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CHAPITRE 2 État de la question et cadre méthodologique 43

2. Établissement d’un corpus et bricolages méthodologiques 72

2.2 Sélection du corpus 75

D’emblée, il faut préciser que tous les auteurs sélectionnés ont été choisis du fait que leur écriture affichait certaines caractéristiques pertinentes telles que définies précédemment (motifs sonores). Ces caractéristiques, soulignées soit par les écrivains eux- mêmes, soit par la critique, ont été vérifiées par une lecture préalable. Si cette remarque peut avoir des allures de truisme, elle vise à écarter toute prétention de ma part à établir une quelconque preuve selon laquelle la littérature africaine (au singulier, prise donc globalement et envisagée comme structure homogène) afficherait systématiquement un jeu sur les signifiants. Il s’agit plutôt de faire valoir dans quelle mesure certaines écritures méritent d’être examinées sous cet angle précis, puis d’examiner la façon dont cette poétique sonore a été recréée en traduction. Ces textes constituent une matière propice à

réfléchir de manière plus générale à la traduction de schèmes sonores. Autrement dit, même si le caractère « africain » de ces textes est loin d’être instrumental, comme l’a montré Kouadio (2005) avec beaucoup de nuances, cette dimension ne constitue pas non plus une finalité en soi.

Parmi les critères pragmatiques de sélection (pour les distinguer des critères d’ordre idéologique ou théorique qui ont fait l’objet de la section précédente), celui relatif à l’existence d’une traduction publiée, soit en anglais (pour les ouvrages écrits en français), soit en français (pour ceux écrits en anglais) occupait de toute évidence la première place. Cette condition sine qua non (nécessité d’une traduction anglaise ou française) a été source de frustration, dans la mesure ou certains des ouvrages préconisés, c’est-à-dire se prêtant particulièrement bien au sujet d’étude, n’ont jamais fait l’objet d’une traduction (en anglais ou en français, selon le cas de figure) publiée par une maison d’édition100. Une exploration

de l’Index Translationum de l’Unesco et de sites complémentaires souligne d’ailleurs le fait que les littératures africaines francophones et anglophones sont encore bien souvent engagées dans un dialogue muet101, étant donné le faible taux de traduction de ces

100 Il aurait été particulièrement intéressant de pouvoir travailler sur une traduction des Écailles du ciel de

Tierno Monénembo (1986).

101 Et le manque flagrant de performance de l’outil lui-même (voir Heilbron 1999 qui énumère ses limites et

lacunes). À titre d’exemple, Index Translationum ne mentionne aucun des ouvrages traduits de Mabanckou, Waberi, Monénembo, ou encore d’Armah (site consulté le 24 juin 2010). Batchelor se plaint aussi de son indigence, soulignant que près de 50 % des 73 traductions en anglais répertoriées ailleurs y brillaient par leur absence (2009, p. 19). Les autres ressources de Batchelor consistaient en la base de données du LITAF (http://www.litaf.cean.org/), et de Worldcat (http://www.worldcat.org/).

ouvrages. Le tableau qu’Ojo dressait de la situation en 1986 est donc toujours d’actualité et valable pour les échanges entre littératures francophones et anglophones :

« But as at present, not enough has been done to reveal the rich vitality of African literature, through translation. For example, texts written in Spanish and Portuguese have not been very much affected by translation into English and French; so too have very few texts written in English and French managed to cross over to the other two linguistic communities through translation » (Ojo 1986, p. 299).

Batchelor (2009) a recensé tous les ouvrages romanesques francophones subsahariens traduits en anglais jusqu’en 2008. Parmi les 16 pays répertoriés, le pourcentage de traductions publiées en anglais varie entre 0 % et 11,9 % par pays, ces pourcentages franchissant toutefois très rarement le seuil de 4 %. Par ailleurs, les seuls auteurs dont l’ensemble de l’œuvre a été traduit se comptent sur les doigts de la main (Bâ, Laye et Oyono), tandis qu’aucun auteur ne semble bénéficier d’une politique éditoriale suivie si ce n’est Laye, dont toutes les traductions anglaises parues au Royaume-Uni ont été publiées chez Fontana Press102 (Batchelor 2009, p. 18). Le Grand Prix littéraire d’Afrique noire ne constitue manifestement pas une reconnaissance suffisante pour les éditeurs anglophones103 : si Tierno Monénembo, écrivain guinéen de langue maternelle peule, a reçu cette distinction en 1986 pour Les écailles du ciel, aucune traduction en anglais n’a été publiée à ce jour. Or, ce texte offrait un potentiel d’analyse très riche, pouvant être mis en relation avec les recherches réalisées par Christiane Seydou (1991) sur la rhétorique sonore

102 Ce qui n’est pas le cas pour les éditions américaines de Laye, successivement publiées chez Collier,

Vintage et New York Review Books (Batchelor 2009, p. 18).

des bergers peuls (voir plus haut), notamment allitérations104, répétitions (anaphores et parallélismes), chiasmes, variation consonantique sur répétition vocalique et vice-versa (Seydou 1991, p. 26).

Les deux critères suivants, soient l’aire géolinguistique des écrivains et la date de publication des ouvrages, ont été établis afin d’éliminer certains biais pouvant nuire soit à l’analyse, soit à la discussion. Sélectionner par exemple des écrivains partageant à la fois la même langue maternelle, la même langue d’écriture et la même origine géographique aurait sans doute quelque peu appauvri la discussion105. Toujours dans la même optique de minimiser d’éventuels biais, j’ai évité de retenir des textes datant d’époques littéraires trop disparates. En effet, si l’on en croit la critique (voir notamment Gérard 1986, Sévry 1998, Bandia 2008), la créativité langagière a longtemps été bridée chez les écrivains africains d’expression française, contrairement à leurs homologues anglophones, qui disposaient d’une plus grande marge de manœuvre. Par conséquent, il semblait plus cohérent de sélectionner des ouvrages relativement récents; en outre, ce choix offre l’avantage d’échapper aux canons de la littérature africaine (Achebe, Okara...) qui ont déjà fait l’objet d’une attention soutenue.

104 La quête d’allitérations fait partie des règles stylistiques de base du jammoje na’i, un des genres littéraires

pastoraux étudiés par Seydou. La règle allitérative et l’hermétisme qu’elle induit caractérisent également la poésie orale somalie; à ce titre, bon nombre de parallèles pourraient être établis entre ces deux types de poésie.

105 Ce qui pourrait être le cas en sélectionnant par exemple Achebe et Adichie, tous deux Nigérians, de langue

Les ouvrages retenus pour l’analyse de corpus sont ceux de Nuruddin Farah (Secrets [1998], traduit par Jacqueline Bardolph, Secrets [1999]), d’Abdourahman Ali Waberi (Le Pays sans ombre [1994], traduit par Jeanne Garane, The Land without Shadows [2005]), de Jean-Marie Adiaffi (La carte d’identité [1980], traduit par Brigitte Katiyo, The Identity Card [1983]), de Chenjerai Hove (Ancestors [1996], traduit par Jean-Pierre Richard, Ancêtres [2002]), d’Ayi Kwei Armah (The Beautyful Ones Are Not Yet Born [1968], traduit par Josette et Robert Mane, L’Age d’or n’est pas pour demain [1976]) et d’Assia Djebar (L’Amour, la fantasia [1985], traduit par Dorothy Blair, Fantasia, an Algerian Cavalcade [1993]). Les dates mentionnées ci-dessus correspondent à celles des premières éditions, qui peuvent différer des éditions utilisées ici.