• Aucun résultat trouvé

B - Moduler plus fortement la sanction des irrégularités constatées

1 - Mieux distinguer la fraude de la simple erreur

En 2018, 5,3 % seulement des décisions rendues par les commissions administratives

« fraude » des Caf ont écarté la suspicion de fraude, au regard des critères définis par la Cnaf (11 % en 2017).

186 Les sanctions prononcées par les directeurs généraux d’ARS sont passés de 30 % des propositions des UCR pour la campagne de contrôle 2012 à 25 % pour celle de 2015, avant de chuter à 9 % pour la campagne 2016 et à 8 % pour celle de 2017. Au titre de la campagne 2017, seules 3,3 M€ de sanctions ont été prononcées pour 39,6 M€

proposées.

prévu un droit de régularisation en cas d’erreur pour les personnes dans leurs relations avec les administrations, sauf « en cas de mauvaise foi ou de fraude »188. En outre, elle a modifié les dispositions du code de la sécurité sociale afin d’exclure l’application d’avertissements ou de pénalités par les directeurs de caisses de sécurité sociale, en cas d’inexactitude ou de caractère incomplet des déclarations ou d’absence de déclaration d’un changement de situation, lorsque la personne concernée est « de bonne foi ».

Ces évolutions appellent les organismes sociaux à mieux distinguer les erreurs involontaires des erreurs intentionnelles et à mieux justifier la qualification de ces dernières.

À cet égard, l’un des critères matériels retenus par la Cnaf pour suspecter une fraude, la fausse déclaration189, n’apparaît pas évident au regard de la complexité et de l’hétérogénéité de la définition des ressources entre les prestations190.

La Cnaf devrait définir de manière plus précise les critères qui, sous réserve notamment des résultats de la procédure contradictoire avec l’allocataire, conduisent à qualifier des fraudes, en tenant compte à ce titre de difficultés spécifiques que peuvent soulever certaines notions (comme celle des salaires pour la prime d’activité, voir supra). Les précisions à apporter devraient ainsi prendre en compte l’objet des informations omises ou erronées et la communication préalable à l’allocataire d’une information personnalisée sur sa situation.

2 - Permettre, à certaines conditions, des régularisations de situation sans sanction Souvent, les assurés ou allocataires ne connaissent pas, ne comprennent pas ou oublient leurs obligations déclaratives, notamment lorsque leurs situations familiale, d’emploi ou de ressources changent. Ils pensent moins à déclarer les changements de vie transitoires ou positifs que les changements définitifs ou négatifs. Ils peuvent présumer que l’administration les connaît, alors que ce n’est pas le cas.

La branche famille développe les actions visant à interrompre certaines fraudes potentielles ou à en prévenir le renouvellement.

En présence d’une omission de déclaration de plus de six mois ou d’erreurs répétées, les Caf adressent depuis 2016 à une partie des allocataires qui en sont à l’origine des lettres de mise en garde destinées à leur rappeler leurs obligations déclaratives. En 2019, près de 72 000 lettres ont été adressées par 94 Caf sur 100, contre 47 000 en 2018, soit plus de deux fois l’objectif fixé

188 Article L. 123-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l’objet, de la part de l’administration, d’une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué. La sanction peut toutefois être prononcée, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation, en cas de mauvaise foi ou de fraude ». Selon l’article L. 123-2, « est de mauvaise foi, au sens du présent titre, toute personne ayant délibérément méconnu une règle applicable à sa situation. En cas de contestation, la preuve de la mauvaise foi et de la fraude incombe à l’administration ».

189 La Cnaf définit la fausse déclaration comme une déclaration erronée, spontanée ou en réponse à un formulaire adressé par la Caf, ou bien deux déclarations successives de ressources (annuelles ou trimestrielles) inexactes ou encore trois déclarations comportant des informations divergentes.

190 À titre d’illustration, les allocataires doivent déclarer la rémunération de l’enfant apprenti présent au foyer lorsqu’elle dépasse 55 % du SMIC, mais pas celle de l’enfant stagiaire, tandis que celle des parents stagiaires de la

lettre serait de 1,75 % en moyenne, contre 5,5 % sans cet envoi.

Par ailleurs, la Cnaf a généralisé à la mi-2019 des propositions, faites par courrier, courriel ou sms, à certains allocataires, de régulariser spontanément leur situation s’ils n’ont pas déclaré une vie maritale, les revenus d’activité des enfants majeurs membres du foyer (s’agissant des salariés et apprentis dont la rémunération dépasse 55 % du SMIC) ou un départ à l’étranger (appréhendé par l’envoi de déclarations trimestrielles de ressources à partir d’une adresse « IP » située à l’étranger). Si la proportion d’allocataires qui régularisent leur situation suite à ces propositions reste limitée (de l’ordre de 2 % à 3 %), elle est néanmoins plus élevée que pour les

« groupes miroir » d’allocataires auxquels cette proposition n’a pas été faite.

À la suite de l’envoi des lettres de mise en garde et des propositions de régularisation de leur situation, les allocataires doivent acquitter des indus, mais n’encourent pas de sanction au titre d’une fraude. En revanche, si un contrôle ultérieur conduit à identifier des omissions déclaratives, l’existence d’une fraude sera constatée.

Pour sa part, l’assurance maladie entend repositionner les actions de contrôle des professionnels de santé par rapport à celles de gestion du risque. Ainsi, elle met en œuvre des campagnes d’accompagnement des professionnels dont les facturations présentent des atypies ou des anomalies (comme la facturation d’actes incompatibles de la CCAM). À l’issue de ces actions, l’absence d’amélioration des pratiques de facturation doit déboucher, outre la mise en recouvrement d’indus, sur l’application de sanctions (cas des masseurs-kinésithérapeutes intervenant en Ehpad en 2019). L’assurance maladie déploie aussi des actions d’accompagnement des professionnels nouvellement installés, afin de les guider et éviter que leurs pratiques de facturation ne copient celles, parfois déviantes, de leurs homologues. Elle projette par ailleurs des actions d’accompagnement des modifications des nomenclatures d’actes et de prestations.

Il conviendrait que la direction de la sécurité sociale recense les pratiques de régularisation sans sanction mises en œuvre par une partie des organismes sociaux, afin d’apprécier l’intérêt de leur extension éventuelle, ainsi que la nécessité de modifier les dispositions du code de la sécurité sociale afin d’en sécuriser l’application.

3 - Mieux proportionner les conséquences de la qualification d’indu frauduleux Que l’indu ait un caractère frauduleux ou non, les Caf ont l’obligation légale d’appliquer un plan de remboursement personnalisé (PRP)191, tenant compte de la situation du débiteur. Ce plan est déterminé en faisant application d’une formule de calcul192 conçue pour laisser un reste à vivre au foyer de l’allocataire.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 et le décret n° 2019-268 du 2 avril 2019 pris pour son application ont introduit des dispositions193 dérogeant au barème de calcul du plan de remboursement personnalisé lorsque les indus à récupérer sont liés à une fraude : les Caf peuvent alors majorer jusqu’à 50 % le montant de la mensualité du recouvrement découlant du PRP et porter cette majoration à 100 % en cas de réitération de la fraude. Ces plafonds de

191 Article L. 553-2 du code de la sécurité sociale.

192 Article D. 553-1 du code de la sécurité sociale.

193 Codifiées aux articles L. 553-2 et D. 553-5 du code de la sécurité sociale.

systématiquement appliqués.

Dans une préoccupation d’équité de traitement des allocataires et afin de ne pas reproduire à un moindre degré les conséquences des pratiques antérieures de recouvrement des indus frauduleux194, la Cnaf devrait identifier a priori des situations pouvant justifier l’application de majorations de la mensualité du recouvrement moins élevées que le plafond de 50 % prévu par les textes (par exemple, pour l’allocation de soutien familial, l’absence de ressources notables que procurerait le conjoint de l’allocataire pour laquelle une absence d’isolement a été constatée).

4 - Déconventionner d’office les professionnels de santé récidivistes de fraudes Comme souligné (voir chapitre I, I - C - 2 - supra), l’assurance maladie recourt peu au déconventionnement des professionnels de santé prévu par l’article L. 162-15-1 du code de la sécurité sociale lorsqu’elle entend sanctionner des fraudes.

Si, dans l’ensemble des conventions, la liste des manquements n’est pas limitative, la gravité des faits, qui justifierait d’y mettre fin le plus rapidement possible, constitue rarement un motif d’accélération des procédures qui précèdent la notification d’un déconventionnement. En dehors, dans certains cas, des directeurs de laboratoires d’analyses médicales, l’avertissement est un préalable obligatoire. En outre, la durée envisagée du déconventionnement peut justifier un allongement de la procédure au-delà des phases permettant aux professionnels mis en cause de formuler leurs observations et aux commissions paritaires locales d’exprimer leur avis. Enfin, plusieurs conventions prévoient la saisine d’une commission paritaire nationale ; pour les pharmaciens, celle du directeur de l’Uncam.

Afin d’interrompre rapidement les agissements les plus graves, l’article L. 162-15-1 du code de la sécurité sociale prévoit, depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, qu’en cas d’urgence, lorsque la violation des engagements prévus par la convention est particulièrement grave ou qu’il en résulte pour l’organisme un préjudice financier, la CPAM peut décider de suspendre les effets de la convention après avoir mis à même le professionnel de présenter ses observations. Toutefois, le décret d’application en Conseil d’État n’est jamais intervenu.

Afin de suppléer ce vide juridique, certaines conventions (infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes) accordent aux directeurs de caisses d’assurance maladie la possibilité d’appliquer une procédure exceptionnelle de déconventionnement lorsque la violation particulièrement graves de dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles est à l’origine d’une plainte au pénal et d’un préjudice financier dépassant huit plafonds mensuels de la sécurité sociale (soit 27 424 € en 2020).

De surcroît, la durée du déconventionnement prononcé par les CPAM a un caractère variablement dissuasif. Seule la convention des transporteurs sanitaires prévoit une durée minimale de déconventionnement, d’un mois, ou bien d’un an en cas de condamnation pénale pour faux ou usage de faux, de même que la possibilité d’un déconventionnement définitif dans cette même situation.

194 Avant la loi de financement pour 2019, les Caf dérogeaient sans base légale aux PRP sur le fondement d’instructions de la Cnaf et allaient parfois jusqu’à saisir la totalité des prestations, dès lors qu’elles ne constituaient

déconventionnement. Si le masseur-kinésithérapeute ou le médecin ne peut ni se faire remplacer, ni exercer aucun remplacement pendant la période de déconventionnement, aucune disposition conventionnelle ne l’interdit aux infirmiers exerçant à titre libéral. La possibilité de prononcer le déconventionnement avec sursis (qui n’existe pas pour les masseurs-kinésithérapeutes) se combinant parfois avec l’avertissement préalable, un médecin ou un infirmier libéral peut persister plusieurs mois dans sa pratique avant de se voir infliger une sanction ferme.

Malgré l’intérêt intrinsèque de la procédure de déconventionnement pour faire cesser les fraudes, les conditions de sa mise en œuvre n’incitent pas l’assurance maladie à y recourir plus largement.

Il convient en premier lieu d’appliquer la loi, en mettant un terme au paradoxe selon lequel, depuis treize ans, la procédure de déconventionnement d’urgence est rendue inopérante par l’abstention de l’exécutif à en définir les modalités d’application. En outre, les procédures de déconventionnement devraient être alignées sur les dispositions les plus protectrices pour l’assurance maladie, en généralisant à l’ensemble des professions les durées minimales de déconventionnement et l’interdiction de remplacement du professionnel concerné, en écartant l’application du sursis lorsqu’une procédure d’avertissement préalable est prévue et en suspendant toute phase d’avertissement en cas de fraude.

Il importe aussi d’empêcher les professionnels de santé fraudeurs de financer, en pratique, le recouvrement des indus et des pénalités financières ou des amendes pénales qui leur ont été infligées en continuant à facturer des actes, des prestations ou des biens fictifs ou à pratiquer des surfacturations. Or, dans le cas général, l’évolution des facturations à l’assurance maladie effectuées par des professionnels sanctionnés qui relèvent des 20 principales CPAM ne marque pas de recul significatif, comme on pourrait s’y attendre195. Il est fréquent que des professionnels déjà sanctionnés le soient à nouveau pour des faits identiques.

Afin de dissuader ces comportements réitérés et d’éviter les dépenses anormales d’assurance maladie qu’ils provoquent, les dispositions législatives du code de la sécurité sociale devraient prévoir que sont déconventionnés d’office, pour une durée minimale, l’ensemble des professionnels déjà sanctionnés au pénal ou par la voie administrative au titre de fraudes qualifiées, à nouveau sanctionnés à ce même titre selon l’une ou l’autre de ces modalités et ayant épuisé leurs voies de recours contre ces nouvelles sanctions.

__________________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________________

Même en resserrant le système déclaratif, certains risques de fraude, parmi les plus sensibles, parce qu’ils portent sur des données difficiles à appréhender – l’activité réelle des professionnels et des établissements de santé, les revenus d’activités non déclarées, l’isolement, la stabilité de la résidence en France –, ne pourront être réduits sans un renforcement des actions de contrôle et des investigations visant à les détecter.

195 S’agissant par exemple des infirmiers libéraux, une étude conduite par la Cnam en 2019 sur 2 927 dossiers montre que les sanctions « lourdes » infligées en 2017 (i.e. sanction conventionnelle, pénalité financière, signalement au parquet, plainte pénale avec ou sans constitution de partie civile et sanction ordinale) ne se sont traduites, au cours des douze mois suivants, que par une baisse de 13 % des montants remboursables mensuels moyens. Ceux-ci restent proches de 10 000 €.

condition de résidence stable en France pour la prise en charge des frais de santé par l’assurance maladie (voir chapitre III supra), la Cour formule ainsi les recommandations suivantes afin d’intensifier la prévention et la recherche des fraudes aux droits et prestations : 11. prévoir dans la prochaine génération de conventions d’objectifs et de gestion avec l’État une

hausse significative des budgets informatiques, afin de réaliser les chantiers nécessaires à la sécurisation a priori des droits et des prestations, ainsi que des effectifs d’agents affectés à la lutte contre les fraudes, afin de développer les contrôles sur place et les investigations qui leur sont liées (ministères chargés de la sécurité sociale et du budget, Cnaf, Cnam et Cnav) ; 12. créer une unité spécialisée transversale à l’ensemble des organismes sociaux, de lutte contre les fraudes externes et internes en bande organisée, faisant intervenir des schémas sophistiqués ou opérant sur internet, composée d’agents spécialisés dans la répression des agissements criminels et la cybercriminalité (ministères chargés de la sécurité sociale, du travail et de l’emploi et de l’économie et du travail, ensemble des organismes nationaux de protection sociale).

Enfin, si plusieurs instruments permettent de réprimer les fraudes – sanctions pénales, administratives, ordinales –, les conséquences financières de leur survenance et de leur répétition sont incomplètement réparées.

La Cour formule ainsi les recommandations suivantes afin de mettre en recouvrement, à l’encontre de leurs auteurs, l’ensemble des préjudices financiers liés à des fraudes et mettre fin à des situations dans lesquelles, en pratique, tout ou partie des sommes recouvrées proviennent de la poursuite de fraudes :

13. constater les indus liés à des fraudes sur la totalité de la période de cinq années précédant leur prescription d’ordre public, et non plus uniquement sur une partie de celle-ci (ministère chargé de la sécurité sociale, Cnaf et Cnam) ;

14. prendre les textes réglementaires d’application de l’article L. 162-15-1 du code de la sécurité sociale (déconventionnement en urgence d’un professionnel de santé) et de l’article L. 162-1-14-2 du code de la sécurité sociale (extrapolation des indus mis en recouvrement à partir des résultats de contrôles opérés sur des échantillons) et étendre le champ d’application de ce dernier aux actes médicaux et paramédicaux et aux séjours tarifés par les établissements de santé (ministère chargé de la sécurité sociale) ;

15. instaurer un déconventionnement d’office, d’une durée variable en fonction de la gravité des faits, des professionnels de santé sanctionnés à deux reprises par la voie pénale ou administrative au titre de fraudes qualifiées et ayant épuisé leurs voies de recours (ministère chargé de la sécurité sociale).

Annexes

Annexe n° 1 : échange de courriers entre le président de la commission des affaires sociales du

Sénat et le Premier président ... 149 Annexe n° 2 : les avis du directeur général de la Cnam sur les propositions de pénalité financière des directeurs de caisses d’assurance maladie ... 151 Annexe n° 3 : des structures nationales de petite taille, sauf à la Cnam ... 152 Annexe n° 4 : éléments complémentaires d’analyse sur l’enquête annuelle « paiement à bon droit et fraudes » de la Cnaf ... 153 Annexe n° 5 : au niveau international, des estimations de la fraude aux prestations sociales rares, mais comportant des indications utiles ... 155 Annexe n° 6 : des objectifs non atteints de réduction des erreurs définitives affectant les

prestations sociales fixés par les Cog avec l’État ... 159 Annexe n° 7 : le rôle de l’assurance maladie et des directeurs généraux des agences régionales de santé dans le contrôle de l’application de la T2A ... 161 Annexe n° 8 : un soutien inégal des caisses nationales du régime général à l’exercice des missions de lutte contre les fraudes des caisses locales ... 163 Annexe n° 9 : les référentiels d’identification et l’immatriculation des assurés nés à l’étranger ... 165 Annexe n° 10 : des circuits de blanchiment d’argent via des comptes collecteurs (source :

Tracfin) ... 179

Outline

Documents relatifs