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Séminaire d’approfondissement en analyse de l’activité

L’enseignement en question est un module d’approfondissement, de douze crédits ECTS qui a pour titre Analyse de l’activité, la coopération dans le travail social. Cet enseignement est proposé aux étudiants de troisième année des quatre écoles romandes de travail social. Les étudiants de Genève et des autres cantons francophones ont le choix entre une vingtaine de modules d’approfondissement proposés entre les quatre sites. Le réseau Analyse de l’activité de la HETS, dont nous faisons partie, est à l’origine de cette offre de formation. Nous avons mis sur pied et porté la responsabilité du module, en duo. Il se déroule sur un semestre, à raison de deux jours par semaine. Celui-ci accueille 16 à 18 étudiants.

Les séminaires d’approfondissement représentent une étape conséquente dans le cursus bachelor des futurs travailleurs sociaux. Ils font suite à un enseignement obligatoire en premier cycle présentant les fondements de l’analyse de l’activité et ses différents concepts.

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Dans la continuité, les étudiants rapportent des observations de leurs terrains de stage et présentent à leurs pairs, lors d’un cours, l’analyse d’une situation professionnelle. L’offre d’approfondissement présentée ici, permet aux étudiants de poursuivre leur investigation sur les pratiques professionnelles et de se perfectionner sous l’angle de l’Analyse de l’activité. De par la thématique et l’approche concernée, le module requiert des observations sur des terrains professionnels.

L’immersion des étudiants dans les institutions du travail social concerne trois demi-journées et trois journées entières. Des groupes de quatre étudiants sont formés par terrain et sont constitués de deux duos.

La dimension du travail en équipe et de la coopération s’est imposée à nous au vu des nombreuses sollicitations des terrains professionnels concernant des demandes d’intervention sous la forme de supervision d’équipe. Ceci principalement en raison de difficultés interrelationnelles entre professionnels. Dès lors, il nous a semblé qu’entrer par la coopération et rendre sensibles les étudiants à cette dimension fondamentale de la pratique en travail social, permettait de les outiller pour penser et agir sur les tensions vécues au sein des équipes éducatives. La clinique de l’activité permet une compréhension élargie de l’agir qui dépasse

les problématiques interpersonnelles23. L’intercalaire social est toujours présent en toute

situation de travail. Du côté des professionnels, le partenariat exercé en lien avec cet enseignement est une réelle opportunité de porter un regard extérieur sur leur agir, regard certes novice, mais accroché à une démarche rigoureuse et encadrée.

L’analyse de l’activité est le plus généralement investie comme un outil d’intervention et de recherche dans les milieux professionnels ; elle est plus rarement exercée comme un outil de formation et d’intervention pour des étudiants en formation initiale. Au sein de notre dispositif, nous avons expérimenté une démarche prioritairement au service de la formation et dans un second temps, nous avons trouvé là une occasion pour les professionnels d’obtenir un regard "externe" sur leurs pratiques. Ce n’est donc pas le développement des professionnels, au sens de Clot (2000), qui est visé prioritairement, mais bien l’étude du travail réel par les étudiants afin d’en saisir une part d’intelligibilité. Pourtant, nous verrons que pour les travailleurs sociaux impliqués dans la démarche, la part développementale n’est pas absente.

23 Histoire subjective adressée à un sur-destinataire, au sens de l’instance transpersonnelle du métier. Histoire qui traverse l’agir personnel, avec son ascendant en aval et ses prolongements en amont, lorsque celui-ci a pu enrichir l’histoire du métier. Articulation du personnel et du transpersonnel complété de l’interpersonnel et de la dimension impersonnelle du métier liée au prescriptif (Clot, 2006).

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Elle s’est clairement manifestée dans une demande de continuité du processus, au-delà du module d’enseignement.

L’objectif premier, pour la formation initiale, est d’offrir aux étudiants l’occasion de redécouvrir l’activité professionnelle et de la rendre sujette à discussion. Dans ce cadre, ils tentent de circonscrire une part d’activité réelle pour comprendre ce qui s’y déroule et appréhender ce qui sous-tend l’effectuation de l’acte. Pour cela, la méthodologie de l’autoconfrontation croisée est privilégiée. Le dispositif est encadré par deux enseignants et un assistant formé aux maniements des outils vidéo. L’exploration du travail réel, par le biais de la méthodologie d’autoconfrontation croisée, offre une occasion d’émergence de l’intelligence pratique des professionnels et permet de donner à penser son intelligibilité. Une des difficultés majeures du dispositif, couplée d’un intérêt tout particulier, est la place centrale donnée aux étudiants, « qui les projette dans des contrées proches de celle de l’intervention ou de la recherche » (Mezzena, 2007 - 133).

Chaque année, quatre terrains professionnels sont sollicités et s’engagent dans ce processus formatif.

Le continuum méthodologique

Le continuum méthodologique de ce module a été l’objet d’une description très détaillée. Le contenu est centré sur les effets formatifs du module et les enjeux pédagogiques de celui-ci dans le contexte d’une formation en alternance (Mezzena, 2007). Les étudiants, suite à un temps conséquent de travail théorique, engagent souvent avec crainte la deuxième étape qui les emmène sur les terrains de l’action sociale. A partir de cette étape, ils travaillent en duo. Deux professionnels par terrain participent à la démarche, chacun étant rattaché au duo d’étudiants. Le travail par binôme permet un processus de confrontation et de réassurance largement nécessaire dans leur positionnement face à des professionnels chevronnés.

Si cette modalité nous apparaît intéressante pour des raisons d’émulation dans les apprentissages, elle l’est également dans l’optique d’un dispositif qui demande beaucoup d’investissement aux étudiants, non seulement en termes de travail à fournir, mais surtout en termes de rapport entretenu avec les professionnels. Bénéficier d’un pair d’apprentissage au fil de l’avancement dans la démarche offre alors un cadre d’interlocution et de réassurance non négligeable du point de vue pédagogique. (Mezzena, 2007 - 134)

Les étudiants s’immergent dans les terrains sous la forme d’une observation participante. Rester en extériorité est extrêmement délicat ou inconfortable au vu de leur engagement subjectif qui se projette déjà dans le métier. Ils y rencontrent "leur" professionnel et le suivent

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dans son environnement de travail, en pleine activité. La consigne est de se laisser surprendre par ce qui advient, de se laisser porter par les micro-événements. Suite à leur immersion, ils reportent sur un cahier de bord leurs observations, sentiments et premières questions posées par l’activité regardée. Ils ont aussi pour consigne d’être attentifs aux dimensions spatiales, à l’intensité de la lumière, à la mobilité des professionnels et des usagers.

De nombreuses questions liées aux conditions de l’observation et à la nature de la posture de l’observateur surgissent bien qu’elles aient déjà été traitées lors d’apprentissages antérieurs dans le cursus de formation. Se trouver en situation d’observation, permet d’appréhender la complexité de l’activité aux niveaux du regard et du sentir et place l’étudiant aux limites de l’observation directe lorsque la vue cherche à percer l’activité réelle. Ils expérimentent ce qui leur a été enseigné, soit que l’observation d’un sujet en train de travailler ne donne accès qu’à la partie visible de ce qui se déroule, et que ce qui prévaut des intentions ou des choix d’action des professionnels, reste largement inaccessible.

La première observation se poursuit par un échange avec le professionnel, durant lequel est discuté et choisi le type d’activité qui paraît opportun à filmer. Une deuxième immersion permet aux étudiants de faire un essai de tournage. Enfin, c’est lors d’une troisième visite qu’est tournée la séquence de travail qui sera objet des autoconfrontations. Nous insistons tant auprès des étudiants que des professionnels sur le fait qu’il n’est pas nécessaire de centrer

l’attention sur ce qui pourrait "faire événement". Toute situation de travail, qu’elle se situe

dans des moments de colloques, d’entretiens ou de temps informels de la vie quotidienne, est suffisamment riche à exploiter à la condition de porter un regard clinique sur l’activité. Les étudiants filment chaque professionnel à raison de deux heures consécutives. De là, ils tireront des extraits d’une durée d’environ vingt minutes par professionnel, séquences qui seront l’objet d’une autoconfrontation simple et croisée.

Les enseignants connaissent les terrains et les professionnels engagés dans la démarche ; un cadre éthique et organisationnel a été discuté en préparation de l’enseignement. Suite à la préparation théorique des étudiants, les enseignants interviennent largement dans le continuum méthodologique, pour travailler sur les questions rapportées suite à l’observation et surtout sur l’accompagnement de ce qui préside au choix des séquences et à la préparation des autoconfrontations. Ils jouent un rôle de tuteur et sont responsables de la bonne marche du processus. A la moindre problématique relayée par les étudiants ou par les terrains, les

professeurs interviennent dans le processus, quitte à "doubler les étudiants" (au sens

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comme étudiants, intervenants et chercheurs, place les apprenants en nécessité de devoir ajuster continuellement leur posture et mode d’intervention. Les professionnels ne sont pas dupes du caractère expérimental du dispositif, et se prêtent parfois au jeu en adoptant une posture non seulement de travailleurs sociaux, mais également de formateurs de futurs collègues. Ces différents niveaux d’interprétation ont des incidences fortes sur le processus, mais nous pouvons relever qu’au moment des autoconfrontations, les professionnels, passionnés par les images de leur propre activité, lâchent les dimensions formatives et se centrent sur ce qui se déroule devant eux et en eux. La difficulté majeure pour les étudiants, durant les temps d’autoconfrontation, réside en leur compétence ou non à faire des relances, à interroger l’activité, à lancer des controverses. Toutefois, l’ensemble des acteurs accepte le fait d’un premier apprentissage, d’une première mise en situation d’intervenant et de chercheur, ce qui prévaut souvent à une sous-exploitation du matériel recueilli.

Les étudiants entament par la suite le travail d’analyse des commentaires. Pour ce faire, ils prennent appui sur l’ensemble du continuum : apports théoriques, observations et autoconfrontations. Ce continuum pédagogique et méthodologique amène les apprenants à

construire et étayer progressivement des hypothèses sur l’activité observée.

L’autoconfrontation simple permet aux étudiants d’identifier des pistes les guidant sur l’intelligence pratique et la coopération. Les premières estimations seront controversées, enrichies ou balayées lors des autoconfrontations croisées.

Le processus engagé et les résultats produits font l’objet d’une troisième phase d’autoconfrontation collective. Elle est l’occasion d’un partage avec l’ensemble des professionnels, dans une journée consacrée à la discussion et à l’échange. Il s’agit ici d’un aménagement de la méthodologie, car la dimension collective ne recoupe pas un terrain d’intervention mais l’ensemble des professionnels de quatre terrains qui se retrouvent par leur appartenance au champ du travail social.

Les étudiants socialisent leurs réflexions par des présentations comprenant des extraits de film, une analyse des images et la démonstration de ce qu’elles peuvent apprendre sur l’activité réelle. Les professionnels réagissent à ces interprétations, et produisent ainsi un échange collectif sur ce que les étudiants ont appris du métier. Ces échanges collectifs amènent un nouveau regard sur l’activité et produisent du discours sur ce qui fait métier, ses empêchements comme ses potentialités de développement.

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De l’enseignement au projet de thèse

C’est à partir de cet enseignement que la démarche de thèse a trouvé jour. Après trois années d’activation du module avec comme objectif de pointer la coopération au travail, ce sont plus spécifiquement les affects engagés dans l’activité et la difficulté de partager sur ces dimensions qui ont retenu l’attention des professionnels. Lors des journées collectives, se répétait la même interrogation concernant l’expression des émotions et l’engagement du corps dans l’activité. Le fait de travailler à partir d’images de l’activité réelle est certainement en corrélation forte avec cette part du métier dont les dimensions sont peu abordées dans les formations comme dans les colloques sur l’action sociale. Ce fut pour nous l’occasion d’écrire un article sur L’activité corporelle et émotionnelle au cœur de la pratique en travail social (Libois, 2007b).

Parallèlement, deux foyers d’éducation pour mineurs, travaillant en étroite collaboration, ont demandé à poursuivre l’expérience et à mener une autoconfrontation collective regroupant deux professionnels de chaque site. Cette demande fut l’occasion d’étendre le processus initial de formation à une dimension recherche et intervention, cette fois-ci hors du cadre de l’enseignement. La demande des professionnels émanait à la fois d’un intérêt suscité par leur investissement dans le séminaire de formation, et parallèlement par une forme de frustration à n’avoir pu utiliser pleinement les ressources du matériel récolté. En tentant de clarifier la demande, aucun thème précis ne suscitait particulièrement leur curiosité. L’idée de croiser les images entre les deux foyers et de travailler en collectif sur leur activité leur semblait suffisamment digne d’intérêt pour poursuivre la démarche. Nous pouvons imaginer que des enjeux cachés, préconscients ou inconscients, activaient leur demande. Il ne nous a pas paru nécessaire de les faire émerger à ce stade de l’intervention. Il nous a semblé plus opportun de

"laisser monter" les questionnements par le processus d’autoconfrontation et de les traiter à partir des séances de visionnement.

Pour notre part, accompagnée d’une étudiante en fin de formation désireuse de réaliser son travail de certification en analyse de l’activité, nous avons énoncé notre intérêt à poursuivre la réflexion sur l’engagement subjectif des professionnels : le corps et les dimensions émotionnelles engagés dans l’activité. La volonté de travailler ce matériel dans le cadre d’une thèse universitaire a été formalisée. C’est ainsi que le processus de thèse et d’un travail de bachelor (Dubath, 2006) s’est engagé empiriquement et s’est appuyé sur un matériel mixte : images récoltées par des étudiants, sous une direction soutenue de notre part, et prolongement du processus en autoconfrontation collective, hors du module d’enseignement. Ce double

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appareillage nous a paru opportun dans le cadre d’une thèse en éducation des adultes, qui s’intéresse à la fois à l’activité professionnelle d’un corps de métier comme à la dimension de la formation professionnelle.

Observation directe et indirecte

Dans ce contexte, la question de l’observation demande à être précisée. Comme indiqué, nous n’avons pas procédé en premier lieu à une immersion sur le terrain. Ce sont les étudiants qui ont suivi les professionnels dans leurs pratiques quotidiennes. Toutefois, ayant une première formation en éducation spécialisée et ayant pratiqué le métier dans des foyers d’éducation, de modèles très proches, le terrain ne nous est pas inconnu.

Nous postulons que la co-appartenance intégrale peut se substituer en empêchement à comprendre ; dans ce cas de figure on prend le risque de donner les réponses avant même d’avoir défini les questions. A l’opposé, être en extériorité totale ne favorise pas une entrée dans la complexité du métier. Nous pensons, à partir du paradigme compréhensif, que le monde est toujours restitué à partir d’un point de vue et qu’aucun point de vue ne peut se construire sans connaissances préalables de l’objet. Dès lors, la capacité de compréhension à partir d’une expérience directe, même si antécédente, est autrement plus riche que si l’on n’a pas eu partie liée à l’objet.

Pour notre thèse, nous nous situons dans un entre-deux articulant faiblesses et avantages méthodologiques comme épistémologiques. Si le point de vue crée l’objet, avoir une connaissance exercée de l’activité est certainement un avantage. Une expérience antécédente du métier est donc un atout, dans le sens qu’elle contient une connaissance incorporée et une distance nécessaire acquise par le fait de ne plus y être. La récolte de matériel sous la forme de films réalisés par les étudiants, et non par nos soins reste en partie un handicap, car le film

n’est jamais neutre. C’est à partir du "regard d’autrui" que l’analyse a dû trouver sens.

Dans notre cadre méthodologique, si l’observation n’a pas été portée par une immersion du chercheur sur le terrain, nous pensons qu’elle n’est pas absente pour autant du dispositif. Elle est présente dans le temps de visionnement des films comme dans le travail qui préside au choix des séquences à analyser. Nous nous situons hors du champ des méthodes directes, sur le terrain de l’action en train de se réaliser. Méthodes directes qui souscrivent à une présence par le corps, par le sentir, par le voir.

Les méthodes indirectes, elles, demandent à travailler à partir des traces de l’activité. Dans l’après-coup mais aussi dans l’instantanéité du travail d’élucidation, par les acteurs. Travailler sur de l’antécédent ouvre à la production d’une nouvelle action, simultanée, qui est celle de

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l’écoute et de la relance. Action d’interaction entre le chercheur et le professionnel, engagés tous deux dans la réflexivité sur l’agir. Cet espace d’interaction représente pour nous la partie clinique du processus. Bien souvent, les temps de méthodes directes et indirectes ne se soustraient pas l’un à l’autre. Il est question d’un continuum comprenant une succession de phases incluant des approches différenciées.

Pour notre cas, ce ne sont pas des choix méthodologiques antécédents à la recherche qui ont présidé à la construction, mais bien plus une occasion émanant d’un processus formatif en cours qui s’élargit et demande à être interrogé à partir de là où il s’active.

Le fait que nous reprenions, sous notre seule responsabilité, la poursuite du processus, ne nous a pas astreint à nier ou encore à rejeter le travail établi précédemment. D’autant que nous avions partie liée avec la réalisation du processus.