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La sémantique frégéenne : quelques remarques sur les indexicaux 23

perspectives philosophiques

1.2.3 Théories référentielles de la première personne : débat entre la théorie de la référence directe et la théorie néo -fregéenne

1.2.3.1 La sémantique frégéenne : quelques remarques sur les indexicaux 23

Dans le cadre de la discussion sur les indexicaux, la sémantique frégéenne rencontre des difficultés. Il n’y a pas une théorie des indexicaux24chez Frege, il y a seulement deux passages

23 Les approches de la théorie de la référence directe et de la néo-frégéenne ne sont pas compréhensibles sans d’autres présentations intermédiaires comme celle de Frege et de Perry. J’ai donc introduit ces théories avec un but tout à fait pédagogique et non pas exhaustif.

24 C’est pourtant Frege, qui, en rencontrant des difficultés dans l’analyse des indexicaux au sujet de sa théorie sémantique pour les termes singuliers, ouvre la discussion sur les indexicaux. Par la suite, la contribution de Frege est considérée comme le point de départ de la sémantique des indexicaux. Il parle de l’indexicalité dans l’article La pensée (1971) et dans d’autres articles des Écrits posthumes (1994).

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importants à considérer: celui qui traite les indexicaux comme « aujourd’hui » et « hier » et celui qui concerne l’indexical « je ». Voilà le schéma frégéen :

1) Le sens est porteur de vérité.

2) Le référent est stable.

Ces thèses générales ne semblent pas s’appliquer aux indexicaux, car on observe que le référent d’un indexical change d’un contexte à l’autre, comme l’exemple d’ « aujourd’hui», et d’«hier ». Or, si le sens détermine le référent et s’il est son mode de donation, alors le sens doit aussi changer d’un contexte à l’autre.

Mais dans ces conditions, qu’est-ce qui correspond au sens de l’indexical? Si le référent dépend du contexte, cela signifie que le référent est déterminé par chaque contexte d’usage. Cela exige dès lors d’avoir un sens pour chaque contexte d’usage. Comment la notion de sens peut-elle alors être stable ? Peut-on trouver dans cette perspective un sens frégéen occasionnel pour les indexicaux ?

Frege lui-même laisse entendre que c’est le contexte qui peut déterminer le sens complet de ces indexicaux (Frege, 1971: 178)C’est en cela que consiste l’énigme frégéenne des indexicaux.

Le sens qui indiquait le mode de présentation dans le cas des noms propres, n’est pas complet dans le cas d'un indexical, car il est déterminé par le contexte. Appliquant à l’indexical

« je » cette relativité contextuelle, Frege est obligé de reconnaître qu’il existe deux types de modes de présentation, deux sens du mot « je », un qui est accessible à tous, et le deuxième auquel a accès seulement la personne qui prononce « je », à savoir un sens privé.

L’analyse frégéenne s’arrête une fois parvenue à ce point difficile, et semble montrer que la sémantique frégéenne, avec la notion centrale de sens, n’est pas adéquate pour les expressions indexicales. Je vais m’arrêter seulement sur sa théorie sur « je ».

Frege affirme que pour un même énoncé dans lequel apparaît « je », on peut avoir des pensées différentes, puisque cette expression est dite par des personnes différentes. Néanmoins, les observations faites par Frege au sujet de l’énoncé sur Dr. Lauben ont suscité des discussions.

Frege se pose la question de savoir s’il s’agit de pensées différentes. Les remarques faites par Frege ensuite au sujet des noms propres pourraient mettre en péril sa propre théorie du sens :

« Chacun est donné à soi même d’une manière particulière et originelle, comme il n’est donné à personne d’autre. Si le Dr Lauben pense qu’il a été blessé, il s’appuiera vraisemblablement sur la manière originelle dont il est donné à lui-même. Et seul le Dr Lauben peut saisir la pensée ainsi déterminée. Mais il voudrait en faire part. Or, il ne peut communiquer une pensée que lui seul peut saisir. S’il dit « j’ai été

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blessé », il doit employer ce « je » dans un sens qu’autrui puisse saisir, par exemple dans le sens de « celui qui vous parle en cet instant ». En quoi il fait servir à l’expression de la pensée les circonstances qui accompagnent les paroles » (Frege, 1971 :180).

Selon cette analyse de Frege, il y a deux sens différents du « je »: l’un, privé, accessible seulement à soi-même et l’autre, public, communicable. Or, selon la théorie frégéenne, le sens est une entité objective, un mode de présentation du référent qui peut être communiqué. Le sens est différent de la représentation ; il n’est pas subjectif, mais objectif. Or, la théorie de la signification de Frege soutient que les sens sont des entités objectives, que cette théorie sémantique du sens et de la référence est valable pour tous les termes singuliers.

Ainsi, si on tient compte des remarques antérieures, on constate que le fait d’affirmer l’existence des pensées incommunicables (conclusion qui surgit dans le cas des expressions indexicales comme « je ») est en contradiction avec l’approche sémantique de Frege. Quel sens peut-on alors trouver pour les indexicaux? Trouver un sens pour les indexicaux ne marque-t-il pas les limites de la théorie sémantique frégéenne?

Ces remarques de Frege ont ouvert la discussion sur la notion de sens dans le cas de tous les termes singuliers25. A partir de ces questions, nous pouvons distinguer deux approches différentes qui abordent, parmi d’autres questions sémantiques, le traitement adéquat des indexicaux: la théorie de la référence directe et la théorie néo-frégéenne. La première est vue comme une alternative différente, la deuxième comme une nouvelle tentative de réhabilitation de la théorie frégéenne avec le traitement des indexicaux. Dans un premier temps, c’est la critique de Perry (1977)26 faite à Frege qui ouvre la voie de la référence directe dans les travaux sur des

25 Dans la théorie de la référence, on parle des termes singuliers référentiels comme les noms propres, les descriptions définies et les indexicaux.

26 Je voudrais présenter brièvement ici la critique et la solution de Perry (Frege on demonstratives, 1977) à ce dilemme concernant le sens des indexicaux, car c’est une théorie qui est importante dans ce débat sur le sens des indexicaux, et surtout par le fait que Perry est le premier adepte de la théorie de la référence directe. C’est lui en effet qui ouvre la discussion sur le sens des indexicaux. A son tour Evans (théorie néo-frégéenne) répond à cet article dans l’article Undestanding demonstratives. Les deux articles sont publiés dans la variante française par Corazza & Dokic, Penser en contexte le phénomène de l’indexicalité, la controverse John Perry & Gareth Evans, 1993, recueil que j’utilise comme référence pour ces deux articles. La stratégie de Perry repose sur deux points : d’abord la critique de Frege, que sa triade sémantique pourrait être appliquée aux indexicaux (comment envisager un sens pour les indexicaux) et ensuite reconstituer le sens frégéen (compris de Perry, comme étant chez Frege sous la forme d’une description définie). La proposition de Perry est la suivante : renoncer à l’identification entre sens et pensée et les diviser. La notion de pensée jouait pour Frege un rôle à la fois sémantique et cognitif. Dans le cas des indexicaux et étant donné leur dépendance contextuelle, Perry propose quant à lui deux notions distinctes, séparant ainsi la notion de sens de la notion de pensée. A quoi correspondent selon Perry le sens et la pensée ? Il propose comme sens le rôle, et

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indexicaux. Je ferai maintenant l’analyse de deux théories qui représentent des alternatives sémantiques à la théorie frégéenne et qui offrent un meilleur traitement des indexicaux: la théorie de la référence directe (Kaplan) et la théorie néo-frégéenne (Evans).