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Section 1: Vers une autre approche de la sécurité face aux nouveaux enjeux globaux

2. La sécurité environnementale : une notion complexe et contestée

2.2.3. Un débat par nature subjectif

La recherche d’éléments de définition de la sécurité environnementale est marquée par un défi supplémentaire, matérialisé par la prise en compte de l’élément de subjectivité, présent dans tous les écrits, définitions et analyses en présence. La prise en compte de cet élément impose un regard critique sur la méthode d’analyse utilisée. Le rôle subjectif, joué par l’analyste dans la définition de sa théorie, élément à la frontière du politique voire du psychologique, doit, en effet, être pris en considération dans la recherche des éléments caractérisant l’état de sécurité ou d’insécurité environnementale

193 Ibid, p. 10.

194 N. SCHRIJVER, “International Organisation for Environmental Security Environmental Security”, Bulletin of Peace Proposals, 1989, volume 20, p. 115.

ou encore des moyens destinés à le garantir195. En effet, la notion de sécurité environnementale est composée de deux éléments : la sécurité et l’environnement, dont aucun ne fait l’objet de définition claire et dont l’interprétation fait éminemment appel à l’émotion et à la subjectivité. Une théorie ou une tentative de définition n’est ainsi jamais complètement neutre et soutient, la plupart du temps, la vision d’une personne, une

tendance politique ou un but à atteindre196. De ce fait, dans une perspective

politico-juridique, il est possible d’affirmer, qu’en pratique, le choix d’une définition sous-entend sa future mise en œuvre et les effets sur la société que l’on en attend197.

La notion de sécurité est, en elle-même, un concept éminemment subjectif. Cette subjectivité peut se retrouver à deux niveaux en particulier. Dans un premier temps, au niveau des conditions mêmes de la sécurité et, dans un deuxième temps, au niveau des moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’état de sécurité. Ainsi, dans les écrits centrés sur les questions de sécurité, il est frappant de constater, à la lecture des diverses analyses, que le concept en soi n’est pas défini et est seulement présenté comme un état qui justifie une méthode. Les analyses étant généralement effectuées par des politologues, il est logique que l’instrument y occupe une place prédominante. Toutefois, dans le cadre d’une démarche juridique, la définition de l’état de sécurité est primordiale car elle seule permet de définir les instruments et leur champ d’action ainsi que de procéder à l’évaluation de leur efficacité. Les questions qui doivent être posées, tiennent donc tant à l’état de sécurité qu’aux moyens à mettre en œuvre pour l’atteindre.

En matière de sécurité, le rôle de l’analyste est donc souvent contesté. Certains se concentrent sur la pratique de la sécurité alors que d’autres s’attachent à rechercher les conditions dans lesquelles la sécurité est atteinte. Les théoriciens traditionnels de la sécurité s’attachent en effet rarement à définir l’état de sécurité ou ce qui doit être

sécurisé198. Ces auteurs partent du principe d’un droit inné à la sécurité et réfléchissent

uniquement sur les moyens à mettre en œuvre pour attendre cet état. Pour Stephen Watts, par exemple, les études de sécurité explorent les conditions qui rendent probable l’utilisation de la force, la manière dont l’utilisation de la force affecte les individus, les

195 R. FLOYD, “Analyst Theory and Security, A New Framework for Understanding Environmental Security

Studies”, in R. FLOYD & R. MATTHEW, 2014, op. cit., p. 21.

196 Ibid.

197M. DILLON & L. LOBO-GUERRERO, “Biopolitics of Security in the 21st Century: An Introduction”, Review of International Studies, 2008, volume 34, n° 2, pp. 265-292.

198R. FLOYD, 2013, op. cit., p. 22; G. ANDREANI, Justifier la guerre, de l’humanitaire au contreterrorisme, Paris, Presses de Science Po, 2005.

États et les sociétés, ainsi que les politiques adoptées par les États pour prévenir ou

préparer la guerre199. Si l’on prend, au contraire, l’exemple des promoteurs de la sécurité

humaine, il est alors possible de constater que la littérature se centre, dans ce cas, sur la nature de la sécurité humaine, avec une division entre ceux qui considèrent que la sécurité humaine doit être envisagée comme liée à l’absence de de conflits violents ou,

pour d’autres, plutôt être liée à l’absence de craintes et l’absence de besoins200. Dans ce

cas les conditions de la sécurité humaine sont donc mises en avant, au détriment des moyens à mettre en œuvre pour atteindre cet état. Dans le domaine plus précis des études sur la sécurité environnementale, on observera le même type de divisions et c’est d’ailleurs chez les théoriciens de la sécurité humaine que l’on retrouve des éléments qui se rapprochent le plus d’une définition de la sécurité environnementale. Un des auteurs les plus éminents définit ainsi la sécurité environnementale comme « les processus pacifiques visant à réduire la vulnérabilité humaine aux dégradations environnementales causées par l’homme, en réglant les cause des dégradations environnementales et de la

sécurité humaine201 ».

Le rôle de l’analyste dans l’élaboration d’une théorie est donc indéniable mais une évaluation critique dépend également des convictions de celui qui l’apprécie. Ainsi les auteurs qui se concentrent principalement sur les conditions de la sécurité environnementale s’inspirent généralement d’une épistémologie critique. Ils sont dès lors convaincus qu’aucune théorie n’est neutre, mais est toujours orientée vers quelqu’un ou

quelque but202. L’analyse théorique devient alors une forme de pratique. Le rôle de

l’analyste s’apparente alors à imaginer un avenir, dans le cadre duquel ceux qui ont été identifiés comme les plus vulnérables, face aux dégradations environnementales, bénéficieraient d’un plus haut niveau de sécurité.

De l’autre côté, se trouvent les auteurs, dont l’intérêt principal est d’étudier la façon dont la sécurité environnementale se met en place en pratique. Basées sur des études empiriques de type positiviste, ces études analysent le lien joué par l’environnement dans l’émergence de conflits violents. Pour ce cercle d’auteurs, la sécurité environnementale sert, alors, à expliquer le monde qui nous entoure. Elle peut

199S. WATTS, “The Renaissance of Security Studies”, International Studies Quarterly, 1991, volume 35, p. 212.

200 K. RAHIM ( dir.), Sécurité humaine : théorie et pratique(s), Colloque international en l'honneur du doyen Dominique Breillat, Paris, Pedone, 2009.

201J. BARNETT, The Meaning of Environmental Security, London, Zed Books, 2001, p. 129.

conduire à l’introduction de recommandations, mais qui n’ont pas d’ambitions normatives. Ces recommandations sont basées sur des faits. Cela revient donc à compiler des informations factuelles, sur un certain nombre de situations où le principe de sécurité environnementale pourrait être mis à mal et à en rechercher ou en expliquer les causes. Toutefois, dans ce type d’analyse, l’auteur ne porte aucun jugement de valeur sur la situation idéale, vers laquelle il faudrait tendre. En outre, pour avoir une vraie valeur scientifique, des recommandations, qui seraient basées sur de telles études, seraient très

fortement dépendantes de la méthodologie utilisée203.

Dans le cadre des études sur la sécurité environnementale, il est donc possible d’identifier deux types d’approches : les critiques à tendance normative et les approches analytiques. Cette différenciation, en sciences humaines, reste toujours délicate. Il est cependant possible, la plupart du temps, de maintenir la distinction en se concentrant sur l’intérêt primaire de l’auteur dans le développement de sa théorie. Toutefois, l’approche critique peut, aussi, ne pas être exclusivement normative mais rester basée sur des éléments analytiques. C’est ainsi une des caractéristiques principales de l’approche

« peacebuilding » qui illustre parfaitement l’exemple d’une théorie combinant ces deux

approches. Cette approche propose, en effet, une analyse de la sécurité environnementale, basée sur une étude factuelle, suivie d’un test d’hypothèses et ce, afin d’expliquer une situation précise, tout en affichant le but ultime de la transformation des conflits. Par ce

dernier volet, la méthode devient donc également normative204.

Les différentes incertitudes qui entourent la notion de sécurité environnementale montrent que, dans ce domaine nouveau, il sera sans doute délicat de s’appuyer sur une définition objective et majoritairement acceptée de la sécurité environnementale et qui pourrait servir de référence à l’analyse de la pratique de l’Union européenne en la matière. L’absence de consensus sur la nature de l’insécurité environnementale et les moyens à mettre en œuvre pour la combattre, rendent cette tâche particulièrement ardue. Toutefois, l’abondance des écrits sur ce sujet émergeant offre au chercheur un certain nombre de points d’ancrage, pouvant offrir une base à ses travaux. Nous tenterons donc de rechercher dans la prochaine section, les éléments, tirés de la doctrine, qui pourraient fournir la base à une appréhension efficace et la plus large possible des défis de sécurité environnementale.

203 Ibid., p. 25.

Section 2: La sécurité environnementale dans la doctrine, réflexions sur la

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