XIXe

siècle fut également marquée par la présence grandissante des dessinateurs et artistes dans les débats agitant la société brésilienne et leur rôle croissant dans l'émergence de certaines représentations politiques, notamment autour de l'esclavage. Devenus « formateurs de l'opinion publique dans un sens jusqu’alors peu observé dans le pays79 », ils contribuèrent à la large diffusion de ces représentations au sein de la population :

« La popularité de leurs dessins garantissait la pénétration de leurs idées dans la société et les représentations constitutives de leurs travaux firent rapidement partie de l’imaginaire de l’époque. Le fait qu’il se soit agi d’éléments essentiellement picturaux donnèrent aux charges une importance inégalée dans la société, puisque cela incluait dans le débat, dans une certaine mesure, les illettrés et les

77 Luiz Felipe de ALENCASTRO, op. cit., p. 364.

78 Voir : Luiz Felipe de ALENCASTRO, « La traite négrière et l'unité nationale brésilienne » in Revue française d'Histoire d'Outre-Mer, tome 66, n°244-245, 1979, p. 395-419.

79 Vinícius LIEBEL, « Ângelo Agostini e a Charge no Crepúsculo Imperial – Apontamentos Preliminares acerca da Questão Abolicionista » in Almanack, n°11, 12/2015, p. 798.

analphabètes, une part non négligeable de la société de l'époque. A ce sujet, Joaquim Nabuco déclara que la Revista Illustrada était la « bible de l'abolition de ceux qui ne savaient pas lire »80. »

En citant l'intellectuel et homme politique connu pour son ferme engagement abolitionniste, Vinícius Liebel mit à jour la corrélation entre la publication d'images satiriques dans la presse sous l'Empire, la diffusion des idées politiques et l'élargissement des débats au sein de la société brésilienne.

La Revista Illustrada fut fondée en 1876 à Rio de Janeiro par Ângelo Agostini, dessinateur né en 1843 en Italie, ayant grandi en France et parti pour le Brésil en 1859. Le début de sa carrière pauliste avait été marqué par le lancement de deux publications engagées, O Diabo Roxo et Cabrião. Éphémères et déjà très critiques envers le gouvernement, l’aristocratie et les institutions religieuses, elles eurent un impact considérable sur la vie politique de São Paulo et laissèrent présager du ton des parutions postérieures :

« La caractéristique corrosive de son pinceau ne disparut pas avec le temps et Agostini emporta avec lui dans ses travaux postérieurs le signe de la critique de l'esclavage et de la monarchie, en frappant également le clergé et la politique de l’Église dans le pays. Le fait de rester à São Paulo devint impossible après la fermeture de Cabrião et Agostini partit alors pour Rio de Janeiro81. »

Dessinateur extrêmement prolixe, Agostini était républicain et abolitionniste, mais ses travaux furent également les outils de la reproduction et de la diffusion de certains stéréotypes raciaux, ainsi que du postulat de la supériorité blanche. Liebel analysa deux dessins publiés dans le contexte antérieur à l'abolition : « De volta do Paraguai », paru dans la Vida Fluminense en 1870 et « Preto e Amarelo » publié par la Revista Illustrada en 1881. Dénonçant respectivement le contraste entre les violences perpétrées contre les esclaves et leur rôle prépondérant en tant que « volontaires de la patrie82 » enrôlés de force pendant la Guerre du Paraguay, ainsi que la société brésilienne hiérarchisée où l’homme blanc domine les figures

80 Vinícius LIEBEL, op. cit., p.798. 81 Vinícius LIEBEL, op. cit., p. 796-797.

82 Voir notamment André Amaral de TORAL, « A participação dos negros escravos na guerra do Paraguai » in Estudos Avançados, vol. 9, n°24, 1995, p. 287-296 [en ligne : http://www.scielo.br/scielo.php? script=sci_arttext&pid=S0103-40141995000200015] (consulté le 25/06/2018).

du Noir et de l'Asiatique, ces dessins révèlent pourtant toute l'ambiguïté des représentations véhiculées par Agostini :

« C'est cette structure imaginaire de la société qui constitue le champ dans lequel Agostini et ses dessins agiront, d'une part en propageant et de l'autre en produisant et renforçant des visions du monde. Le caractère engagé des dessins de Agostini rend ce rôle encore plus évident. Dans le dessin ci-dessus, c'est vérifiable à travers l'utilisation de la figure du maître d'esclaves qui devient un signe (en comportant une série de qualités négatives inhérentes) dans les représentations agostiniennes. Le dessin prend des airs de dénonciation avec la représentation du maître qui « grimpe » sur les deux têtes, ce qui met en évidence le caractère d'exploitation de son action. Cependant, dans le même temps il présente de manière graphique une position « supérieure » du blanc face aux deux autres éléments83. »

Ces caricatures semblent dès lors représentatives des paradoxes inhérents au traitement politique de la question abolitionniste avant 1888, mais apparaissent également comme des éléments producteurs et diffuseurs de stéréotypes racistes et s’avèrent révélatrices de toute une « structure imaginaire de la société ».

La reproduction et la diffusion de préjugés raciaux par les dessins satiriques se poursuivit après l'abolition de l'esclavage en 1888 et l'instauration de la République en 1889, au sein des débats du début du XXe siècle brésilien centrés sur la définition de l'identité nationale et la valorisation progressive d'un Brésil métissé. Dans « Do (in)visível ao risível: o negro e a “raça nacional” na criação caricatural da Primeira República84 », Silvia Capanema et Rogério Sousa Silva soulignent certaines représentations des Noirs dans les travaux de caricaturistes issus de périodiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècles : Tagarela, Don Quixote, O Mercurio, Fon-Fon et Revista da Semana. Les historiens insistent sur la diversité des images véhiculées par les dessinateurs plus d'une décennie après l'instauration de la République : « soit ils mettent en évidence les particularités culturelles, soit ils ironisent sur les élites d'après le point de vue du Noir, soit ils reproduisent les préjugés de couleur dominants85 ». L'analyse des caricatures révèle l'accaparement par les dessinateurs et la presse

83 Vinícius LIEBEL, op. cit., p. 807.

84 Silvia CAPANEMA, Rogério Sousa SILVA, « Do (in)visível ao risível: o negro e a “raça nacional” na criação caricatural da Primeira República » in Estudos Históricos, Rio de Janeiro, vol. 26, n°52, juillet-décembre 2013, p. 316-345.

illustrée de préjugés raciaux, qu'ils contribuèrent à diffuser et renforcer. En creux, les images satiriques révèlent les interrogations au sujet du rôle social des Noirs dans la société brésilienne du tournant du XXe siècle, un contexte d'immigration européenne encouragée par le gouvernement pour blanchir la population, mais également de valorisation progressive de l'idée d’un Brésil métissé chez certains intellectuels nationalistes. Capanema et Silva s'intéressent à la permanence de hiérarchies dans les sphères intimes et sociales entre l'avant et l'après abolition, à la résurgence du travail esclave ainsi qu'aux craintes exprimées par les caricatures d'un renversement de l'ordre établi.

Il n'est pas anodin que Silvia Capanema ait analysé de nombreuses caricatures dans ses travaux86 consacrés aux enjeux de la période nouvellement républicaine et post-abolitionniste, ainsi qu'aux liens entre question raciale et citoyenneté. Dans l’article « Race, révolte, république : les marins brésiliens dans le contexte post-abolitionniste87 », elle retrace les phénomènes d’exclusion et les inégalités liées à la couleur de peau à une époque de