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prestations sociales rares, mais comportant des indications utiles

1. Un phénomène non chiffré par les organisations internationales

La problématique de la lutte contre la fraude aux prestations sociales se prête aux comparaisons internationales dans la mesure où ce type de risque se présente à tout dispositif de protection sociale. De fait, les dispositifs mis en place pour lutter contre la fraude aux prestations – au premier chef en matière de prestations de santé – sont documentés au niveau des organisations internationales. Celles-ci ne s’engagent cependant pas sur une estimation du coût de cette fraude.

Ainsi, une étude de la Banque Mondiale199 a exposé les grandes lignes des dispositifs anti-fraude dans le domaine des prestations de santé dans six États (Corée du Sud, Croatie, États-Unis, Indonésie, Philippines, Turquie) et en a tiré un ensemble d’enseignements sur les voies d’amélioration de la lutte contre la fraude.

Au niveau de l’Union européenne, la Commission européenne a produit un rapport sur les erreurs et fraudes en matière de coordination des régimes de sécurité sociale200, qui n’aborde cependant pas la question du montant des fraudes.

Dans un rapport201 de 2017, l’OCDE revient sur les enjeux de la lutte contre la fraude aux prestations d’assurance santé, tout en soulignant la difficulté à mesurer l’ampleur de ce phénomène, notamment du fait de son caractère protéiforme. Ce rapport revient sur les indicateurs de fraude détectée utilisés dans de nombreux pays, y compris la France, tout en rappelant les biais susceptibles d’affecter les déductions qui pourraient en être faites sur le niveau de la fraude et que le recours aux techniques de traitement de données en masse ne permet pas de neutraliser.

2. Une étude sur les fraudes et erreurs affectant les dépenses de santé d’un panel de pays, dont la France

S’agissant de l’estimation du coût de la fraude aux prestations de santé, le rapport de l’OCDE renvoie à une étude coproduite depuis une dizaine d’années par l’université britannique de Portsmouth et un cabinet de prestations d’expertise comptable et de conseil aux entreprises (PKF Littlejohn LLP), à partir de l’analyse de données de sept pays (Royaume-Uni, États-Unis, France, Belgique, Pays-Bas, Australie et Nouvelle Zélande).

Selon l’étude la plus récente202, menée conjointement avec l’association European Healthcare Fraud and Corruption Network (EHFCN)203 et portant sur des données relatives aux

199 Banque Mondiale, « Preventing, detecting and deterring fraud in social health insurance programs: lessons from selected countries », discussion paper, 2018.

200 Commission européenne, Fraud and error in the field of EU social security coordination, 2018.

201 OCDE, Tackling-wasteful-spending-on-health, 2017.

202 Jim Gee, Mark Button, The Financial Cost of Healthcare Fraud – 2015 Report, University of Portsmouth, Center for Counter Fraud Studies.

203 Créée en 2005, l’EHFCN est l’organisation européenne dédiée à la lutte contre la fraude et la corruption dans le secteur de la santé. Elle regroupe des représentants de14 pays de l’Union européenne. L’IGAS et l’assurance maladie en font partie.

en moyenne, dont 4,6 % au titre de la fraude.

Si le champ de l’étude204 et la définition des fraudes et des erreurs correspondent pour l’essentiel à ceux retenus dans la présente communication à la commission des affaires sociales du Sénat, l’étude ne fournit pas d’estimation détaillée par pays, alors que les systèmes de santé et les modalités de rémunération de l’activité de leurs acteurs comportent des différences substantielles. Sollicités par la Cour, les auteurs de l’étude n’ont pas explicité la nature des données exploitées, qui selon l’étude correspondent à des données publiques, ni apporté de précisions sur leur méthodologie.

Selon l’étude, « On the basis of the evidence, it is clear that fraud (and error) losses in any organisation should currently be expected to be at least 3%, probably more than 5% and possibly more than 10% ». En suivant cette conclusion, les fraudes et erreurs affectant les dépenses de prestations légales des régimes français d’assurance maladie en 2019 atteindraient au moins, de manière certaine, 4,5 Md€ et, de manière probable, 7,5 Md€.

Les auteurs de l’étude avancent que « The research demonstrates that it is possible to measure the nature and extent of healthcare losses – and to reduce them. It may be embarrassing for some organisations to find out just how much they are losing but it is possible to do this ».

Cet enjeu d’image semble en effet constituer un obstacle significatif à la mise en œuvre d’estimations de la fraude aux dépenses de santé socialisées par des dispositifs publics.

3. Des estimations de la fraude aux prestations par les administrations britanniques 3.1. Les dépenses du National Health Service

Avant 2015, NHS England estimait selon une périodicité déclinante le coût des fraudes et des erreurs sur un périmètre variable d’activités (15 mesures entre 1998 et 2006, six mesures en 2007/2008 et deux mesures entre 2009 et 2014). Selon ces deux dernières mesures, les fraudes et erreurs étaient comprises entre 2,9 % et 3,5 % des dépenses.

Depuis novembre 2017, le ministère britannique de la santé et de la protection sociale (Department of Health and Social Care) est doté d’une unité spéciale de lutte contre la fraude (NHS Counter Fraud Authority), dotée de 164 agents fin mars 2019 et travaillant en réseau avec les autres services ministériels et les structures internes de NHS England, ainsi qu’avec NHS Improvement.

Selon le dernier rapport de NHSCFA (janvier 2020), les divers types de fraude – à l’exclusion des simples erreurs – auxquels est exposé NHS England auraient un coût annuel de 1,27 Md£, soit 1,1 % des dépenses de cette entité pour l’année fiscale 2018/2019. La méthode d’estimation utilisée n’est pas précisée.

Une partie des fraudes porte sur des achats et des rémunérations versées par les établissements de santé faisant partie de NHS England. Si des dépenses de cette nature peuvent donner lieu à des fraudes au détriment des établissements de santé en France, elles ne constituent pas des fraudes aux prestations constituées par les rémunérations et dotations versées par l’assurance maladie à ces derniers. En les retranchant, le montant des fraudes à NHS England s’établirait 0,90 Md£, soit 0,8 % de ses dépenses.

204 Les pertes ont été mesurées pour les fraudes et erreurs dues aux professionnels de santé, aux établissements, aux

qu’au Royaume-Uni sur la rémunération individualisée d’actes, de séjours, de prestations et de biens effectués ou délivrés par les acteurs du système de santé. De plus, l’assurance maladie française prend en charge des indemnités journalières (qui relèvent des seuls employeurs au Royaume-Uni). Dans le contexte français, le pourcentage précité de 0,8 % de dépenses de NHS England correspondant à des fraudes devrait ainsi être significativement majoré pour parvenir à une estimation fiable de la fraude.

3.2. Les revenus de remplacement et les compléments de revenus versés par le Department for Work and Pensions et Her Majesty’s Revenue and Customs Depuis l’année fiscale 2005/2006, le ministère britannique du travail et des pensions (DWP) mesure la portée financière des fraudes et des erreurs qui affectent la plupart des prestations dont il assure le versement (pensions de retraite et d’invalidité, aides aux personnes dépendantes, compléments de revenus aux personnes pauvres, allocations chômage, aides au logement notamment) à partir d’échantillons représentatifs de prestations (16 000 pour l’estimation relative à l’année fiscale 2019/2020). S’agissant des excès de versement, les données distinguent, par prestation, les fraudes et les erreurs et, au sein des erreurs, celles imputables soit aux bénéficiaires, soit à l’administration. Cette dernière distinction est appliquée aux insuffisances de versement.

Pour l’année fiscale 2019/2020, le DWP a estimé à 4,6 Md£, soit 2,4 % du montant des prestations205 (dont 1,4 % du fait de fraudes, 1 % d’erreurs des bénéficiaires des prestations et 0,4 % d’erreurs de l’administration), l’excès brut de versement de prestations du fait d’erreurs et de fraudes et à 2 Md£, soit 1,1 % l’insuffisance de versement, au regard de 191,7 Md£ de prestations versées au total (dont 98,8 Md£ de pensions de retraite).

Dans l’ensemble des prestations, les pensions de retraite sont celles le moins affectées par un excès de versement : cet excès est estimé à 0,1 % de leur montant au titre exclusivement d’erreurs des bénéficiaires, mais l’estimation est ancienne (2005/2006) et a été reconduite depuis lors. La prestation Universal Credit (complément de revenu attribué aux personnes pauvres en activité ou non, qui se substitue progressivement à plusieurs prestations et crédits d’impôt206), qui répond aux mêmes finalités que le RSA et la prime d’activité, est celle qui comporte l’excès de versement le plus élevé (9,4 %, dont 7,6 % du fait de fraudes, 0,5 % d’erreurs des bénéficiaires et 1,3 % d’erreurs de l’administration), suivie des aides au logement (6 %, dont 3,7 %, 1,7 % et 0,5 % respectivement). L’excès de versement d’allocations chômage est lui aussi significatif (4,1 %, dont 1,9 %, 1,2 % et 1,1 % respectivement).

Le DWP indique avoir récupéré 1 Md£, ce qui réduit à 3,6 Md£, soit 1,9 % du montant des prestations versées, l’excès net de versement imputable à des fraudes et à des erreurs.

205 Valeur centrale statistique au sein d’un intervalle de confiance de 95 %.

206 Aides au logement, soutien au revenu, crédits d’impôt pour enfants ou activité professionnelle.

qui affectent les crédits d’impôt liés à la présence d’enfants au sein du foyer ou à l’activité professionnelle (Child and Working Tax Credits), à partir d’un échantillon représentatif de ces concours financiers (4 000). Pour l’année fiscale 2017/2018, les erreurs et fraudes en faveur des bénéficiaires auraient atteint 1,41 Md£, soit 5,5 % du montant des droits reconnus à ces crédits d’impôt, dont 1,12 Md£ du fait d’erreurs (4,4 %) et 0,29 Md£ (1,1 %) du fait de fraudes.

L’insuffisance d’attribution du fait d’erreurs de l’administration a par ailleurs représenté 0,18 Md£, soit 0,7 % du montant des droits.

La minoration des ressources et, dans une moindre mesure, l’absence de déclaration de la présence d’un conjoint, la majoration ou la minoration de l’activité professionnelle, la majoration du nombre d’enfants rattachés au foyer et l’absence de résidence au Royaume-Uni sont les principaux facteurs d’erreurs et de fraudes relevées dans les estimations effectuées par le DWP et HMRC.

Les définitions et méthodologies mises en œuvre par le DWP et HMRC présentent de fortes analogies avec celles retenues par la Cnaf, dans l’enquête annuelle « Paiement à bon droit et fraude », pour estimer la fraude et les erreurs définitives qui affectent les prestations au bout de 24 mois du fait de données déclaratives erronées et non corrigées.

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