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Rupture du partenariat avec le C3B et élaboration de l’architecture d’un nouveau dispositif

2. Le cheminement institutionnel : vers la conception d’un « lieu de vie » libre et ouvert à toutes

2.4. Donner une forme concrète au projet : un parcours semé d’embûches

2.4.2 Rupture du partenariat avec le C3B et élaboration de l’architecture d’un nouveau dispositif

S’étant rendu compte de cet acte, le groupe prend conscience des tensions, alors que le partenariat avec le C3B leur semblait constructif271. Face à des conflits souterrains et dans l’incapacité de les révéler ouvertement, le groupe, porteur du projet, préfère renoncer à sa réalisation :

« A la suite de notre réunion du 8 décembre 1977, avec Mme Rebois et M. du Crest, écrit-il une lettre au C3B, nous tenons à ce que vous sachiez que vu les difficultés qui semblent s’élever devant la réalisation de notre projet jusqu’ici commun, difficultés dont M. Fragonard s’est fait écho auprès de nous, nous nous retirons. En effet, il nous semble impossible d’engager la réalisation d’un « lieu de vie » pour les petits sans une démarche commune avec le C3B, qui

269 « Projet “petite enfance”, récapitulatif par Marie-Noelle Rebois, de l’année 1977 », op.cit., pp. 129 -130.

270

Ibid., p. 130.

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s’avère conflictuelle au départ : nul doute pour nous que de ces conflits entre adultes – même assourdis – les enfants ne tarderaient pas à faire les frais »272.

La lettre est signée par Françoise Dolto, Pierre Benoit, Bernard This, Marie-Hélène Malandrin, Colette Langignon. Cette décision est soutenue par le président et la secrétaire de l’APEP, Maxime du Crest et Marie-Noëlle Rebois.

Anne-Marie Deslandres « prend acte » de cette décision, et « en fait part à M. Fragonard aux environs du 15 décembre 1977, avec une lettre d’accompagnement laissant apparaître le regret du C3B et l’espoir que le projet pourra être repris »273. Le C3B se retire donc du projet, ce qui signifie la fin de la possibilité de profiter des amples locaux des tours de Seine. Une note explicative est rendue publique ; Maxime du Crest et Marie-Noëlle Rebois continuent à œuvrer pour la réalisation du projet avec la nouvelle association, le projet intéresse les habitants du quartier qui sont prêts à s’investir jusqu’à sa réalisation.

Vu la tournure des événements, l’association (pas encore déclarée à la préfecture274) passe par une refondation, ce qui nécessite de concevoir une nouvelle structure institutionnelle et d’apporter les changements dans les statuts. L’Association a conservé son titre d’origine de l’association « tant par fidélité à l’impulsion donnée par Madame Dolto et Bernard This, que par souci de continuité administrative dans nos relations avec le ministère de la Santé, la Semea XV, la CAF, etc. » 275.

Sans ou avec le C3B, la tâche est difficile. Les contraintes sont multiples : puisqu’il s’agit d’une association à but non lucratif, la majorité du conseil d’administration doit être bénévole et ne peut recevoir ni honoraires ni traitement de l’association (ce qui réduit le nombre des représentants de l’équipe) ; il s’agit d’un rassemblement de spécialistes et d’habitants du quartier à titre paritaire ; et l’association est conçue comme une personne morale à part entière et non comme un simple instrument administratif et financier. Il faut donc satisfaire aux exigences du ministère de la Santé (faire contrepoids à la présence des professionnels par

272

Ibid., p. 131.

273

Ibid.

274 L’Association petite enfance et parentalité (APEP) a été enregistrée le 26 mai 1978.

275

In : Lettre de Maxime du Crest du 9 avril 1978, à F. Dolto, C. Langignon, B. This, P. Benoit. Archives de la Maison Verte.

la création de l’association des usagers) ; approuver le choix d’un financement global « expérimental » en gage de la souplesse de la conception du travail et réaliser le souhait de bâtir une institution qui ne sera pas une institution classique et hiérarchique.

De plus, Maxime du Crest, faisant partie des « habitants du quartier », veille tout particulièrement à ce que la vision du conseil d’administration composé à deux tiers par les usagers, ne soit pas trop extérieure au projet, sans application réelle et sans compréhension de ce qui se passe dans le lieu de vie animé par des spécialistes :

« Trop lointaine, partage-lui ses réflexions et ses doutes au groupe des professionnels, cela peut vouloir dire : indifférente et laxiste, ou bien aveugle et maladroite, ou bien en déviation par rapport à l’objectif initial. […] Notre sujet est trop mouvant et il faudra faire preuve de trop de souplesse et d’esprit d’adaptation pour résoudre d’avance d’éventuels conflits. Aussi la solution me paraît-elle être davantage de rapprocher “ en famille ” les “ usagers ” et les “ spécialistes ” que de les mettre face à face comme si l’on considérait qu’ils étaient d’une nature différente… alors que précisément on cherche à éduquer les “ usagers ”, et (si je peux me permettre un néologisme de bien faible qualité) à “ usagiser ” les spécialistes »276.

En dehors du conseil d’administration, il propose de créer un comité de réflexion et un comité de direction. Le premier, composé de « spécialistes », est appelé à élaborer le projet et à l’appliquer à l’accueil : entre autres, il précise « les attitudes d’intervention des différents collaborateurs de l’association ». Le comité de direction « est entièrement chargé de l’administration financière et de la gestion quotidienne de l’association » : budget, comptabilité, responsabilité des locaux etc. Egalement, il « établit les contrats des collaborateurs de l’association, et le montant des traitements, honoraires et indemnités qui leur sont alloués, et règle l’ensemble des modalités de leurs interventions ». Le comité de réflexion est placé sous la responsabilité du vice-président de l’association et le comité de direction est sous la responsabilité du directeur de l’association277.

La présentation de ce modèle provoque un rejet violent de la part de l’équipe du Centre Etienne-Marcel. Marqué par ce qui s’est passé avec le C3B, l’équipe d’Etienne-Marcel réagit

276

Lettre de Maxime du Crest du 24 février 1978, à F. Dolto, C. Langignon, M.-N. Rebois, M.-H. Malandrin, B. This, P. Benoit, p. 5. Archives Françoise Dolto.

d’autant plus vivement qu’elle n’a pas de représentant dans ce nouveau conseil d’administration278. Même si cette question est réglée par la décision de désigner Françoise Dolto comme vice-présidente et membre fondateur de l’APEP, une forte dissonance s’installe. Le groupe d’Etienne-Marcel craint fortement ce modèle d’organisation institutionnelle qui leur semble copié « d’une grande entreprise industrielle ». Or, le désir du groupe d’Etienne-Marcel était « d’assurer une direction collégiale pour réfléchir et prendre ensemble, démocratiquement, les décisions qui s’imposaient »279. La menace d’être récupéré, d’être gouverné et de se retrouver dans la position de simples employés coupe le dialogue et empêche de voir que toutes les parties considèrent le projet comme le leur. Personne n’a d’expérience de ce type de projet qui réunit des gens qui viennent d’horizons différents, avec l’exigence, de plus, de faire une vraie association de quartier comprenant néanmoins spécialistes.

Cependant, l’association est déjà refondée, selon les principes de l’association des usagers, et il y a très peu de place pour des changements immédiats. A l’incitation de Pierre Benoit, le groupe d’Etienne-Marcel trouve comme solution de monter une autre association en parallèle. Celle-ci reprend le titre des émissions radiophoniques de Françoise Dolto, « Lorsque l’enfant parait », et devient presque homonymique à la première, l’ALEP.

« Se sentant menacés, explique Bernard This dans son livre sur la Maison Verte, les analystes voulaient avoir une existence juridique, être respectés, et ceux qui n’avaient pas de formation analytique n’avaient pas à diriger leur travail ! »280

L’association des psychanalystes est créée pour réunir « des psychanalystes désireux, en tenant compte des effets de l’inconscient tant chez les jeunes enfants que chez les adultes, de travailler à un meilleur accueil des nouveau-nés et à une meilleure insertion sociale des jeunes enfants en dehors de toute psychiatrisation et de toute ségrégation médico-administrative

278

Ce nouveau conseil administration est composé par : M.-N. Rebois, M.-H. Malandrin, M. du Crest, H. Voisin (Education nationale), C. Dupressoir (secrétariat), Y. Aubert (sous-préfet en retraite anticipée), P. Darde

(Compagnie bancaire), B. Latour (agrégé de philosophie), P. Zouani (Education nationale) In : Lettre de Maxime du Crest à F. Dolto, C. Langignon, B. This, P. Benoit, du 9 avril 1978. Archives de la Maison Verte.

279 Bernard This, La Maison Verte : créer des lieux d’accueil, p. 43.

ainsi que toutes les personnes qui voudraient s’associer à la réalisation de ce projet »281. Le premier conseil d’administration de cette nouvelle association est composé : Françoise Dolto (présidente), Madame Arlette et Bernard This (vice-présidents), Gérard Guillerault (trésorier), Colette Langignon (secrétaire), Pierre Benoit (secrétaire-adjoint). Les objectifs de l’Association sont de travailler avec des équipes obstétricales ; d’animer des groupes « style Balint » pour les médecins généralistes, les pédiatres et les professionnels de la petite enfance ; de créer et d’animer, avec le concours de travailleurs sociaux et de parents, un lieu de vie pour les tout- petits et leurs familles282.

Cette association ne cherche pas la reconnaissance publique : aucune demande de subvention ou d’accord avec des autorités quelconques n’a été signée. De toute façon, les pouvoirs publics ne connaissent que l’association de quartier, l’APEP. Par conséquent, cette nouvelle association, l’ALEP, se présente comme une « association technique, composée d’analystes »283. Elle regroupe les psychanalystes, certes, mais également ceux qui veulent s’associer à la réalisation du projet : Colette Langignon qui ne pratique pas encore l’analyse, Madame Arlette qui est surveillante à l’hôpital Trousseau et une des collaboratrices fidèles de Françoise Dolto. Par contre, ceux qui sont déjà dans le groupe qui portent le projet depuis le début, comme Marie-Hélène Malandrin et Marie-Noëlle Rebois, ne sont pas invitées. A notre avis, elles se trouvent associées par le groupe d’Etienne-Marcel au C3B, du fait que toutes les deux faisaient partie du conseil d’administration de l’association « Relais de Beaugrennelle » montée en 19767 pour traiter les problèmes du quartier par le biais des clubs de rue et des équipes de prévention284.

Pourtant, par cet acte de création de la deuxième association, le groupe qui œuvre sur le projet se trouve divisé en deux : ceux qui font partie d’une seule association (l’APEP qui regroupe tout le monde) et ceux qui font partie de deux associations (spécialistes d’Etienne- Marcel qui font partie de l’APEP et de l’ALEP).

281

Journal Officiel, 1978.

282 Les statuts de l’Association Lorsque l’Enfant Parait (ALEP), pp. 1-2. Archives Françoise Dolto.

283 Note d’introduction, juin 1979, p. 1. Archive de la Maison Verte.

284

Marie-Noëlle Rebois étant, en effet, liée au C3B et participant à ce travail, tandis que Marie-Hélène Malandrin fut impliquée au titre de représentant de l’ARSEA, sans jamais travailler dans le cadre du « Relais de

Les objectifs de cette deuxième association sont plus larges ; ils reprennent en quelque sorte le projet initial du Centre Etienne-Marcel où des lignes d’action sont assignées à des personnes : l’action de Bernard This concerne les maternités et tout le travail de l’accueil des nouveau-nés, Pierre Benoit s’implique auprès des pédiatres sous la forme des groupes Balint, et Françoise Dolto qui ne tient qu’à un lieu d’accueil, dont nous avons détaillé les vocations plus haut. Cependant, les actions de Bernard This et de Pierre Benoit semblent redoubler les activités de GRENN qui œuvre depuis 1975 pour les mêmes causes. Il semblerait que la création de cette deuxième association vise plutôt à s’insérer institutionnellement dans le projet. Cela prend la forme d’« un comité paritaire » qui assure que « toutes les décisions importantes pour sa vie et son évolution seraient prises en commun par les deux associations » […] Ce qui s’est traduit aussi par le fait que Françoise Dolto a accepté de présider aussi bien l’ALEP que l’APEP »285. Outre Françoise Dolto, Colette Langignon et Pierre Benoit sont désignés pour ce comité paritaire pour une durée d’un an.

De fait, une division réelle s’installe à deux niveaux : entre les « spécialistes » et « non- spécialistes » au niveau institutionnel, c’est-à-dire entre les habitants du quartier et les professionnels, entre les « administrateurs » et « l’équipe ». En même temps, elle s’installe à l’intérieur de l’équipe, en séparant les « analystes » des « non-analystes ». La première est tolérée dans le premier temps mais finira par se solder par le départ des habitants du quartier, la deuxième aura une vie plus longue : la distinction psychanalyste-accueillant sera maintenue dans l’équipe jusqu’au moment où tout le monde sera désigné « accueillant »286. Dans tous les cas, les deux vont participer à la construction du dispositif.

Depuis l’époque de la collaboration avec le C3B, la direction est de facto occupée par Marie- Noëlle Rebois qui met toute son énergie dans la réalisation de ce projet de lieu d’accueil. A l’ouverture elle sera embauchée à mi-temps sur le poste de directrice287, tandis que Maxime du Crest restera bénévole. La quantité d’échange de courriers, d’entretiens, de demandes de

285

Le compte-rendu du conseil d’administration de l’Association Lorsque l’Enfant Parait du 24 avril 1979, p. 2. Archives Françoise Dolto. (Soulignés dans l’original)

286 Nous allons en parler dans la deuxième partie de notre travail.

subventions effectuées par elle et Maxime du Crest est considérable et témoigne des temps laborieux où l’Association vivait sur le chemin de la réalisation du projet288.

Marie-Noëlle Rebois et Maxime du Crest trouvent le premier local : une petite boutique sur la place Saint-Charles. Le lieu compte deux pièces, dont l’une mesure 40 m2

, l’autre beaucoup moins. Il n’y a pas de bureau ou des cloisons, c’est un espace ouvert et propice à la circulation. « On y accède de plain pied, en venant de la place, par une double fenêtre. De part et d’autre de cette porte, deux grandes baies vitrées ». L’avantage est d’utiliser, lorsqu’il fait beau, une large partie du trottoir sur trente mètres de largeur, qui se trouve éloignée de la rue et protégée par des arbres et des bancs289. Le bail est cédé pour une seule année, mais le démarrage du projet est imminent, vu la subvention de 250 000 francs du ministère de la Santé, finalement accordée en octobre 1978 « pour un an à compter du démarrage de l’activité »290.

La convention entre l’APEP et le ministère de la Santé et de la Famille est signée et elle précise l’action préventive du projet : « la socialisation précoce de l’enfant, l’aide à l’acquisition de l’autonomie, l’expression par les parents et les enfants des difficultés de toute nature qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne »291.

A partir de cette disposition, le lieu de vie débute le 8 janvier 1979.

288 Les Archives de la Maison Verte gardent de dizaines de lettres rédigées en 1978-1979 par Maxime du Crest et

Marie-Noelle Rebois.

289

La définition du local de la place Saint-Charles. Archives de la Maison Verte.

290

Lettre de Bertrand Fragonard, directeur adjoint du cabinet, ministère de la Santé et de la Famille, à Maxime du Crest, président de l’association Petite enfance et parentalité, In : Françoise Dolto, Une psychanalyste dans la cité :

l’aventure de la Maison verte, Gallimard, 2009, p. 133.

291

Lettre de Maxime du Crest du 10 septembre 1979 à l’attention de Madame Atremian, à la Caisse des allocations familiales de la région parisienne. Archive de la Maison Verte.

2.5. L’ouverture du lieu – premiers pas, premiers succès… et

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