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Sanctionner plus efficacement les fraudes sur le plan financier

13. Constater les indus liés à des fraudes sur la totalité de la période de cinq années précédant leur prescription d’ordre public, et non plus uniquement sur une partie de celle-ci (ministère chargé de la sécurité sociale, Cnaf et Cnam).

14. Prendre les textes réglementaires d’application de l’article L. 162-15-1 du code de la sécurité sociale (déconventionnement en urgence d’un professionnel de santé) et de l’article L. 162-1-14-2 du code de la sécurité sociale (extrapolation des indus mis en recouvrement à partir des résultats de contrôles opérés sur des échantillons) et étendre le champ d’application de ce dernier aux actes médicaux et paramédicaux et aux séjours tarifés par les établissements de santé (ministère chargé de la sécurité sociale).

15. Instaurer un déconventionnement d’office, d’une durée variable en fonction de la gravité des faits, des professionnels de santé sanctionnés à deux reprises par la voie pénale ou administrative au titre de fraudes qualifiées et ayant épuisé leurs voies de recours (ministère chargé de la sécurité sociale).

Introduction

À la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour a enquêté sur la fraude aux prestations sociales. Le champ de son enquête a porté sur 521,4 Md€ de prestations versées en 2019 par les principaux organismes sociaux, soit l’équivalent de 21,5 % du produit intérieur brut (PIB) : 194,5 Md€ de prestations légales versées par les branches maladie et accidents du travail - maladies professionnelles du régime général de sécurité sociale, 129,3 Md€ de retraites de base versées par la branche vieillesse de ce même régime, 78,9 Md€

de prestations familiales et de solidarité versés par la branche famille7, 81,2 Md€ de retraites complémentaires versées à d’anciens salariés par l’Agirc-Arrco et 37,2 Md€ d’allocations chômage versées par Pôle emploi.

La fraude aux prestations sociales constitue une partie des irrégularités de tous ordres qui affectent l’attribution, le calcul et le versement des prestations sociales. Elle se distingue de simples erreurs par son caractère intentionnel, lequel peut être difficile à prouver.

La détection de fraudes a des conséquences financières en grande partie identiques à celles de la détection d’erreurs involontaires ou dont l’intentionnalité ne peut être démontrée.

Dans les deux cas, des indus sont constatés. Des différences existent cependant sur quatre points : les indus frauduleux peuvent être mis en recouvrement dans le délai de prescription d’ordre public de cinq ans, au lieu de deux ans pour les autres indus ; les indus liés à des fraudes ne peuvent être remis ; le montant à recouvrer peut comprendre non seulement des indus, mais aussi des pénalités administratives ; le recouvrement peut obéir à un échéancier particulier.

La fraude crée des dommages financiers préjudiciables à la collectivité nationale et porte atteinte au pacte républicain qui fonde, depuis 1945, la sécurité sociale. La lutte contre la fraude aux prestations sociales est ainsi un impératif de cohésion sociale et d’efficacité économique.

En 2010, le Conseil constitutionnel l’a consacrée au rang d’exigence constitutionnelle8.

En 2010, dans une communication à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et dans son rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale9, la Cour avait constaté que la lutte contre la fraude aux prestations sociales était une

7 Les prestations versées par les caisses d’allocations familiales (Caf) le sont majoritairement pour le compte de l’État (36,6 Md€ au total au titre des aides au logement, de l’allocation pour adulte handicapé et de la prime d’activité) et des départements (11 Md€ au titre du revenu de solidarité active).

8 Décision n° 2010-422 DC du 28 décembre 2010 : « Le législateur a adopté des mesures propres à assurer une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre les exigences constitutionnelles, d’une part, de bon emploi des deniers publics et de lutte contre la fraude et, d’autre part, du droit à la protection de la santé ». Le considérant concerné porte plus spécifiquement sur les dépenses.

9 Cour des comptes, La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général, communication à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, avril 2010, et « La lutte contre la fraude aux prestations sociales dans le régime général », in Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2010, p. 183-206, La Documentation française, disponibles sur www.ccomptes.fr.

priorité récente des pouvoirs publics, affirmée à partir de 2006, qu’elle devait être conciliée avec d’autres objectifs (simplicité des procédures, délais de versement des prestations) et que la détection et la récupération des indus frauduleux ainsi que la sanction des fraudes constatées comportaient d’importantes marges de progrès.

Dans le cadre de sa mission de certification des comptes annuels des branches du régime général de sécurité sociale, la Cour examine, conformément aux normes internationales d’audit, la portée des dispositifs mis en œuvre afin de réduire les risques de fraude externe et interne qui affectent les opérations qu’elles effectuent et comptabilisent au regard des règles de droit applicables. À ce titre, elle constate que ces dispositifs présentent des limites significatives10.

Au-delà des travaux propres à l’audit des comptes, la Cour a procédé à un examen d’ensemble des actions déployées par les branches du régime général de sécurité sociale et par le ministère des solidarités et de la santé, qui en exerce la tutelle, par Pôle emploi et par le ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, qui en a la tutelle, ainsi que par l’Agirc-Arrco afin de prévenir les fraudes, détecter celles qui ont eu lieu, réprimer les fraudes constatées et recouvrer les indus liés à ces versements irréguliers.

Cet examen a pris en compte la diversité des risques de fraude (voir encadré infra), qui reflète non seulement celle des prestations et de leurs bénéficiaires, mais aussi les règles d’attribution, de calcul et, pour les prises en charge de frais de santé par l’assurance maladie, de facturation de ces prestations par les professionnels et les établissements de santé.

Il comporte quatre enseignements principaux.

La lutte contre les fraudes aux prestations sociales enregistre des résultats croissants sur les plans financier comme répressif, sous l’effet d’une professionnalisation accrue de cette mission, qui bénéficie de ressources humaines notables et d’instruments juridiques et techniques de plus en plus performants (chapitre I).

Toutefois, il n’est pas démontré que les résultats croissants de la lutte contre les fraudes réduisent l’ampleur des pertes financières que subissent les organismes sociaux du fait de fraudes ou, plus généralement, d’irrégularités à leur détriment. De fait, le nombre réduit d’actions de contrôle est sans commune mesure avec l’ampleur des risques de fraude. À intensité constante des actions de contrôle, des marges notables de progrès subsistent de surcroît dans l’emploi des ressources affectées à la lutte contre les fraudes (chapitre II).

De fait, les actions qui visent à détecter des fraudes s’épuisent à rechercher et à traiter a posteriori des irrégularités dont la conjonction d’une réglementation très complexe et d’un système déclaratif trop ouvert favorise le foisonnement. Pour faire reculer effectivement le préjudice social et financier lié aux fraudes, il est impératif de tarir les risques d’irrégularités et d’exposer les auteurs de fraudes à des risques accrus de découverte (chapitre III).

Si elle constitue un enjeu prioritaire, la prévention accrue des risques de fraude n’éliminera qu’une partie de leurs modes opératoires. Des contrôles a posteriori resteront indispensables pour détecter certains types de fraude. Il convient de renforcer ces contrôles et de sanctionner plus complètement les auteurs de fraudes sur le plan financier (chapitre IV).

10 Cour des comptes, Rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale, exercice 2019, mai 2020, La Documentation française, disponible sur www.ccomptes.fr.

La diversité des mécanismes de fraude aux prestations Huit types principaux de fraudes peuvent être distingués :

- la facturation par des établissements de santé, des professionnels de santé (médecins, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pharmaciens, laboratoires d’analyses biologiques, transporteurs sanitaires), des fournisseurs et des taxis conventionnés d’actes, de séjours, de biens et de services fictifs ou plus nombreux ou plus coûteux que ceux qu’ils ont effectivement délivrés ;

- la sous-déclaration des ressources ou des revenus professionnels de l’assuré ou de son foyer en vue d’obtenir l’attribution ou des montants majorés de prestations et d’aides sous condition de ressources (ensemble des minima sociaux : RSA, prime d’activité, allocation aux adultes handicapés, allocation de solidarité spécifique versée aux chômeurs en fin de droits et allocation de solidarité invalidité ; aides au logement ; pensions de réversion ; complémentaire santé solidaire) ou modulées en fonction des ressources (prestations familiales) ou des revenus professionnels (pensions d’invalidité) ; cette sous-déclaration peut notamment provenir du travail non déclaré ; - l’absence de déclaration de la reprise du travail d’assurés indemnisés, au bénéfice de ces

derniers (allocations chômage, indemnités journalières) ou de leurs employeurs (si le versement des indemnités journalières est subrogé par l’employeur). Par ailleurs, l’absence de déclaration d’une reprise d’activité peut entraîner le maintien ou la majoration à tort de prestations (RSA, aides au logement) pour lesquelles le montant des revenus d’activité (et d’éventuelles indemnités journalières) a été abattu (chômage indemnisé) ou neutralisé (chômage non indemnisé) ;

- la déclaration d’une activité salariée en tout ou partie fictive ou de salaires surévalués par des employeurs ou par des salariés (production de bulletins de salaires) en vue d’ouvrir des droits injustifiés ou majorés (prestations de retraite, allocations chômage, indemnités journalières) ; - l’absence de déclaration de la présence d’un conjoint ou du départ de personnes à charge qui

peut entraîner l’attribution injustifiée (allocation de soutien familial), majorer le montant des prestations versées (prestations familiales, aides au logement, RSA) ou maintenir à tort des prestations (pensions de réversion dans certains régimes, quand le remariage n’a pas été signalé) ; - l’absence de séjour régulier ou de résidence stable en France (6 mois continus ou discontinus

par an en général, 9 mois pour le RSA) par des bénéficiaires de prestations et d’aides conditionnées par la satisfaction de ces critères (prise en charge des frais de santé par l’assurance maladie, prestations familiales et de solidarité, ensemble des minima sociaux, allocations chômage) ou, à l’inverse, la fausse déclaration d’un séjour irrégulier et d’une résidence stable en France (pour bénéficier de l’aide médicale de l’État, qui n’est attribuée qu’aux étrangers en situation irrégulière) ; - le détournement des prestations par usurpation de l’identité de leur bénéficiaire : versement des prestations sur des comptes bancaires appartenant à tiers aux personnes auxquelles les organismes sociaux les ont attribuées ; absence de signalement par les proches du décès de bénéficiaires de prestations et utilisation des fonds correspondants par prélèvement sur leurs comptes bancaires (prestations de retraite et rentes d’accidents du travail – maladies professionnelles versées à des résidents à l’étranger) ; création d’identités fictives afin de bénéficier indûment de prestations, le cas échéant auprès de plusieurs organismes sociaux (toutes prestations) ; - l’absence de réalité ou de l’occupation du logement au titre duquel un locataire ou un propriétaire

perçoit une aide (aides au logement).

Chapitre I

Une progression des résultats

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