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Chapitre 3. Langage et communication du jeune enfant neuro- neuro-typique et avec autisme: l’acquisition de la référence à soi

3.1 La référence à soi dans le langage et la communication de l’enfant neuro-typique

3.1.2 Acquisition de la référence à soi chez l’enfant neuro-typique .1 Remarques générales

3.1.2.5 Changements et non -changements pronominaux

J’utilise ici ce terme d’ « erreur pronominale » en suivant tout simplement la littérature. Par contre, dans la conception dans laquelle je me situe, je considère ces « erreurs » comme des formes différentes d’usage présentes soit dans des différentes étapes d’acquisition du langage, soit comme étant la conséquence d’une autre cognition, comme c’est le cas de l’autisme. Dans la prochaine section, je parlerai de ces formes comme des formes non-standard ou des formes non-standard de la référence à soi en suivant le point de vue de Morgenstern (1995, 2006a).

Bien que les erreurs pronominales chez les enfants neuro-typiques ne soient pas nombreuses, elles se produisent pourtant en compréhension et en production. Ces différents types d’erreurs pronominales ont fait l’objet de nombreuses études en psycholinguistique.

Selon la littérature de spécialité, il s’agit essentiellement de deux types d’erreur: l’inversion pronominale ou le renversement pronominal, et la substitution du pronom à la première personne par le nom propre (Chiat, 1986). L’inversion pronominale peut être de plusieurs types: l’inversion du pronom de 1ère personne avec le pronom de 2e personne ; l’inversion du pronom de 1ère personne avec le pronom de 3e personne voire du pronom de 2e personne avec la 3e personne. Ces erreurs pronominales se manifestent tant en compréhension qu’en production, de façon différente (plus d’erreurs dans l’expression que dans la compréhension). Il me semble en fait que le terme d’inversion pronominale ne soit pas approprié pour deux raisons. D’abord, il ne s’agit pas d’une inversion mais plutôt d’une non-inversion ou mieux d’un changement pronominal non-standard

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que l’enfant fait dans le contexte. Deuxièmement, ce terme d’inversion ne couvre donc pas toutes les situations possibles. En effet, il faut faire la différence ici entre la substitution des pronoms, quand l’enfant utilise spontanément un pronom à la place de l’autre, et le vrai «non-changement » (ou non-inversion) en contexte. Dans ce dernier cas, dans la conversation, dans l’échange de discours « je »-« tu » ou « tu »-« je » ou « tu »-« il », l’enfant utilise le mauvais pronom, sans faire le changement de référence (schifting reference) et la prise de perspective (perspective taking). Et par ailleurs, la difficulté est justement de ne pas faire le changement pronominal ou de faire un changement pronominal inadéquat.

En même temps, dans le cas des vraies inversions, il est difficile de saisir s’il s’agit d’une erreur pronominale ou d’une écholalie. L’écholalie est la répétition des mots d’une autre personne d’un autre discours immédiat ou différé (mémorisé et exprimé à un autre moment). En effet, seul le contexte d’usage avec tous ses éléments pragmatiques – les gestes, les émotions, le regard, les paroles dites avant et les paroles d’après – peuvent dans la plupart des exemples mettre en évidence les cas des erreurs pronominales.

Exemples104:

a) inversion pronominale « je » pour « tu » et « tu » pour « je »

1. « tu » pour « je », par la répétition du même pronom, qui semble être confondue avec l’écholalie

Question: « Comment tu t’appelles ?» Réponse: « Tu t’appelles x » Or la réponse correcte aurait été: « Je m’appelle x»

2. « je » pour « tu »

Maman qui dit: « Comment je m’appelle ? ». L’enfant: « Je m’appelle maman.»

Réponse correcte: « Tu t’appelles maman.»

b) Substitution de « je » par le nom propre

Marie: « Marie veut jouer ». Énoncé correct: « Je veux jouer ».

c) Substitution de « je » par « tu » et « tu » par « je » dans des énoncés spontanés 1) « Tu vas demain l’école (en parlant de soi-même) ».

2) « Je m’appelle maman ».

d) Substitution du « je » par « il » ou « elle ».

104 Ces exemples sont similaires à des exemples que nous avons rencontrés dans des différents corpus ou articles.

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« Il » veut du chocolat (en parlant de soi-même).

Causes des erreurs pronominales

Il est important de noter, en premier lieu, que la plupart des recherches concernant les erreurs pronominales sont faites dans une perspective linguistique, sans impliquer d’une façon détaillée les autres niveaux cognitifs et le niveau émotionnel.

Deuxièmement, il est très important de comprendre quelles sont les causes possibles de ces erreurs dans le développement normal et comment devrait fonctionner l’usage de « je», afin de mieux comprendre les déficits de l’acquisition des pronoms chez les enfants atteints d’autisme.

Troisièmement, il faudrait situer l’âge d’acquisition qui est essentiel car cela permet de déterminer dans quelle mesure il s’agit d’un simple retard dans le développement normal et dans l’acquisition des expressions déictiques. A i n s i , o n situe l’acquisition des pronoms entre deux et trois ans, mais cela peut dépendre de chaque enfant.

Ainsi, si l’on tient compte des caractéristiques des indexicaux et des stratégies d’apprentissage, on observe bien que les causes des erreurs pronominales résident soit dans un développement cognitif différent qui ne permet ni de saisir ni d’appliquer les processus adéquats dans le discours, comme le changement de rôles conversationnels ou de référence, soit dans une attention trop dirigée (voire figée) vers l’autre et qui ne permet pas non plus le changement de perspective

Un bon aperçu des difficultés d’usage des expressions déictiques et des erreurs pronominales est donné par les études expérimentales et l’analyse des corpus.

Dans son étude longitudinale sur 6 enfants, Chiat (1978) a signalé la substitution fréquente du pronom personnel à la 1ère personne avec le nom propre et parfois même dans un énoncé contenant une forme correcte du pronom. Dans l’étude des productions d’un garçon de langue anglaise, (de 2;04 -2;06 ans) Chiat (1982) a montré que plusieurs erreurs pronominales sont produites plutôt dans le cas de l’interlocuteur que dans la référence à soi.

Le renversement pronominal a été également observé dans l’étude de Dale & Crain-Thoreson (1993). Plusieurs facteurs de nature linguistique et cognitive ont été signalés – parmi les plus importants: l’habilité à suivre l’attention de l’autre, la compréhension de soi et d’autrui, la capacité de decentration (opposée à l’égocentrisme). Toutes ces explications rejoignent l’hypothèse du Processing Complexity hypothesis qui suppose que les enfants échouent dans le

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changement de référence parce que leurs ressources de traitement psycholinguistique sont insuffisantes. L’enfant doit d’abord saisir la di

mension dialogique du langage. Or pour l’enfant c’est difficile de comprendre le fonctionnement des pronoms parce que tous les autres mots qu’il utilise ne dépend pas de l’énonciateur et de son rôle en dialogue et ont une référence stable.Toutes ces capacités sont liées à la compréhension des états mentaux des autres et au changement pronominal dans le discours (Bates, 1990 ; Dale & Crain-Thoreson, 1993).

L’influence de l’input dans l’usage des pronoms

Oshima-Takane (1992) qui suit l’hypothèse du role name hypothesis de Clark (1978) considère que le renversement pronominal de « je » et « tu » est la conséquence d’une confusion sémantique ou d’une mauvaise compréhension du fonctionnement des pronoms. Elle suggère qu’une observation de l’input pourrait expliquer les erreurs pronominales, notamment le fait que l’enfant n’entende pas suffisamment l’adulte utiliser « je » et « tu », et donc qu’un modèle correct du pronom n’est pas donné directement à l’enfant. De plus, les parents ne corrigent presque jamais les inversions pronominales, ce qui n’aide pas les enfants à utiliser correctement les pronoms. Il est évident que c’est difficile de corriger les enfants dans leur usage des pronoms, vu le changement des pronoms dans le discours, mais cela peut se faire par un modèle métalinguistique explicite ;

« tu dis « je » ». Dans une autre étude (1988), Oshima-Takane analyse l’échange mère–enfant et souligne l’importance d’un modèle correct. Afin de comprendre le lien entre les rôles dans le discours et l’usage des pronoms, il est important que l’enfant entende par exemple l’usage de « tu » adresé à quelqu’un d’autre que lui.

Une autre étude de Laks et al., (1990 :28 ) souligne le fait que les mères utilisent le pronom de la première personne (« I » et « me »), qu’elles utilisent plus le pronom de la première personne pluriel avec les filles qu’avec les garçons. Les pronoms suivants ont été observés: me, mine, my, you, your, yours, we. La LME pour l’enfant, le nombre d’énoncés pour la mère et l’enfant et le nombre de réponses donnés par la mère ont été calculés. Les enfants ont passé également des tests de langage (Receptive language test, Bayley Scales of Infant development, Stanford –Binet Intelligence Test à 5 ans et WISC à 8 ans, des tests à l’âge de 24 mois, et à 8 ans pour vérifier le rapport entre des compétences pronominales expressives tardives de l’enfant et l’influence de la mère ou les compétences expressives de l’enfant). Le niveau linguistique de 2 ans ne prédit pas la

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compétence de l’enfant plus tard, mais le nombre d’énoncés à 2 ans est lié à son WISC à l’âge de 8 ans.

En partant de la distinction entre auto-rectification et hétéro-rectification de Leroy et al., (2010) voici ici un exemple de rectification prototypique (la mère donne le modèle de l’énoncé correct) dans le corpus de Madeleine, du Corpus Paris (Morgenstern & Parisse, 2007) exemple commenté en Morgenstern et al., (2013) ; Pontoux et al., (2014) :

Exemple 5 – Madeleine 2;04

*MOT: t'es bien dans tes chaussures ?

*CHI: oui.

*CHI: j'ai (est ? es ?) bien.

*MOT: bon # je suis bien.

*CHI: je suis bien.

L’étude de Smiley et al., (2011) considère que les différences individuelles dans la production pronominale des enfants pourraient être le résultat des mécanismes différents comme réponse à l’input. Par ailleurs, les explications de Deutsch et al., 1997 (cités par Chumak-Horbatsch, 2003) mettent en évidence le rôle de la famille sur le développement linguistique et cognitif, et considèrent que les enfants des familles avec fratries font moins d’erreurs pronominales que les enfants uniques et intègrent plus rapidement le modèle pronominal adulte.