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Chapitre 2. Autisme: introduction à la problématique

2.4 Développement cognitif dans la perspective neuro -typique et autistique

2.4.2 Développement cognitif de la personne atteinte d’autisme .1 Autisme: trouble cognitif et/ou style cognitif ?

2.4.2.2 Le développement cognitif dans l’autisme

Le système cognitif regroupe plusieurs processus, comme la mémoire, le langage, la perception, l’attention, les fonctions exécutives, l’imitation.

Afin de mieux comprendre le fonctionnement cognitif, je voudrais développer quelques aspects liés à chacun de ces processus. Je ne m’arrête pas ici sur le langage, car le langage et la

91 Je n’insiste plus sur l’explication de cette figure, car elle résume les aspects abordés dans le chapitre antérieur.

92 « Des altérations génétiques, environnementales et épigénétiques, sont responsables d’anomalies cérébrales structurales, qui elles-mêmes génèrent des anomalies cérébrales fonctionnelles, regroupées sous le concept de disconnectivité-dissynchronie cérébrale multisytème (DDCM). En conséquence, le cerveau des personnes autistes est affecté de désordres du traitement temporospatial (DTTS) de différents stimuli sensoriels, qui à leur tour génèrent les dysfonctionnements comportementaux, moteurs et cognitifs de l’autisme », Gepner et al., (2010 : 9).

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communication ainsi que le développement socio-émotionnel vont être l’objet d’un chapitre séparé en raison du lien avec le sujet de ma recherche. Mais le langage en soi n’est pas concevable sans les autres processus cognitifs. C’est pour cette raison qu'il est important de découvrir les difficultés du développement cognitif de la personne atteinte d’autisme afin de comprendre par la suite la construction et l’expression du langage et notamment l’expression de la référence à soi.

Tous les témoignages des personnes atteintes d’autisme ont quelque chose en commun. Ils attestent tous d’une « perception différente, des difficultés à généraliser, d’une fascination pour des objets qui tournent ou brillent, stéréotypies, règles et routines pour calmer les angoisses et avoir l’impression de maîtriser la situation, peur des émotions, des problèmes de compréhension et de communication, d’un sentiment de solitude, de différence » (Chamak, 2005 :18).

Selon Lawson, une personne avec Asperger (Lawson, 2011: 17), les spécificités cognitives de la personne atteinte d’autisme sont les suivantes: littéralité, monotropisme – recours à un canal unique (deux concepts voisins) – pensée figée avec absence de généralisation des apprentissages, absence de priorités sociales, difficultés dans la gestion du temps et du mouvement, difficultés à prévoir comment les choses vont se passer, difficultés avec la théorie de l’esprit (manque d’empathie).

Perception et traitement sensoriel

Les difficultés sensorielles et de la perception en général n’ont que récemment commencé à être prises en compte dans la littérature, les spécialistes ne se concentrant que sur la triade autistique, car ces éléments à la base des déficits de la triade étaient les plus observables (Peeters, 1996 ; Bogdashina, 2003).

Pourtant les personnes atteintes d’autisme soulignent qu’à la base, leurs difficultés de communication et de socialisation entrainant un comportement rigide et des stéréotypies sont causées par le traitement sensoriel (Grandin, 1997a, b; Williams, 1992) ; (Gerland, 1997 ; Grandin et Scariano, 1986; Lawson, 1998 ;O’Neill, 1999; Willey, 1999, cités par Bogdashina, 2003).

Dans ce sens, les témoignages des personnes atteintes d’autisme sont très précieux, pour montrer les déficits tactiles, visuelles, auditifs, olfactifs: déficits tactiles (Grandin, 1997a), auditifs (Grandin, 1997b ; Williams, 1994) olfactifs (Stehli, 1991, cité par O’Neil & Jones, 1997: 283), visuels (White & White, 1991, cité par O’Neill & Jones, 1997: 283).

Des études récentes ont montré que les enfants atteints d’autisme ont un retard dans la modalité visuelle et dans l’intégration de l’information audio-visuelle par rapport aux enfants

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neuro-typiques -(Iarocci & McDonald, 2006). D’autres études ont prouvé les difficultés de perception visuelle des mouvements qui affectent la communication et l’interaction sociale (Gepner, 2001), la lecture du regard (Baron-Cohen et al., 1995). D’autres études (Ornitz et al., 1977) ont montré que 70% des enfants atteints d’autisme ont des perturbations au niveau sensoriel avant 6 ans.

En même temps, les personnes atteintes d’autisme ont une manière de fonctionner prioritairement basée sur une manière de penser perceptuelle. Il n’y a pourtant pas de contradiction:

une sensibilité sensorielle, avec un traitement primordial perceptuel peut induire un dysfonctionnement ou des sur-capacités. Traitant ces aspects dans leur ensemble, certains auteurs (Bogdashina, 2003) suggèrent qu’il est plus prudent de parler de types d’expériences sensorielles plutôt que de types de dysfonctionnement sensoriel et c’est cette manière de comprendre ces aspects qui permet de parler dans ce sens d’un autre style cognitif dans le cas de l’autisme.

La spécificité des troubles sensoriels et perceptuels se situe au niveau d’une hypersensibilité ou hyposensibilité, comme les témoignages de Grandin (1997, a,b), Williams (1992) et O’Neill (1999) le montrent. Deux caractéristiques essentielles de cette spécificité sensorielle comme la perception littérale et le monotropisme attirent plus l’attention de par leur importance dans le langage et dans le traitement général de l’information.

La littéralité signifie d’abord que les mots sont compris dans leur sens primaire (à la lettre).

Cela signifie qu’à ce stade, il n’y a pas de vraie signification, mais seulement une signification basique (à la lettre). Ce stade est observable chez les enfants neuro-typiques, (les tous jeunes) mais dans le cas de l’autisme, cela concerne également les personnes adultes :

« Nous les personnes atteintes d’autisme, avons tendance à rechercher la sécurité dans les règles, les rituels et la continuité des rôles. Chacun de ces éléments fait l’objet d’une interprétation littérale, d’une application à la lettre. C’est pourquoi nous sommes vraiment désemparés, lorsque les choses ne se passent pas comme nous l’avions prévu, et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous manipulons notre environnement et ceux avec qui nous le partageons » (Lawson, 2011: 18).

A ce stade de la perception littérale, les étiquettes verbales ne sont pas connectées avec le sens (Bogdashina, 2005). Cela a donc un grand impact sur la généralisation, l’abstraction, la conceptualisation (Williams, 1994)93. Ce type de perception littérale peut être nommée vision littérale : voir le monde tel qu’il est –littéralement, sans aller au-delà des choses (Bogdashina, 2003:

93 Je vais développer ces aspects dans la partie sur le langage et la communication.

123 45).

Le monotropisme est la capacité de se concentrer sur un seul intérêt, tâche, aspect de communication. En effet, une seule modalité est traitée consciemment par le cerveau (Williams, 1994 citée par Bogdashina, 2003: 83). Ce phénomène explique les difficultés d’attention, de concentration, de traitement de l’information chez les enfants et les personnes mises en situation avec des tâches multiples.

Les situations éducatives montrent par excellence que si un enfant est en train de faire un puzzle ou de travailler sur quelque chose, il n’est pas capable de répondre aux questions. Parler et travailler en même temps sollicite plusieurs canaux, plusieurs processus cognitifs et une bonne mémoire de travail, ce qui fait précisément défaut aux personnes atteintes d’autisme94. Le monotropisme engendre une résistance aux changements (ce qui exige de situer les événements dans le temps et par les emplois de temps et les « ritualiser » par les routines) ainsi que des difficultés dans l’interprétation du langage (Lawson, 2011: 21).

Mémoire

Quand on parle de la mémoire, plusieurs systèmes de mémoires sont impliqués: la mémoire courte, la mémoire de longue durée, la mémoire implicite et explicite, la mémoire de travail, la mémoire sémantique et épisodique ( verbale), visuelle et procédurale. D’autres processus cognitifs sont en lien direct avec la mémoire, comme l’apprentissage, l’attention, le souvenir (Gardiner, 2008). Les fonctions essentielles de la mémoire ne la concernent pas directement comme processus cognitif mais plutôt par ce qu’elle induit – les expériences conscientes et l’usage social de la mémoire. Également, il faut bien distinguer une difficulté de mémoire qui peut n’être que la conséquence d’autres processus cognitifs en lien direct avec celle-ci, comme plusieurs études l’ont montré (Minshew et al.,1997 ; Williams et al., 2008).

Les études les plus connues sur la mémoire dans l’autisme sont les études de Hermelin et O’Connor (1970), O’Connor & Hermelin (1967). Selon Gras-Vincendon et al., (2008), la mémoire ne semble pas être perturbée dans son ensemble, mais il semblerait plutôt que différents types de mémoire supposent des processus qui sont déficitaires chez les personnes atteintes d’autisme,

94 Ce phénomène est très présent dans les corpus analysés, et je vais insister sur cet élément dans la partie corpus et dans la partie discussion.

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comme par exemple la mémoire de travail (surtout dans les tâches de mémoire spatiale), la mémoire de longue durée, la mémoire sémantique et la mémoire émotionnelle et de référence à soi. D’autres études ont montré des déficits dans la mémoire de reconnaissance des visages (Hauck et al., 1998), la mémoire évènementielle à court terme (Boucher, 1981) ou la mémoire épisodique dans des tâches concernant des actions effectuées par soi-même et les autres (Russell et al., 1999 ; Hill &

Russell, 2002 ; Zalla et al., 2010)

Au contraire, d’autres études ont montré des performances dans la mémoire auditive à court terme (Hermelin & Frith, 1971). La littéralité dont nous venons de parler et la mémoire visuelle (photographique) sont les meilleures compétences des personnes atteintes d’autisme (Sacks, 1995, cité par Bogdashina, 2003: 105).

Une autre caractéristique de la mémoire des personnes atteintes d’autisme est la mémoire associative ou non-linéaire, en série (Grandin, 1997 a, b ; Williams, 1996)95.

Les personnes atteintes d’autisme (certaines personnes de haut niveau, Asperger mais même des enfants ayant un retard mental modéré) peuvent mémoriser des nombres, des conversations, des localisations spatiales en détail (Bogdashina, 2003: 121). Parmi les meilleurs exemples, on peut noter celui qui est donné par Luria (1987) qui décrit une personne ayant une mémoire hors norme pour les mots, et celui de Temple Grandin qui décrit sa propre manière de fonctionner au niveau de la mémoire visuelle (Grandin, 1997a, b).

95 Tous ces aspects mis en évidence par ces témoignages ne doivent pas nous faire penser que cette manière de fonctionner n’est valable que pour les personnes Asperger et haut-niveau. Entre les personnes de bas niveau et les personnes Asperger et haut-niveau, la grande différence est qualitative, et d’ailleurs même la nouvelle classification DSM V (APA, 2013) – qui a éliminé les sous-types d’autisme, semble soutenir cette idée en présentant les choses en termes de « troubles à risques ». Et c’est cette différence au niveau qualitatif qui fait qu’une personne avec Asperger peut parler de ses difficultés tandis qu’une personne qui n’a pas le langage s’exprime par un comportement inadéquat.

Les difficultés sont les mêmes à la base, mais évidement éprouvés et dépassés en fonction de la sévérité du trouble.

Bien sûr, le retard mental ou l’épilepsie associés à l’autisme compliquent encore les choses. Il ne faut pas oublier que ceux qui sont considérés maintenant comme des personnes atteintes d’autisme de haut-niveau ont eu dans leur enfance, un retard du langage, des anomalies médicales associées, de grandes difficultés communicationnelles et sociales.

Certains ont dû être institutionnalisés, d’autres ont été considérés comme schizophrènes ou dépressifs, d’autres n’ont eu aucune connaissance de leur diagnostic avant l’âge adulte. Cette manière de fonctionner caractérise la personne atteinte d’autisme. L’avantage des personnes de haut-niveau est qu’elles puissent réfléchir à tout cela et en témoigner, mais d’autres ne font que vivre cette différence sans pouvoir en parler. Les travaux de recherche témoignent de ces caractéristiques générales qui éclaircissent ce qu’on appelle la « constellation » des troubles autistiques. Afin de mieux clarifier cette conception qui est d’ailleurs soutenue par la littérature de spécialité (d’ici tout l’intérêt pour les personnes Asperger et haut-niveau qui peuvent témoigner des difficultés de l’autisme), j’ai créé une annexe spéciale (Témoignages) avec des témoignages de personnes atteintes d’autisme, de niveaux différents mais qui sont capables de parler d’elles-mêmes. Leurs témoignages montrent qu’être autiste enfant et devenir autiste de haut-niveau et même Asperger est parfois une loterie. Le passé lourd de ces personnes et les difficultés au niveau existentiel montrent encore une fois ce que sont les racines de l’autisme, malgré toutes les différences qualitatives et quantitatives qu’on peut faire entre les différents profils.

125 L’attention

L’attention est liée principalement aux autres processus cognitifs que nous venons de décrire:

la mémoire et la perception. Elle est également liée à la sélection d’une modalité, par exemple visuelle plutôt que verbale et à un traitement de l’information par un seul canal à la fois (monotropisme) plutôt que plusieurs (pluritropisme). La sélection de certains stimuli en faveur d’autres a été montrée par les études de Lane & Pearson (1982) et Douglas & Peters (1979), cités par Bogdashina (2003: 101). Plusieurs explications des déficits d’attention peuvent être données par la théorie des fonctions exécutives et la théorie de la cohérence centrale. En effet, la sélection des stimuli – ou le traitement local de certaines informations plutôt que d’autres – sont les éléments clés de l’explication des déficits d’attention. L’hyperactivité, qui peut caractériser certains enfants atteints d’autisme, se rajoutent à ce déficit et augmente les difficultés de concentration sur une tâche pour une longue durée. L’imagination aussi est très influencée par la mémoire, par exemple une bonne mémoire peut engendrer une pauvre imagination. Pourtant, une personne peut avoir une imagination pauvre pour inventer des histoires et des situations, mais riche dans d’autres domaines comme la peinture ou la sculpture (Williams, 1996), la création musicale ou l’invention des personnages. Chez les enfants atteints d’autisme, il est très usuel qu’ils aient imaginé leur propre univers à partir de personnages des livres.

L’imitation

Selon Piaget (1972) la tendance à imiter est innée, mais la technique est apprise. De plus, l’imitation peut selon lui être considérée comme une fonction cognitive, à laquelle correspond un modèle de développement en six stades.

Les théories de l’imitation dans l’autisme ont beaucoup changé ces dernières années. Si les premières études (DeMyer et al., 1972, cités par Adrien, 1996) remarquaient les difficultés de ces enfants à reproduire les gestes, les postures et les actions d’autres personnes, Ingersol (2007) atteste que les enfants atteints d’autisme ont plus de difficultés à imiter dans un contexte spontané. Hobson

& Lee, (1999) ont également montré les difficultés des adolescents avec autisme à imiter le style de la personne qui imite. Des études de ces dernières années prouvent pourtant que les enfants atteints d’autisme sont capables dans certaines conditions d’imiter les autres.

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L’étude de Nadel et al., (2004) va dans ce sens. Ils ont bien montré que les enfants pouvaient imiter dans des conditions de confiance, de non contrainte, de motivation et d’ouverture, si on les imitait d’abord. L’imitation pourrait même être un moyen d’interaction sociale qui à son tour faciliterait la manifestation d’autres facultés cognitives. Comme on parle beaucoup de motivation et de manque d’intérêt ou d’intérêts restreints, l’imitation pourrait devenir une sorte de stratégie cognitive de rapprochement social. Selon Rogers & Pennington (1993, cité par Adrien, 1996) - le lien entre les déficits émotionnels, la théorie de l’esprit et l’imitation serait expliqué par un modèle intégratif de développement en « cascade », dans lequel l’absence de certaines capacités empêcherait un développement normal.

Les problèmes moteurs

Les difficultés motrices peuvent être liées aux difficultés sensorielles, comme le schéma de Gepner et al., (2010) l’a bien montré. Mais ce qui semble être le plus atteint au niveau moteur, c’est la motricité fine (34%) plutôt que globale (9%). On observe aussi des maladresses, dyspraxie, dysgraphies, en particulier chez les personnes avec Asperger: la motricité des membres (utilisation des objets), des postures, mimiques et attitudes (hypotonie, 51%), hypertonie), la manipulation d’objets en coordination des mouvements avec autrui sont définitaires.

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