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Section 2: Les conditions d’émergence d’un conflit environnemental : approche théorique

1.1. Pénurie des ressources naturelles et tensions sociales

De toutes les visions développées sur les liens entre environnement et sécurité, la plus ancienne et celle qui domine le débat, se base sur l’hypothèse selon laquelle la

dégradation environnementale entraine indirectement le conflit389, non pas du fait de la

dégradation en soi, mais par les risques que cette dégradation entraine. Dans ce contexte, l’émergence de conflits, liés aux ressources environnementales est souvent expliquée par référence à la thèse, développée par Thomas Malthus, dans son essai sur « les principes de la population », en 1798 et aux termes de laquelle l’espace offre un nombre limité de

ressources naturelles, vouées à se raréfier, face à la croissance démographique390.

389 TH. BERNAUER et al, op. cit., p. 2.

Sur ce point, deux écoles de pensées se sont particulièrement distinguées. D’une part les recherches menées par Thomas Homer Dixon, connues sous le nom d’« école de Toronto » et, d’autre part, celles menées par les suisses Günther Baechler et Kurt

Spillmann de « l’Environment and Conflicts Project (ENCOP) »391.

Toutes deux concluent que la dégradation et la diminution des terres agricoles, des forêts, des ressources en eau ou d’autres ressources naturelles vitales, contribuent à l’apparition de conflits armés. Thomas Homer Dixon a ainsi établi un modèle, inspiré des théories économiques de marché et qui décrit la façon dont le stress environnemental peut conduire à un climat d’insécurité et d’instabilité, au sein de la société. La notion de raréfaction ou pénurie environnementale est présentée, ici, sous trois dimensions, porteuses de conséquences sociales, potentiellement conflictuelles. La raréfaction de la ressource environnementale peut ainsi être induite par une diminution de l’offre. Les ressources se raréfient et sont dégradées plus rapidement qu’elles ne sont renouvelées. La probabilité de l’émergence de conflits violent serait ainsi plus grande dans les États où l’on constate une dégradation des terres, un phénomène de déforestation ou encore, lorsque les ressources en eau douce disponibles par habitant sont faibles. La rareté environnementale peut, cependant, également être provoquée par la demande. Dans ce cas, la pression sur l’environnement provient soit d’une augmentation de la population (démographie ou immigration), soit de l’augmentation de la consommation par habitant. Enfin, le phénomène de raréfaction de la ressource environnementale peut avoir des origines structurelles, en l’absence de pénurie et être causé par une répartition non

équitable des ressources, marginalisant une partie de la population392.

Dans le modèle qu’il développe, Thomas Homer Dixon montre qu’une modification environnementale peut contribuer à l’émergence d’un conflit. Cependant, il reconnait également que l’émergence de la crise n’est pas un phénomène linéaire mais intervient au travers de mécanismes, impliquant une multitude de variables sociales, culturelles et économiques, y inclus la variable environnementale. La concurrence pour les ressources naturelles peut ainsi renforcer les perceptions des inégalités existantes entre les groupes sociaux, entraînant un durcissement identitaire au sein d’un groupe, catalyseur de l’hostilité envers les autres groupes.

391 Voy. supra, chapitre 1, section 1.

392 TH. HOMER-DIXON, “Environmental Scarcities and Violent Conflict: Evidence from Cases”, International

Security, volume 19, n° 1, pp. 5-40; TH. HOMER-DIXON, Environment, Scarcity and Violence, Princeton,

Les conflits, ayant pour origine la compétition sur des ressources environnementales, peuvent, alors, se manifester sous la forme de conflits ethniques ou de conflits entre classes sociales. Thomas Homer Dixon souligne également l’importance d’une politique d’adaptation efficace comme moyen d’éviter l’émergence de la violence. Dans un contexte social particulier, le stress environnemental intervient donc souvent comme un catalyseur, aggravant une fracture sociale existante et intensifiant la compétition et les conflits entre les différents groupes.

Malgré une vision relativement pondérée, le modèle théorique, développé par Thomas Homer Dixon, a fait l’objet de critiques sur plusieurs points. Tout d’abord au niveau de l’échantillonnage choisi, exclusivement basé sur des cas, présentant au départ une situation combinant dégradation environnementale et conflit, ce qui à la fois

biaiserait les résultats393 et rendrait toute comparaison difficile394. On lui reproche

également de s’être intéressé uniquement à la violence entre les groupes sociaux et d’avoir délaissé une étude similaire au niveau des individus, qui aurait pu aboutir à des

résultats différents395. D’autre part, certains auteurs soulignent également que cette

théorie ne prendrait pas en compte le rôle de l’économie et de la politique des États dans l’émergence de tels conflits, en insistant uniquement sur l’implication de l’environnement. Le poids, qui est ici accordé à la variante environnementale dans le déclenchement de la violence, est jugé démesuré, la pénurie environnementale étant inscrite dans un contexte économique, social et politique où l’environnement ne

représente qu’une variable parmi d’autres396.

Ces débats témoignent ainsi de la difficulté à mettre en lumière un lien évident entre la raréfaction ou la dégradation d’une ressource naturelle et l’apparition de la violence. Au-delà de la critique de cette théorie, dans une perspective d’une politique de prévention ou de réaction aux crises à dimension environnementale, ces débats montrent la nécessité de procéder à une analyse holistique d’un contexte d’instabilité, au sein duquel l’environnement est rarement l’unique facteur.

393M. LEVY, “Is the Environment a National Security issue?”; O. THEISEN, “Blood and Soil? Resource Scarcity

and Internal Armed Conflict Revisited”, Journal of Peace Research, 2008, volume 45, n° 6, pp. 801-818.

394R. MATTHEW et al., “The Elusive Quest: Linking Environmental Change and Conflict”, Canadian Journal of

Political Science, 2003, volume 36, n° 4, pp. 857-878.

395 T. DEGLIANNIS, “The Evolution of Environment-Conflict Research: towards a Livelihood Framework”,

Global Environmental Politics, 2012, volume 12, n° 1, pp. 78-100.

396 N. PELUSO & M. WATTS (eds), Violent Environments, Ithaca (NY), Cornell University Press 2001, C. KAHL 2006, op. cit.; I. SALEYAN 2008, op. cit.; O. THEISEN, 2008, op. cit.; R. FLOYD & R. MATTHEW, Environmental

Security, Approaches and Issues, op. cit..; D. BERGHOLD & P. LUJALA, “Climate Related Natural Disasters;

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