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Section 1: Vers une autre approche de la sécurité face aux nouveaux enjeux globaux

1.2. De la sécurité élargie à la sécurité environnementale

À l’issue de cette première période de réflexion, dont l’apport principal réside dans la reconnaissance de la nécessité de repenser le concept de sécurité- en se posant la question de la pertinence de la mise en relation des problèmes environnementaux avec la

sécurité129-, la recherche sur la sécurité environnementale entre dans une deuxième phase,

plus concrète, en cherchant à établir des liens empiriques entre sécurité et environnement. Un sous-thème essentiel du débat sur la sécurité environnementale est matérialisé par un questionnement sur l’environnement, en tant que source potentielle de crises, menaçant la sécurité nationale. Ici, l’État et le concept de sécurité nationale, se trouvent au centre de l’analyse.

L’hypothèse se base sur le postulat selon lequel le changement environnemental global, la rareté en ressources, l’inégalité de l’accès aux ressources ou l’inégalité de la capacité à répondre aux crises, pourraient, par une série d’interactions, déclencher des conflits entre les États ou au sein d’un État particulier130. Parmi les travaux, qui illustrent le mieux cette

seconde génération de recherche, figure l’école de Toronto, dont Thomas Homer-Dixon

représente la figure de proue131. L’école de Toronto base, en effet, son étude sur le lien

entre la déplétion des ressources naturelles et les tensions sociales. Sur base d’une étude empirique, si les résultats de ces recherches n’établissent pas de lien direct entre dégradation environnementale et conflit interétatiques, ils reconnaissent cependant que ces phénomènes peuvent avoir des conséquences indirectes sur la sécurité, au travers,

127 O. WAVER, “Securitization and Desecuritization”, in R. LIPSCHUTZ (dir.), On Security, New York, Columbia

University Press, 1995, p. 56.

128 Voy. nos développements infra sur la sécurité écologique.

129 M. LEVY, 1995, “Is the Environment a National Security Issue?”, International Security, 1995, volume 20, n° 2, pp.35-62; C. RØNNFELD, “Three Generations of Environment and Security Research”, Journal of Peace Research, 1997, volume 34, n° 4, pp. 473-482.

130M. HUFTY, « La sécurité environnementale, un concept à la recherche de sa définition », in C. SERFATI (éd.), Une économie politique de la sécurité, Paris, Karthala, 2009, p. 139.

131 TH. HOMER-DIXON, “On the Threshold: Environmental Changes as Causes of Conflict”, International

Security, 1991, volume 16, n° 2, pp. 76-116; TH. HOMER-DIXON, “Environmental Scarcities and Violent

notamment, des phénomènes migratoires qu’ils entraînent. La fragilisation de l’État est, certes, également présentée comme un facteur aggravant, dans la gestion des aspects de sécurité liés à l’environnement, tout en rappelant que la raréfaction des ressources renouvelables peut, elle-même, devenir une cause de fragilisation de l’État.

A la même période, en Europe, l’école de Toronto trouve son pendant avec le projet de l’Association pour le Progrès Scientifique et les Conflits Environnementaux

(ENCOP), dirigé par le suisse Günther Baechler de la Fondation Suisse pour la paix et

par Thomas Spillmann de l’Université technique de Suisse132. Leurs recherches, à l’instar

de leurs collègues canadiens, sont principalement empiriques et s’inspirent d’une conception malthusienne du sujet. Selon ce programme de recherche, appuyé par de

nombreuses études de cas133, les conflits « environnementaux » montrent un lien entre la

violence et les conditions environnementales initiales.

Ils affirment, ainsi, que la violence est plus susceptible de se développer dans les régions marginales, caractérisées par de fortes tensions écologiques. Leurs études concluent également que de telles tensions peuvent être provoquées par le passage de l’autosubsistance à l’économie de marché, la marginalisation de structures sociales adaptées à l’environnement local ou encore les tentatives d’appropriation des ressources pour des projets de « développement », une notion que Gunther Baechler qualifie de « mal développement ». Les facteurs socio-politiques constituent donc une variable

essentielle de ce modèle134.

En Californie, le programme « Global Environmental Change and Human

Security » (GECHS), dirigé par Richard Matthew135, examine le degré de vulnérabilité

des populations face aux modifications de leur environnement, notamment les changements climatiques. Ce programme prend comme point focal le bien-être et la survie des individus, au-delà de celui des États, retenant les idées directrices du concept de « sécurité humaine ». Ces recherches rejoignent parfois les études du projet ENCOP,

132 G. BAECHLER & K. SPILLMAN, Environment and Conflicts Project (ENCOP): International Project on

Violence and Conflicts Caused by Environmental Degradation and Peaceful Conflict Resolution, Centre for

Security Studies, 1995, p. 1-185; G. BÄCHLER, Violence through Environmental Discrimination, Dordrecht,

Kluwer, 1999; G. BÄCHLER, V. BÖGE, S. KLÖTZLI, S. LIBISZEWSKI & K. SPILLMANN, Kriegsursache

Umweltzerstörung, Zurich, Rüegger Verlag, 1996; G. BAECHLER, K. SPILLMANN & M. SULIMAN (eds.),

Transformation of Resource Conflicts: Approach and Instruments, Bern, Peter Lang, 2002.

133 Le programme est appuyé par de nombreuses études de cas, principalement en Afrique et dans une moindre

mesure en Asie.

134G. BAECHLER, 1999, op. cit.

lorsqu’elles conduisent à s’interroger sur les liens de corrélation entre pauvreté, ressources et conflits, en affirmant que les régions les plus pauvres sont les plus affectées par les conflits liés aux ressources naturelles136.

Les recherches de l’Institut de recherche pour la paix (PRIO), à Oslo, dirigées par

Nils-Petter Gleditsch, au début des années 2000, font également partie des études

pionnières de référence en matière de sécurité environnementale. La particularité de l’approche est, ici, d’appréhender le lien entre environnement et conflit sous l’angle

spécifique des interactions entre ressources naturelles abondantes et conflit137. Cette

théorie, plus connue sous le nom de « conupicianisme », adopte une approche opposée aux thèses néomalthusiennes et est souvent présentée comme la théorie de l’abondance face à celle de la pénurie. Pour les défenseurs de cette théorie, la violence dans les pays en développement serait issue de la volonté de contrôle de ces ressources abondantes (exemples des diamants au Sierra Leone ou du pétrole au Moyen Orient).

Un certain nombre d’études ultérieures ont repris ces arguments, en replaçant la violence autour de l’accès aux ressources, dans le cadre plus large d’une étude des facteurs

environnementaux porteurs de potentiel conflictuel138.

Enfin, fondé en 1994, le programme « Environmental Change and

Security Project » du Woodrow Wilson Center for Scholars, dirigé par Geoffrey

Dabelko, a largement contribué au dialogue entre les différents programmes de

recherche et continue, aujourd’hui encore, à suivre les études et discussions sur la

question139. Il est, en effet, un des premiers programmes à mettre en lumière ce

thème de recherche aux États-Unis, à travers ses publications, notamment la revue

Environnemental Change and Security Project Report140 et l’organisation de

manifestations scientifiques. Ce projet entend promouvoir le dialogue entre les

chercheurs et les décideurs publics et agit à travers quatre thématiques: «

environnement et sécurité »; « population, santé et environnement »; « l’eau » et enfin un sous- programme spécifique centré sur la Chine et

136 La notion de pauvreté est ici entendue en référence aux critères établis par le Programme des Nations Unies pour le Développement, http://hdr.undp.org/fr/content/indice-de-la-pauvret%C3%A9-multidimensionnelle-ipm

137 N. P. GLEDITSCH & O. THEISEN, “Resources, the Environment and Conflict”, The Routledge Handbook of Security Studies, 2010, pp. 221-232.

138 Voy. en particulier les travaux de N. PELUSO & M. WATTS dans Violent Environnements, 2001, op. cit.

139 Environmental Change and Security Project, https://www.wilsoncenter.org/about-28; Pour une présentation

du programme à ses origines, voy. Environmental Change and Security Project Report, Universities of California Libraries, 1995.

visant à promouvoir le dialogue sino-américain sur les thématiques environnementales et énergétiques.

Dans la lignée de cet élan scientifique, l’OTAN est une des rares organisations

internationales à s’être intéressée de près à la question de la sécurité environnementale et ce, dès les années 1990. Les motivations de ces recherches sont souvent critiquées par la

doctrine141 car peu empreintes d’idéalisme. Il s’agissait en effet, à l’époque, de trouver de

nouvelles missions à cette organisation, à la recherche d’une raison d’être après la chute du bloc communiste. Les chercheurs du Comité de l’OTAN sur les défis de la société moderne (CCMS), sous l’impulsion des États-Unis et de l’Allemagne, se sont ainsi lancés dans une recherche approfondie sur les liens entre environnement et sécurité.

Leurs conclusions semblent rejoindre, assez largement, les conclusions des recherches

académiques développées précédemment, en suggérant que les questions

environnementales doivent être appréhendées à travers une série complexe de

manifestations, dont certaines peuvent conduire à des conflits142. L’enchevêtrement de

ces syndromes est présenté comme une preuve que la notion d’environnement, en tant que facteur de conflit, est une notion trop large pour être d’une utilité analytique certaine. Toutefois, l’équipe de recherche de l’organisation de sécurité suggère que

l’environnement reste un facteur de changement social important143. À l’issue de ce

projet de recherches, l’OTAN continuera de s’intéresser à la question, en pointillé, avec l’organisation de conférences et la mise en place de de nombreux groupes de travail, visant à favoriser le dialogue sur ces questions et dont les travaux se poursuivent encore

aujourd’hui144.

Après la période faste des années 1990, où la sécurité environnementale a, pendant quelque temps, occupé une place de choix dans les priorités de recherches en Europe et outre-Atlantique, les attentats du 11 septembre 2001 porteront un coup dur à la visibilité politique du concept et, par conséquent, indirectement, à l’abondance de la littérature académique sur le sujet. Les attaques terroristes aux États-Unis ont, en effet, renforcé la

141 S. DALBY, H. G. BRAUCH & Ú. OSWALD SPRING, “Facing Global Environmental Change, Environmental

Security Concepts Revisited During the First Three Phases (1983-2006)”, Hexagon Series on Human and Environmental Security and Peace, 2009, volume 4, p.782.

142 K. LIETZMANN, & G. VEST, Environment and Security in an International Context, Brussels, NATO, 1999, Report 232.

143 Ibid. p. 55.

144 Voy. le Programme de l’OTAN pour la sécurité via la science, http://www.nato.int/science/publication/pdf/environment-f.pdf.

position des promoteurs des concepts de sécurité dure, atténuant par là de manière

notable, l’intérêt pour les questions d’environnement et de sécurité145. Une nuance est

cependant à apporter, par rapport aux développements pré guerre froide. En effet le

contexte de 2001 est différent et reconnu par tous comme tel146. On n’assiste donc pas à

un retour en arrière dans les doctrines de sécurité, le développement du terrorisme international étant, ici, reconnu comme un des nouveaux défis du monde moderne. De ce fait, il ne peut être appréhendé en suivant les méthodes d’analyse en vigueur dans les années 1970.

Le terrorisme, dans ses formes actuelles, partage ainsi avec l’environnement un caractère transnational, faisant fi des frontières politiques existantes. Il demande également, à l’instar de la sécurité environnementale, une approche coopérative transnationale. Toutefois, pour les promoteurs de la sécurité traditionnelle, il est éminemment plus facile à appréhender car, contrairement au stress environnemental, il vise souvent, plus particulièrement, un État ou une catégorie définie d’individus. L’identification claire de la cible rend donc, en termes analytiques du moins, l’appréhension de la menace plus aisée et les impacts visibles et dramatiques sont, de leur côté, plus faciles à communiquer

au grand public que les hypothétiques atteintes à la biosphère147.

Dans ce contexte, les débats sur la sécurité environnementale perdront rapidement leur place dans l’agenda politique européen et américain. Il convient toutefois d’apporter une légère nuance à ce constat. En effet, par le biais du débat sur le changement climatique, la notion de sécurité environnementale parviendra à garder une certaine place dans les débats. Dans la famille des parents pauvres de la sécurité, le changement climatique occupe en effet une place privilégiée et, a fait et fait encore aujourd’hui, l’objet d’une attention plus poussée que la notion de sécurité environnementale, qui lui est étroitement liée. En effet, sujet aux contours flous et pouvant relever de plusieurs matières et politiques, la sécurité environnementale est une notion qui a du mal à retenir l’attention des politiques car les obstacles qui persistent, vis-à-vis de la définition des problèmes et des enjeux qu’elle entend appréhender, rendent difficile la définition

145 En témoigne la décision du CSNU, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, de demander à tous les

États de devenir parties aux traités et aux Protocoles internationaux relatifs au terrorisme, Résolution 1373 du 28 septembre 2001, sur la menace à la paix et à la sécurité internationales résultant d’actes terroristes, S/RES/1373 (2001).

146 CH. PH. DAVID, La guerre et la paix : Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, pp. 97-134.

147U. BECK, “The Terrorist Threat, World Risk Society Revisited”, Theory, Culture & Society, 2002, volume 19, n° 4, pp. 39-55.

d’instruments politiques efficaces. Plus facile à définir, même si les impacts concrets restent contestés, plus politiquement porteur sur la scène politique internationale, le changement climatique a donc souvent servi de locomotive, permettant d’éveiller la conscience politique de la communauté internationale sur l’importance des questions

environnementales en lien avec la sécurité internationale148. C’est donc fréquemment par

ce biais que, dans les années 2000, la sécurité environnementale continuera de maintenir sa place dans les débats.

Au début des années 2000, le Pentagone commandite ainsi un rapport sur les

impacts du changement climatique sur la sécurité nationale149. Les catastrophes naturelles

qui ont frappé les esprits à cette époque, en particulier l’ouragan Katrina, le tsunami dans l’océan indien et le tremblement de terre au Pakistan, expliquent ce regain d’intérêt pour la question. Ce rapport, entraînera, dans son sillage, un intérêt renouvelé dans la sphère académique, principalement parmi les États qui avaient été à l’origine de la première vague de recherches. Toutefois, signe de l’évolution des temps, le débat, cette fois, ne sera plus appréhendé uniquement sous l’angle environnemental mais intégrera les réflexions des plus grands spécialistes de la sécurité. Là où la seconde vague avait mis l’accent sur la relation entre environnement et conflits, cette nouvelle vague de recherche se concentre, en effet, largement, sur l’élargissement du concept de sécurité à la sécurité humaine et à la recherche d’un cadre théorique général, qui permette l’analyse des

relations homme-environnement dans une perspective de sécurité150. L’approche se veut

également plus pluridisciplinaire et intègre de nouvelles variables, telle que la possibilité que les crises environnementales puissent être résolues par la coopération entre acteurs nationaux, mais aussi au niveau international, en particulier par la mise en place de

régimes internationaux et d’une gouvernance globale151.

L’activité de recherche, en particulier des think tanks, se ravive alors, portée par une opinion publique qui voit facilement dans ces catastrophes une conséquence directe du changement climatique et qui appelle à une réponse sécuritaire de la part des États. Ce mouvement verra son apogée en 2007, avec la publication du premier rapport du

148 F. GEMMENE, Géopolitique du changement climatique, Armand Colin, 2009 ; G. DELCROIX, « Changement

climatique : enjeu géostratégique. Un panorama critique des exercices de prospective récents », Futuribles, n 341, mai 2008, pp. 17-30.

149 P. SCHWARTZ & D. RANDALL, “An Abrupt Climate Change Scenario and its Implications for United States National Security”, California Inst of Technology Pasadena Ca Jet Propulsion Lab, 2003.

150M. HUFTY, op. cit., p. 145.

GIEC152. Ce rapport fera l’objet de nombreux commentaires qui, tout en restant le plus souvent axés sur les questions de sécurité nationale, présentent l’intérêt majeur de redéfinir les stratégies et les alliances, tout en reconnaissant la complexité du cycle des conflits et la nécessité de prendre en considération plusieurs indicateurs comme base à tout effort d’analyse153.

Plus récemment, toute une série d’écoles de pensées nouvelles, plus ou moins directement rattachées à la sécurité environnementale, sont apparues dans les écrits académiques. Ces recherches ou théories, présentent la plupart du temps un aspect disparate, se focalisent principalement sur un aspect particulier de la question et sont, de ce fait, empreintes d’une certaine subjectivité. Elles n’apportent pas toujours de réponses extensives à la problématique de la sécurité environnementale, mais permettent néanmoins d’aborder la question sous un angle différent, favorisant, par là, une vision plus complète des enjeux qui en découlent. On trouve ainsi aujourd’hui des théories aussi diverses que l’écologie politique, la sécurité écologique, la sécurité humaine appliquée à la sécurité environnementale, une approche axée sur la coopération et le maintien de la paix et même une approche féministe de la sécurité environnementale. Ces différentes théories seront développées plus en détail, plus loin dans notre travail, dans le cadre de l’analyse méthodologique des éléments à identifier pour définir la sécurité environnementale. Cette évolution historique du concept montre, cependant, dès à présent, le foisonnement d’idées et de positions régnant autour de cette question, qui reste marquée d’une forte dimension politique, voire militante.

La recherche de consensus, dans ce contexte, semble alors une tâche complexe, d’autant plus que même le rapprochement entre sécurité et environnement reste contesté dans la doctrine.

152 R. K. PACHAURI & A. REISINGER (dir.), Bilan 2007 des changements climatiques. Contribution des Groupes de travail I, II et III au quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, GIEC, Genève, 2007.

153 Center for Strategic and International Studies (CSIS) and Center for New American Security (CNAS), The

Age of Consequences, November 2007; German Advisory Council on Global Change, (WBGU), Climate

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