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Section 2: La sécurité environnementale dans la doctrine, réflexions sur la diversité des approches

1.1. L’écologie politique

L’écologie peut être définie comme l'étude des relations de pouvoir, centrée sur la gestion de l'espace et de l'environnement. L’écologie politique s’attache elle, plus particulièrement à analyser les luttes et conflits de représentations relatifs à l'accès et à l'usage des ressources naturelles et, en ce sens, contribue à apporter des réponses quant à la nature des mécanismes menant à l’émergence de conflits, liés, eux aussi, à l’usage des ressources naturelles. Par son centrage sur l’accès aux ressources naturelles et sur leur usage, l’écologie politique, en ce sens, peut être vue comme privilégiant l’environnement comme objet référent de la sécurité.

Les théoriciens de l’écologie politique se divisent en deux tendances. L’écologie scientifique, d’une part, discipline apolitique, entend prendre en compte des enjeux et des phénomènes à la fois politiques, économiques et écologiques, tant au niveau local que vis à vis des enjeux internationaux. L’axe de réflexion est donc, ici, la politique dans le sens étymologique du terme. La deuxième tendance, que nous étudierons ensuite, affiche, elle, ouvertement une approche politique engagée, œuvrant en faveur de l’intégration des enjeux environnementaux dans l’action politique et sociale.

1.1.1 L’écologie politique : approche scientifique.

Le terme de « political ecology » est apparu dans le monde académique

anglo-saxon, dans les années 1970, pour qualifier les études traitant des relations entre les sciences écologiques et les politiques environnementales. Ce champ d’étude se veut pluridisciplinaire, combinant d’un côté l’écologie humaine, plus axée sur les types de rapports entre les sociétés humaines et leur environnement biophysique respectif et, de l’autre côté, l’économie politique, qui étudie les rapports de pouvoir entre les acteurs et

206 Sur ce point, voy. M.-CL. SMOUTS, « Risque planétaire et sécurité environnementale », Esprit, 2001, pp. 133-141.

les sociétés207. Depuis, plusieurs disciplines, notamment l’anthropologie, la sociologie, la géographie, la biologie, la philosophie et les sciences politiques, se sont référées à « l’écologie politique » comme une approche qui permet d’intégrer l’économie politique et l’écologie culturelle, pour analyser des problématiques de gestion environnementale qui sont, par nature, liées à la problématique de sécurité environnementale.

L’écologie politique « scientifique » s’est développée selon deux branches parallèles. Aux États-Unis, d’une part, la recherche affiche la volonté de promouvoir une approche holistique entre les hommes et la nature et se base sur des travaux empiriques sur l’activisme environnemental, associé aux luttes pour les ressources et à la formation

de l’État208. De l’autre côté, en Angleterre, une seconde tendance se base plus

spécifiquement sur l’analyse de la construction politique et sociale des sciences

écologiques, préalablement présentées comme politiquement neutres209.

Piers Blaikie et Raymond Bryant, figures de proue de cette première branche, proposent ainsi une analyse approfondie de la résistance environnementale de certains groupes sociaux, sans toutefois remettre en cause les définitions acquises en matière de

dégradation environnementale210. Le second courant se concentre, quant à lui, sur la

construction de l’environnement et le rôle du discours et de l’action politique dans

l’établissement de définitions acceptées211. Cette approche entend ainsi mieux

comprendre les forces agissantes derrière la définition des politiques, mais la réalité physique des problèmes environnementaux, qui opèrent au-delà de l’activité humaine, tend à y être moins bien prise en compte.

L’écologie politique, dans son approche scientifique, analyse donc deux éléments principaux : les relations de pouvoir entre différents groupes humains et la mise en relation des complexes nature-société locaux avec les processus globaux. Par cette méthode, l’écologie politique remet en question les interprétations dominantes sur les causes et les conséquences de la dégradation environnementale ainsi que sur les solutions à apporter à ces problèmes. Cette approche est guidée par quatre notions clés. Tout

207 R. PEET & M. WATTS, Liberation Ecologies, London, Routledge 1996; P. ROBBINS, Political Ecology, a Critical Introduction, Oxford, Blackwell Publishing, 2004.

208P. BLAIKIE, The Political Economy of Soil Erosion, London, Longman, 1985; R. BRYANT & S. BAILEY, Third

World Political Ecology, London, Routledge, 1997; R. BRYANT, 2008.

209P. BLAIKIE & H. BROOKFIELD, Land Degradation and Society, London, Methuen, 1987, p. 17.

210Ibid.

211R. PEET & M. WATTS, Liberation Ecologies, London, Routledge 1996; M. WATTS, “The Poverty of Theory”

in K. HEWITT (ed.), Interpretations of Calamity, London, Allen & Unwin, 1983, pp. 231-262; N. PELUSO &

d’abord, l’idée que l’usage et l’accès aux ressources s’organisent et se transmettent par des relations sociales, qui peuvent imposer une pression de production excessive sur

l’environnement212. Ensuite, la reconnaissance des diverses perceptions et autres intérêts

qui peuvent exister vis-à-vis de l’environnement, une notion que Piers Blaikie résume

avec la formule : « one person’s profit may be another’s toxic dump »213. L’écologie

politique retient également l’idée de connectivité à l’échelle du globe, qui suppose que les processus locaux sont influencés par les processus globaux et peuvent également les

influencer214. Enfin, l’idée que la dégradation environnementale est à la fois le résultat et

la cause de la marginalisation sociale, guide également cette réflexion215.

L'écologie politique scientifique est un domaine en émergence mais il est cependant possible de regrouper un certain nombre de caractéristiques, telles qu’elles ressortent de la littérature spécialisée. Tout d’abord, la plupart des travaux concernent les PED, les recherches sur les pays industrialisés restant encore marginales. Ce courant de pensée est, en outre, généralement critique, remettant en question les explications

traditionnelles des phénomènes de dégradation environnementale (pollution,

déforestation, désertification, baisse de la diversité biologique, etc.), pour mettre en avant le rôle des flux économiques et politiques, à tous les niveaux de la société. La marginalisation économique, politique et écologique de certains groupes sociaux, sous l'effet des rapports de pouvoir, y est alors présentée comme un des principaux facteurs de dégradation environnementale. Toutefois, cette approche se veut neutre politiquement et n’entend pas proposer de modèles de société alternatifs, en réponse aux observations scientifiques.

1.1.2. L’écologie comme message politique

Dans la doctrine francophone, l’écologie politique, de type scientifique, n’occupe encore qu’une place marginale. La plupart des ouvrages francophones qui traitent de

théorie politique de l’environnement sont le fait de philosophes216, de juristes217 ou de

212M. WATTS, 1983, op. cit.

213P. BLAIKIE, 1985, op. cit.

214 A. ESCOBAR, “After Nature-Steps to an Antiessentialist Political Ecology”, Current Anthropology, 1999, volume 40, n° 1, pp. 1-30.

215 BLAIKIE & BROOKFIELD, 1987, op. cit., p. 23.

216Voy. par exemple C.& R. LARRÈRE, Du bon usage de la nature, pour une philosophie de l’environnement, Paris, Aubier, 1997; J.-P. DUPUY, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2002; D. BOURG, Les scénarios

sociologues218, mais il existe très peu de réflexions sur cette question dans la science

politique francophone. Au niveau de la littérature francophone, l’écologie politique doit

donc, le plus souvent, être entendue dans un contexte plus politique et est représentée par un ensemble de courants, nés dans les années 1970 et qui insistent sur la prise en compte des enjeux écologiques dans l’action politique et dans l'organisation sociale. En réaction à la destruction des écosystèmes, l’écologie politique lutte ainsi contre l'uniformisation de la culture et des productions avec une volonté de remettre le citoyen au centre du débat politique. L'écologie politique, telle que vue par des chercheurs comme Alain Lipietz, André Gorz ou Murray Bookchin, est souvent associée aux théories marxistes, car elle s’appuie sur une critique de « l'ordre des choses existant ».

Elle intègre dans ses réflexions le rapport humanité/nature et le rapport des êtres humains, entre eux, dans la nature219.

Les tendances de l’écologie politique sont très variées, certaines s’inspirent du

féminisme220, d’autres s’inspirent de l’écologie pure, fondée sur la décroissance, alors

que d’autres encore, affirment leur adhésion au libéralisme économique221. On peut

également trouver une approche « républicaine » de l’écologie, défendue par le chercheur Jean-Christophe Matias, proposant un « principe républicain de responsabilité » envers la nature, fondé sur « une loi générale contraignante en matière de protection du patrimoine

naturel222. Enfin un courant marxiste, né dans les années 1990, de la fusion entre le

socialisme et l’écologie politique, complète ce panorama. Dans tous les cas, le caractère politique de ces courants invite à des actions systémiques sur le monde et la principale différence entre les différentes tendances se situe, principalement, au niveau des solutions proposées pour faire évoluer ces systèmes. Cette école de pensée se présente comme une posture éthique, qui se situe à la croisée des disciplines traditionnelles. Par son approche

de l’écologie, Paris, Hachette, 1996; F. FLIPO, Justice, nature et liberté, Lyon, Parangon/Vs 2007, F. FLIPO,

L’Écologie Combien de Divisions ?, Vulaines sur Seine, Editions du Croquant, 2015.

217F. Ost, La Nature hors la loi, Paris, La découverte, 2003.

218B. LATOUR, Politiques de la nature, Paris, La découverte, 2004.

219 A. LIPIETZ, Vert Espérance, L’avenir de l’écologie politique, Paris, La Découverte, 1992 ; A.

Gorz, « Écologie et socialisme », Écologie & politique, 2002, volume 1, n° 24, pp. 71-95 ; M. BOOKCHIN, The Ecology of Freedom, AK Press distribution, 2005.

220S. GUÉRIN, « Du care à la société accompagnante, une écologie politique du concret », Ecologie & Politique, 2011, volume 42, n° 2, pp. 115- 134.

221 L. FONBAUSTIER, « Sur quelques paradigmes de l’écologie politique en tant que trublion des systèmes juridiques libéraux », Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, 2016, volume 2, n° 44, pp. 209-239.

222 J.-CH. MATIAS, Politique de Cassandre, Manifeste républicain pour une écologie radicale, Paris, Sang de la Terre, 2009.

volontairement large, elle peut apporter une perspective différente aux études sur la

sécurité environnementale223.

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