• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3. Langage et communication du jeune enfant neuro- neuro-typique et avec autisme: l’acquisition de la référence à soi

3.2 La référence à soi dans le langage et la communication de l’enfant atteint d’autisme

3.2.2 La référence à soi chez les enfants atteints d’ autisme .1 Remarques générales

3.2.2.3 Aspects de l’usage de la référence à soi

Dans un deuxième temps, ces exemples nous permettent d’observer qu’il est difficile pour l’interlocuteur de départager l’écholalie (la répétition automatique) d’un mauvais usage de « je » ou « tu ». La répétition pourrait être lé résultat d’un manque de compréhension, d’un fonctionnement des déictiques comme les noms propres, d’une influence de l’input ou même d’une stratégie d’usage en absence de moyens cognitifs de le faire autrement.

Il en résulte la question suivante: en quoi consistent réellement les difficultés liées à l’usagede « je », à la compréhension de la règle (« je » réfère au locuteur) ou à la production de « je » ?

Afin de répondre à ces questions, je vais procéder d’abord à l’examen des études expérimentales et des corpus sur l’usage des pronoms personnels et, ensuite, j’apporterai une critique des différentes interprétations de ces difficultés.

3.2.2.3 Aspects de l’usage de la référence à soi

L’écholalie

L’écholalie est définie comme la répétition en écho des mots. Elle s’intègre dans le langage des enfants atteints d’autisme (Schuler, 1979 ; Fay, 1969 ; Prizant, 1983). L’écholalie peut être immédiate, suite à un énoncé d’un interlocuteur ou différée - un énoncé entendu à un autre moment est repris à un certain moment, sans laisser comprendre le lien avec le contexte actuel du discours).

187

C’est le cas d’ailleurs des chansons, des publicités, des exemples de films ou, tout simplement, des paroles des personnes de l’entourage de l’enfant atteint d’autisme. L’écholalie est un phénomène assez subtil, car il doit être à la fois différencié d’une répétition à la demande de l’interlocuteur, ou même d’une répétition avec l’objectif de transmettre quelque chose par l’enfant et, en même temps, elle peut être liée aux stimulations verbales que l’enfant atteint d’autisme peut avoir pendant une conversation.

Elle fait néanmoins partie d’une étape nécessaire de la mise en place progressive du langage chez l’enfant neuro-typique, mais peut devenir une contrainte dans l’apprentissage du langage chez l’enfant atteint d’autisme, étant par ailleurs avec l’inversion pronominale un signe clinique de l’autisme chez le jeune enfant.

La plupart des recherches sur l’écholalie ont donné donc lieu à deux positions opposées.

D’une part, l’écholalie a une signification car elle peut avoir ainsi une fonction communicative (Sterponi & Shankey, 2014). Par conséquent, elle devrait être donc encouragée et même développée dans les programmes éducatifs (Wetherby, 1986 ; Prizant & Duchan, 1981 ; Kanner, 1943) et les interventions orthophoniques. D’autre part, on considère que l’écholalie n’a aucune fonction communicative et qu’elle ne devrait pas être encouragée (Bernard-Opitz, 1982).

L’écholalie semble être une étape importante dans l’acquisition du langage même chez les enfants neuros-typiques, mais elle se transforme assez vite dans un langage soutenu, une fois que l’enfant commence à différencier entre sa propre perspective et celle des autres. L’écholalie apparaît dans la conversation et beaucoup dans l’usage de la référence pronominale et elle a comme conséquence dans le discours le non-changement de référent et le non-changement de perspective des locuteurs et interlocuteurs. Il est difficile dans l’usage des pronoms de faire la distinction entre l’écholalie fonctionnelle, l’écholalie stimulation et l’écholalie-jeu108.

En même temps, l’exercice de l’écholalie permet à l’enfant de bien maîtriser par la répétition les rectifications de l’adulte, pour que l’enfant produise finalement des énoncés corrects dans un contexte approprié. En effet, l’analyse de corpus permet de voir, d’une part, le sens qu’une écholalie peut avoir dans le discours de l’enfant et, d’autre part, que l’enfant lui-même est dans un processus continu de répétition (comme par la pratique du chuchotement qui permet à l’enfant de répéter pour lui-même) bien présente dans le discours. Également, un autre élément important est

108 L’analyse de mon corpus autisme est le meilleur exemple que je peux avoir dans ce contexte. Elle va permettre de faire une analyse plus fine de l’écholalie et de l’impact de l’écholalie dans l’expression de la référence à soi.

188

que les enfants atteints d’autisme ont une très bonne mémoire verbale et que cela peut expliquer aussi l’existence d’une écholalie différée. Mais les situations écholaliques ne sont pas toutes des situations de communication, et l’écholalie stéréotypée occuppe une place importante dans le langage de l’enfant atteint d’autisme.

Prise de perspective et théorie de l’esprit chez les enfants atteints d’autisme

Dans le sous-chapitre précédent, j’ai mentionné à deux reprises le rôle de la prise de perspective dans la communication sociale en général, chez les enfants neuro-typiques et dans l’usage de la référence à soi chez les enfants neuro-typiques, notamment sous la forme d’une perspective visuelle qui anticipe la prise de perspective du locuteur et l’interlocuteur (Loveland &

Landry, 1986). J’ai également montré que la prise de perspective est un aspect de la théorie de l’esprit.

Que se passe-t-il dans le langage des enfants atteints d’autisme et en particulier dans l’expression de la référence à soi et avant tout à quoi est reliée la prise de perspective conversationnelle ? Deux approches, développementale (Baron-Cohen, 1995; Howlin, 1989) et comportementale-fonctionnelle proposent une compréhension de cet aspect de la théorie d’esprit.

Une nouvelle approche RFT (Relational frame theory interventions for Perspective-taking Deficits, Hayes et al., 2001) considère que perspective taking est un ensemble d’habilités relationnelles dérivées, basées sur notre compréhension de nous-mêmes (self), de l’espace et du temps (McHugh et al.,2009: 281). Cette théorie comportementale permet en effet de dissiper l’opposition apparente entre les deux grandes approches (que nous venons de mentionner). Ce qui est important dans cette approche est que la référence à soi est incluse et on peut mieux comprendre les difficultés que les enfants atteints d’autisme peuvent avoir dans l’expression de la référence à soi. Par exemple, la prise de perspective suppose trois types de relations: « I versus you », « here versus there », « now versus then » (McHugh, 2009 et al., McHugh & Stewart, 2012).

Si on fait toutes les combinaisons possibles entre ces trois types de relations, on voit combien de situations possibles l’enfant doit intégrer dans sa compréhension. Cela justifie, en effet, que la difficulté de la perspective taking dans l’usage des pronoms personnels n’est pas uniquement liée au changement entre « je » et « tu », et, des tâches simples et concrètes peuvent montrer que l’enfant peut comprendre qui est le locuteur et qui est l’interlocuteur. La difficulté est que ce changement de rôles est perçu dans un contexte plus large, le plus souvent avec les autres relations

189

incluses (espace et temps) ou d’autres éléments présents dans la conversation. La conclusion est que le lien entre la perspective taking et l’usage des pronoms dans le contexte est encore plus complexe que cela n’apparaît et cela explique toutes les difficultés que les enfants atteints d’autisme peuvent avoir avec ce type d’usage.

3.2.2.4 La référence à soi versus usage des pronoms à travers