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Construction du matériel empirique

Les données empiriques de la thèse ont été extraites de l’ensemble du continuum, articulant données récoltées avec les étudiants et matériel indirect reconstruit selon notre propre regard. Nous avons procédé à une sorte de rénovation du matériel vidéo antécédent, qui a permis de présenter aux quatre professionnels, trois hommes et une femme, une nouvelle forme de leur activité. A partir de douze heures de film, une heure vingt d’images a été sélectionnée. Deux des quatre professionnels ont participé deux années de suite au séminaire d’approfondissement et nous possédions ainsi quatre heures de film pour chacun d’eux. En rajoutant les deux heures de film pour les deux professionnels restants, nous possédions une durée totale de douze heures d’images sur l’activité des professionnels.

Nous possédions non seulement douze heures de film retraçant l’activité réelle de quatre professionnels, mais également six films des autoconfrontations simples (douze heures) et trois films d’autoconfrontations croisées d’une durée totale de neuf heures. C’est en tout 33 heures d’images à notre disposition et une autoconfrontation collective à venir. Si nous tentons de resserrer le processus qui a présidé au choix des séquences pour la dernière étape

de la démarche24, nous relèverons trois éléments clés.

1. Lors des journées collectives finales du module d’enseignement, la part des émotions engagées dans l’activité par les travailleurs sociaux revenait régulièrement sous la forme de questionnements et de débats. Cette épaisseur de l’activité nous a paru essentielle à décrypter,

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tant pour des objectifs de formation professionnelle que pour aborder un indicible situé au cœur du métier.

2. La demande de quatre professionnels de poursuivre la démarche d’intervention hors du module d’enseignement est à l’origine du cadrage de la thèse. Ces quatre éducateurs travaillent dans deux foyers d’hébergement pour adolescents rencontrant des difficultés d’intégration sociale et professionnelle. Ces deux foyers, un semi-ouvert et un appartement de jour, collaborent étroitement et sont régis tous deux par la même Fondation. Les éducateurs travaillent sur les deux structures. Autant d’éléments qui nous ont paru propices à poursuivre l’investigation. Lors des autoconfrontations croisées conduites par les étudiants, ces professionnels émettaient des étonnements sur leurs modes d’agir. Ils relevaient dans leurs commmentaires une certaine difficulté à nommer leur ressenti et ainsi se trouvaient dans un sentiment d’empêchement à investir cette part de l’acte dans la réflexivité sur leurs pratiques. 3. Au vu du contexte de mutation des formations, de l’introduction d’une hiérarchisation de la profession, notre intérêt s’est porté sur des séquences relevant de l’accompagnement des éducateurs dans le temps de la vie quotidienne, cadre d’action dévolu politiquement au niveau inférieur de la formation. Il s’agit ici de questionner la complexité de l’agir professionnel et de voir en quoi il se révèlerait opportun de retenir ce temps d’activité également dans les contenus de formation "expert", au niveau tertiaire. C’est donc le contexte en mutation des formations et des métiers du social qui nous a amené à nous centrer sur des images évoquant des interactions entre professionnels et jeunes dans des espaces-temps de la vie quotidienne, là où l’accompagnement est au centre de l’activité.

Le choix des séquences pour l’autoconfration collective est aussi le résultat de discussions intenses entre l’intervenante-chercheuse et l’étudiante construisant son propre matériel de recherche. La dynamique produite par ce travail en duo a permis de mettre à jour la subjectivité engagée dans le processus de choix. L’intérêt plus objectif à produire un matériel de recherche et d’enseignement à partir de cet espace privilégié d’autoconfrontation collective a présidé au découpage final des séquences. Le choix s’est affiné en sélectionnant des passages d’activité réelle ayant conduit, lors des autoconfrontations simples ou collectives, à des interrogations, à des bribes de controverses ou encore à des silences insistants. Au final, ce seront huit séquences de deux à dix minutes qui seront retenues, pour une durée totale de 53 minutes. Séquences présentant des activités de chacun des quatre professionnels. Le matériel empirique de notre thèse est issu des différentes phases d’investigation menées avec les quatre éducateurs sus-mentionnés.

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3.2 La clinique, un positionnement épistémologique et/ou une entrée

méthodologique

La question des méthodes de recherche dans les métiers de relations de service, et encore plus spécifiquement dans les métiers de l’humain, place le chercheur face à de nombreuses incertitudes et de fait, dans la nécessité de créativité tout au long du processus de son étude. Il serait erroné d’imaginer qu’une seule méthode suivant un protocole d’application prédéfini puisse répondre aux nombreuses questions posées par l’activité. Les méthodes sont variées, situées au carrefour de plusieurs disciplines directement intéressées aux métiers de l’humain. L’analyse de l’activité demande, par la variabilité des situations et par l’apport spécifique des connaissances apportées par les terrains, à réorienter ou à approfondir certains champs ou problématiques dévoilés en cours de réalisation de la recherche. Dès lors, la construction méthodologique s’enrichit avec la difficulté majeure de devoir articuler avec cohérence différentes étapes de recherche, engageant des apports méthodologiques et théoriques pensés et construits en complémentarité.

En conséquence, la construction méthodologique élaborée pour cette recherche est le résultat d’un travail empirique, long et délicat, parfois sinueux, revisité à de nombreuses reprises. Si au stade du projet, la psychodynamique du travail et la méthodologie de l’autoconfrontation croisée ont été placés au centre de notre investigation, l’ensemble s’est enrichi d’un

positionnement clinique. La dimension "formation" inscrite à l’origine de la thèse nous a

également porté à travailler à partir de situations professionnelles, approche largement conceptualisée en didactique professionnelle et en clinique de l’activité.

Instruire la méthodologie c’est aussi poser un positionnement épistémologique, car l’objet traité se construit par le regard que l’on porte sur lui. Une part sera révélée, analysée, disséquée, une autre part, tout aussi réelle et digne d’intérêt sera maintenue dans l’ombre. Le regard porté par le chercheur constitue de fait un découpage et une construction du réel dont il nous faut bien admettre la partialité.

Que le chercheur ait pratiqué le métier antécédemment et qu’il soit enseignant dans une Haute école professionnelle n’est pas anodin. Connaître le métier et l’enseigner, place le chercheur dans ses propres retranchements sur ce qu’il sait et pourtant lui échappe encore et toujours. Un essentiel à surprendre dont il se voudrait le passeur. Connaître le métier "d’avant", et le sentir se distancer par le temps qui passe et les transformations qui se succèdent, demande à y

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retourner de près. S’interroger sur la complexité de l’action dans les activités dévolues comme anodines oblige à sortir des impasses d’un discours convenu.

Un second défi relève de la délicate question de la subjectivité dans un processus de recherche scientifique. Nous pensons que vouloir saisir l’activité dans les métiers de l’humain nécessite un détour primordial par la subjectivité. La subjectivité n’est pas un objet que l’on peut appréhender aisément. Elle ne se donne pas à voir à l’observateur, aussi averti soit-il. Il ne suffit pas non plus de la questionner, quelle que soit l’approche compréhensive utilisée. C’est à partir de la posture clinique que nous avons abordé la question du sens et des sentiments, éléments indispensables à la compréhension de l’agir en travail social. Notre posture de chercheur – intervenant s’est finalement construite à partir :

• d’un choix de situations de travail pour entrer dans la complexité du geste professionnel

• de la nécessité de faire parler l’activité pour accéder à l’activité réelle

• d’une posture clinique pour accueillir la subjectivité et soutenir les transformations du

travail

• d’une posture analytique pour comprendre et enrichir les différents modes d’action

• d’un retour sur la formation par la didactique professionnelle.

En fonction de ces propositions, la méthodologie retenue a été celle de l’autoconfrontation croisée en clinique de l’activité.

Le concept de "développement" en clinique de l’activité réclame à son tour un positionnement

entre intervention et recherche. Sommes-nous porteurs d’une analyse de l’activité centrée sur les transformations de l’institution et sur le développement des professionnels, ou nous situons-nous principalement en quête de connaissances sur l’activité de l’éducation sociale ? Nous verrons que ces deux axes ne sont pas antagonistes. Nous pouvons suggérer que l’intervention ouvre des apports de connaissance sur les situations de travail, et que la recherche de connaissances ne peut se construire sans s’appuyer sur des processus de transformation. Ceci quels que soient les objectifs de recherche préétablis.

L’objet de recherche centré sur l’activité réelle des éducateurs sociaux englobe la dynamique des interactions engagées en situation, les règles d’action posées implicitement par les professionnels et l’activité contrariée ou empêchée. Pour parvenir à entrer dans ces

articulations, les techniques d’entretien "traditionnelles" ou d’observation ne peuvent suffire.

L’approche en autoconfrontation procurant un film sur l’activité réalisée et les commentaires des professionnels sur leur agir, enrichit fortement le champ des données. Lorsqu’on

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s’intéresse aux implications sociales et affectives dans l’activité ainsi qu’aux stratégies de co-construction et de résolution de problèmes à partir de situations de travail, la perspective clinique s’impose pratiquement d’elle-même. Les situations de travail peuvent se comprendre et être saisies que dans leur déploiement, toujours articulé à la prise en compte du contexte institutionnel et social.