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Section 1: Vers une autre approche de la sécurité face aux nouveaux enjeux globaux

2. La sécurité environnementale : une notion complexe et contestée

2.2.2. Une erreur de libellé ?

La sécurité environnementale serait également vue par certains comme une étiquette inappropriée. Ainsi, selon des auteurs tels que Richard Ullman et Lloyd Timberlake, les menaces à la sécurité, de type militaire et les menaces de type environnemental sont de nature tout à fait différentes, même si ces auteurs reconnaissent

que les deux phénomènes ont des conséquences sur les vies humaines178. En ajoutant ce

type de nouvelles menaces au concept de sécurité, on en rend les frontières vagues et la

notion perdrait alors de son efficacité179.

Hans Bruyninckx, de son côté, ne voit pas d’utilité à la notion de sécurité environnementale, puisqu’aucune définition n’est communément acceptée et puisque les multiples définitions existantes incluent des éléments les plus divers, allant de l’impact environnemental du militaire jusqu’aux théories les plus larges du développement

durable180. En incluant une telle diversité de problèmes et en laissant tellement

d’inconnues dans sa définition, ce concept parapluie ne présenterait donc pas une clarté suffisante pour être utile181. Il s’agit sans doute là d’une des critiques les plus fondées et à l’origine de nos recherches. Les incertitudes et divergences, quant au contenu de la notion de sécurité environnementale, représentent en effet aujourd’hui encore un des plus grands freins au potentiel succès de la notion et à son appropriation par la communauté internationale. A notre sens, cela ne remet pourtant pas en cause l’utilité de la notion mais appelle à une mobilisation de la communauté scientifique et politique, pour une réflexion sur les enjeux et éléments fondamentaux qu’il conviendrait de retenir afin de rationaliser son utilisation par les instances internationales.

La sécurité environnementale est aussi réduite par certains à une simple tactique politique et bureaucratique, permettant de préserver les budgets militaires. Cette tactique serait alors soutenue par les départements traditionnellement responsables des questions

178 R. ULLMAN, “Redefining Security”, International Security, 1983, volume 8, pp.129-153; L. TIMBERLAKE & J. TINKER, “The Environmental Origins of Political Conflict”, Socialist Review, 1985, volume 15, n° 6, pp. 57-75.

179 Ibid.

180H. BRUYNINCKX, Environmental Security: An Analysis of the Conceptual Problems Defining the Relationship

Between Environment and Security, Paper presented at the 34th Annual Convention of the International Studies Association, Acapulco, Mexico, mars 1993, http://environmental-studies.org/?p=30.

181 PH. LE PRESTRE, Environmental Security and the Future of the Future of American Defense Policy, Paper presented at the Conference “Geopolitics of the Environment and the New World Order: Limits, Conflicts, Insecurity?” SORISTEC, January 1993.

de sécurité dans le but principal, par le biais de l’attribution de ces nouvelles missions environnementales, de compenser les coupes budgétaires, intervenues en réponse à la

diminution des tâches traditionnelles de sécurité182. Avec ce type de fondement, on

pourrait alors craindre que le concept soit complètement détourné de la problématique environnementale, voulue à son origine. Indépendamment de ces motivations opérationnelles, Ken Conca soutient que l’on doit distinguer entre l’acceptation rhétorique de la sécurité environnementale, les changements institutionnels qui reflètent les évolutions de priorités et l’acceptation, en tant que valeur, des nouveaux concepts de

sécurité183. Les changements dans la rhétorique sont plus aisés à intégrer que les deux

autres dimensions et n’impliquent pas automatiquement de véritables changements dans

les deux autres angles, plus fondamentaux184. Sur ce point particulier, l’argument peut

être pris à contrepied. Les nombreux écrits des politologues sur le concept de sécurisation, montrent en effet que la rhétorique peut aussi parfaitement être conçue comme un instrument, précédant l’évolution des mentalités et les adaptations institutionnelles qu’elle soutient185.

Simon Dalby affirme, lui, que le concept de sécurité pourrait sembler utile car il fait appel au désir le plus profond d’une existence, protégée des menaces, présent chez

tout être humain186. Faisant appel à l’instinct ancestral de survie, le terme a souvent été

utilisé en politique pour créer un sentiment de crise -et la volonté de sacrifice qui peut en découler- afin de répondre à un défi pressant. Si elle peut sembler attractive, cette tactique n’est pourtant pas sans risques en matière de sécurité environnementale. Le danger serait alors de trop lier la prise de conscience environnementale aux aléas de

l’opinion populaire et de l’attention gouvernementale187. Si le conflit est un élément

factuel objectif, la sécurité fait, elle, référence à un état subjectif et à un but politique. Combiner les deux dimensions, serait alors un exercice périlleux, mais n’est-ce pas là la base de toute action politique …

182 M. FINGER, op. cit.; PH. LEPRESTRE, op. cit.; PH. LE PRESTRE, « Sécurité environnementale et insécurités internationales », Revue québécoise de droit international, 1998, volume 11, n° 1, pp. 271-291; M. FINGER, « Global Environmental Degradation and the Military », in J. Käkönen, (ed.), Green Security or Militarized Environment, Brookfield, Dartmouth Publishing, 1994, pp. 169-192.

183K. CONCA, “In the Name of Sustainability: Peace Studies and Environmental Discourse”, Peace and Change,

1994, volume 19, n° 2, pp. 91-113.

184K. CONCA, op. cit., p. 109.

185 C. SALAVASTRU, Rhétorique et politique: le pouvoir du discours et le discours du pouvoir, Paris, L'Harmattan, 2005.

186 S. DALBY, “Security, Modernity, Ecology: The Dilemmas of Post-Cold War Security Discourse”,

Alternatives, 1992, volume 17, n° 1, pp. 95-134.

L’utilité du rapprochement entre sécurité et environnement est également contestée par des auteurs reconnus, tels que Thomas Homer Dixon sur base du caractère marginal du problème qu’il entend appréhender. Il soutient ainsi que le stress

environnemental a peu de chance de produire de véritables conflits interétatiques188. En

soutien à cette affirmation, Thomas Homer Dixon signale donc que l’essentiel des recherches empiriques se concentrent exclusivement sur des pays en voie de développement, déjà prônes aux conflits, une pratique qui biaiserait l’analyse du lien

entre dégradations environnementales et conflits189. En outre, même dans le cadre de

conflits induits par des phénomènes environnementaux, le lien est loin d’être absolument clair ni unique. Les conflits ayant toujours des causes multiples, les causes

socioéconomiques sont souvent des causes de conflit tout aussi crédibles190. Daniel

Deudney, que nous avons cité précédemment, reconnait un lien possible entre dégradations environnementales et conflits violents, mais il s’agit pour lui d’un phénomène qui intervient seulement lorsque ces dégradations sont le résultat de la préparation de la guerre ou de l’action des militaires, eux même, lors de conflits. Pour lui, ces risques peuvent être compensés par un système commercial efficace et interdépendant, joint aux technologies donnant accès à des ressources de substitution en

cas de pénurie191. En outre, le recours de plus en plus rare à force, pour garantir l’accès

aux ressources naturelles, rend la probabilité de survenance de tels conflits moins probable. Par conséquent, ceux qui voudraient voir traiter les problèmes de dégradation environnementale comme un problème de sécurité, accorderaient trop d’importance à un phénomène marginal et peu plausible.

Ces critiques sont en parties justifiées car, face à une matière relativement nouvelle, il n’existe pas actuellement d’études exhaustives sur le lien de causalité entre stress environnemental et conflits. Il est également vrai que les études empiriques se concentrent souvent sur des conflits existants ou passés, majoritairement localisés dans les pays en développement et que les causes des conflits et tensions sociales sont souvent multiples. Toutefois, c’est sans doute porter un jugement hâtif que de discréditer une source de conflit comme telle, sur la base qu’elle n’est pas unique, ni que d’autres

188 TH. HOMER-DIXON, “On the Threshold: Environmental Changes as Causes of Acute Conflict”, International

Security, 1991, volume 16, pp. 76-116.

189 TH. HOMER-DIXON, “Environmental Scarcities and Violent Conflict: Evidence from Cases”, International Security, 1994, volume 19, n° 1, pp. 5-40.

190 L. BROCK, “Peace through Parks: The Environment on the Peace Research Agenda”, Journal of Peace Research, 1991, volume 24, n° 7, pp. 407-423.

facteurs, non étudiés, tels que la capacité de résilience d’un État, ne sont pas toujours pris en considération dans les études actuelles. Dans un domaine d’une grande complexité et multidisciplinaire par nature, toutes les causes et interdépendances se doivent d’être étudiées avec la même rigueur. On retiendra cependant de cet argument une mise en garde contre les velléités de simplification de la problématique. Le stress environnemental est une cause de conflit parmi d’autres et, même lorsque le lien est établi, il est rarement unique. Il convient donc d’analyser la notion de sécurité environnementale dans son contexte et, pour en faire un outil efficace, de l’intégrer dans la perspective plus globale d’une approche holistique de la sécurité qui devient, dès lors, une précondition à son effectivité.

Au vu des arguments précédemment développés, ce groupe de « sceptiques » considèrent que la méthode de pensée de type « sécurité nationale » n’est pas adaptée pour répondre aux enjeux environnementaux. La nature conflictuelle et compétitive du nationalisme et de l’intervention militaire, qui caractérise les prises de décision en matière de sécurité nationale, ne peut représenter une réponse adéquate aux problèmes générés par les dégradations environnementales. Ces divisions ne remettent toutefois pas en compte la réalité du problème posé par le stress environnemental dans les sociétés modernes, ni la nécessité d’agir. La vraie divergence se concentre principalement sur les moyens d’action et le niveau de priorité à accorder au phénomène. Le fond du débat qui, notons-le, a été le plus virulent il y a près de 20 ans, est en effet fortement marqué par une conception traditionnelle, centrée sur le rôle de l’État, dans les modèles de conflits. Ce débat s’est estompé progressivement au fil des années et est sans doute appelé à disparaitre, en lien avec l’émergence d’une conscience internationale, soutenant une nouvelle définition des menaces à la sécurité, qui ne serait plus basée sur ces modèles dépassés.

Dans cet esprit, en 1995, Geoffrey Dalbeko se demandait si la prise de conscience environnementale pouvait aller assez loin pour engendrer une redéfinition complète du

concept de sécurité192, la division, opérée à l’époque, entre les questions de « sécurité

environnementale » et celles de « sécurité », au sens de la préoccupation première des États, étant en train de s’estomper. Il affirme ensuite que: « Le concept de sécurité nationale a, lui-même, été largement revisité au profit de celui de sécurité de la communauté internationale. Ce ne sont plus à proprement parler des disciplines

différentes, ou peut-être avons-nous tout simplement assisté au fil des ans à une multidiciplinarisation de la sécurité, rendant caduque les débats antérieurs à ce

propos »193. L’approche globale de la sécurité, considérée à l’époque comme irréaliste

voire dangereuse, relève désormais du quotidien des spécialistes de la question et représente même le fil directeur de la PSDC. Geoffrey Dalbeko peut donc se rassurer : le désintérêt qu’il déplorait de la part de la doctrine à l’époque est désormais dépassé, si la sécurité environnementale n’est peut-être pas encore dominante dans le débat, la nécessité d’une vision globale des enjeux de sécurité est désormais admise par tous.

Les questionnements et les doutes sur la validité du rapprochement entre sécurité et environnement, que nous venons de développer, sont propres à toute nouvelle idée et alimentent le débat. Ils présentent également l’utilité de permettre un test de ces nouveaux concepts, avant qu’ils ne soient portés sur la scène politique. Nico Schrijver, en

1989, notait ainsi : «la notion de sécurité environnementale est une notion en évolution.

Le fait que nulle définition concrète et acceptable n’ait encore pu être dégagée ne suffit pas à discréditer cette notion. On ne peut pas sur cette seule base nier toute utilité aux

concepts émergents »194. Cependant, les concepts émergents, s’ils présentent l’avantage

de susciter le débat et la formulation d’opinions diverses et contrastées, qui alimentent la réflexion, ne sont cependant pas épargnés par une certaine dose de subjectivité. Une telle subjectivité, même si elle tend à s’estomper au fur et à mesure de l’acceptation de ces notions par la communauté internationale, reste une dimension à garder à l’esprit dans tout exercice d’analyse de la doctrine en présence.

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